Suite à ma profonde déception ( que dis-je? de mon affliction oui ! ) de n’avoir point vu AL mettre en couverture ce sublime chef-d’œuvre nippon, je me dois présentement de défendre ce titre exceptionnel !
Car Beach Stars est plus qu’un manga.
Il y aura un avant et un après Beach Stars.
C’est l’égal des grands classiques littéraires, ces ouvrages uniques qui sortent en périodes de troubles profonds et qui éclairent nos sociétés, à l’instar des Zola, des Faulkner, des Dostoïevski, etc. Oui, Beach Stars va même au-delà, il tutoie ces hautes sphères que seuls quelques rares génies visionnaires ont su caresser de leur plume. Beach Stars c’est le Don Quichotte du 21ème siècle, la pierre angulaire, la référence absolue à laquelle on comparera immanquablement tout ce qui aura l’audace de sortir à sa suite. Vous allez vite comprendre comment Masahiro Morio a placé la barre aussi haut !
« Mais de quoi ça parle ? » me demandez-vous ?
Oh ! C’est bien simple, il s’agit d’une parabole sur la crise morale et économique que traverse l’archipel nippon. On note l’habileté de l’auteur d’avoir su faire passer son subtil message par le prisme déformant du beach volley lycéen. Quelle inspiration !
L’héroïne, Iruka Nanase, d’une taille plus petite que la moyenne, c’est important, subit impuissante la fermeture de son club fétiche de volley-ball, faute de membres suffisants. Déjà, l’auteur brosse le portrait désabusé d’une société en crise : comment ne pas songer à toutes ces petites PME qui déposent le bilan les unes après les autres, faute de pouvoir lutter dans les conditions du marché actuel ? Iruka est à l’image de tous ces salarymen qui ont cru un jour à ce système, à ce monde occidental arrogant et sûr de lui vanté par Fukuyama, à la voie toute tracée, le « japan way of life » qui a hissé ce peuple travailleur à la seconde marche des puissances de la planète. Le club, lui, est démantelé par des lycéens soumis à l’autorité du proviseur, ils symbolisent toute la détresse de la jeunesse nippone, hantée par le spectre de la récession, qui craint de ne pouvoir accéder un jour au poste convoité de cadre dans une grande société, et de se fondre parmi la masse anonyme du prolétariat. Oui, OUI, il y a du Germinal dans cette œuvre. Comment ne pas compatir à la vue du désespoir de l’innocente Iruka, comment ne pas sentir cette sourde révolte gronder tout au fond d’elle quand elle assiste impuissante à la destruction de ce club chéri, maintenu à force de sueur et d’efforts, comment lutter honorablement contre l’indifférence de ses camarades qui préfèrent supprimer ces locaux modestes, mais capables d’éveiller dans les consciences lycéennes les espoirs les plus insensés ? comment ? hein ? comment ?
C’est ainsi que Morio voit la société, avec une clairvoyance fulgurante sur les petites lâchetés du quotidien, cette soumission à la fatalité à laquelle ces pas-tout-à-fait-adultes ce sont déjà résignés. C’est à croire que Morio a suivi l’enseignement avant-gardiste du brillant psychanalyste tchèque Vladimir E Stuchlik-Baeülër, qui a su cerner avec exactitude le désœuvrement de la jeunesse occidentale – les jeunes japonais étant à leur manière des victimes de cette extrême-occident qu’est devenu la société nippone. Incroyable ! à peine quelques pages feuilletées et déjà de quoi nourrir une thèse en profondeur sur la quête du père chez le jeune nippon.
Bouleversant de vérité.
Le déclic aura lieu au bout d’une promenade – notez la démarche symbolique surpuissante, la promenade s’opposant à la boucle paradoxale du schéma productivisme/stérilité de l’industrie japonaise, écueil fatal du lycéen écrasé par sa condition – promenade sans but, comme un défi à la logique utilitariste de l’idéologie ultra-libérale dominante. L’auteur exhorte le peuple à flâner, comme sorte de résistance ultime pacifique, typiquement asiatique, honorable, à cet ordre qui renverse les valeurs difficilement forgées et admises à la sortie de la guerre. Flâner, laisser l’esprit errer, c’est comme inviter le chaos dans les mécanismes rouillés de la société. C’est une invitation à libérer les forces trop longtemps bridées de la nation.
La révélation aura lieu au bout du chemin, toute puissante, quand l’héroïne assistera à un tournoi de Beach Volley. Notez le parti-pris artistique, l’opposition radicale entre les ténèbres des locaux abandonnés du lycée et la lumière solaire des terrains de plages de plein air improvisés, l’opposition charnelle entre des lycéens en uniforme aux réflexes mécaniques et les corps sains et enthousiastes de ces sportives. Là encore, soulignons le trait de génie de l’auteur, d’avoir fait de ces jeunes femmes les porte étendards de la nouvelle voie que doit suivre le salaryman. La puissance, le dynamisme, l’énergie solaire que dégagent ces muses sont les incarnations charnelles de la Nation du Soleil Levant : elles symbolisent la radieuse aurore promise au pays tout entier prêt à emprunter la voie que va nous montrer Iruka.
Elles sont les nouvelles déesses qui foulent de leurs pieds nus ce sable, cette poussière qu’est devenu l’archipel en se fourvoyant dans la logique du libéralisme économique. Il n’y a nul déshonneur à abandonner et à renoncer au culte de l’entreprise nous glisse l’auteur, et il y a tout à gagner à se lancer de nouveaux défis !
Le Beach Volley nécessitant beaucoup moins de participantes, Iruka peut relancer son club et se donner à fond pour sa passion. Encore mieux : voilà que se présente face à elle une championne, une prétendante aux Jeux Olympiques ! Quel génie cet auteur ! En désignant comme objectif ultime le titre de championne olympique, l’auteur en revient aux fondamentaux politiques, à l’époque où l’Etat nation n’existait pas encore, et broie impitoyablement les espérances nées de l’ère Meiji. Il faut voir dans chaque smash un coup porté à l’orthodoxie politique. L’auteur règle ses comptes avec cette société devenue sclérosée par une quête perpétuelle d’un père adoptif venu de l’autre côté de l’océan ( l’Amérique ) , alors que la nation tourne depuis longtemps le dos à ses racines maternelles asiatiques.
D’où le bikini.
En mettant en valeur la plastique parfaite de ses héroïnes, l’auteur renvoie le lecteur à ses propres interrogations en le mettant face à ses contradictions : la quête de soi et l’absence de la mère. C’est tout le peuple nippon qui est ici interpellé par l’auteur, qui prend le monde entier à témoin par le biais de ces joutes sportives. Le Beach Volley n’est qu’un prétexte, en fait, voyez-vous ? La référence aux Jeux Olympiques est là pour rappeler que les athlètes d’autrefois concourraient nus pour la gloire des Dieux. On sent toute la frustration de l’auteur de n’avoir pas su s’affranchir des censures de l’éditeur ( en fait, des tabous que la société s’est elle-même infligée ), malgré des plans ( et gros plans ) qui nous rappellent que sous le maillot se trouve une femme, charnelle, en sueur, au teint hâlé, et non pas une divinité hors de ce monde. Dans Beach Stars, les nouvelles athlètes concourent pour la gloire de la nation, vont au bout de leur force avec l’enthousiasme le plus communicatif pour tirer le peuple tout entier de sa torpeur.
L’image de la mère est omniprésente : les formes généreuses des héroïnes sont un rappel de notre enfance heureuse passée dans le giron des femmes dans la plus parfaite innocence. Ces seins d’exception sont un défis aux lois de la physique ( et par extension à l’ordre moral et économique ), elles montrent tout le poids qui pèse sur les individus, mais que – malgré tout, nul ne doit courber l’échine et garder la tête bien haute, la poitrine ferme et levée sous le Zénith du ciel azuré où séjournent les Dieux de l’Olympe qui jugeront au terme de la compétition qui sera digne d’être le guide qui mènera le peuple vers un avenir doré comme la peau des joueuses. Epoustouflant de maîtrise.
Reste ensuite les matches proprement dits, qui achèveront de faire mettre un genou à terre aux lecteurs les plus exigeants. C’est avec une virtuosité digne des plus grands peintres, comme si tout les plus grands maîtres avaient ressuscités en une seule personne, que sont décrits les tournois. Ça virevolte, ça fuse, ça bondit, ça rebondit, l’auteur est comme possédé par son inspiration, son imagination sans limite.
Il faut voir comment ces jeunes filles s’affranchissent des lois de la gravité ! Elles volent, tout en grâce, se contorsionnent, tout en finesse, frappent, tout en puissance. Newton est mis hors jeu en deux coups de crayon, Escher et ses perspectives sont pulvérisés à chaque cases, De Vinci et son anatomie, ses parfaites proportions définitivement enfoncés. Beach Stars balaie tout d’un revers de la main.
La tension critique, le suspense sous-jacent, l’auteur sait faire monter la sauce mieux qu’Hitchock n’aurait pu le faire. Gagnera ? Gagnera pas ? On ressort groggy de la violence des échanges : le Big Bang doit paraître peu de choses à côté des planches de Morio. D’ailleurs, la couleur du ballon – vert et bleu – est une allusion aux couleurs de la Terre. Les joueuses sont des Titans, et le monde entier vacille à chacune de leurs actions, elles tiennent littéralement notre avenir entre leurs mains. Aucun auteur depuis l’aube des temps a su si bien dresser le portrait de personnages aussi grandioses, inspirer autant de respect et de fascination, et en même temps de craintes. Homère, Eschyle, Sophocle sont définitivement largués.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : Beach Stars est un mythe moderne, une œuvre intense à méditer longtemps, pour des générations et des générations. Le genre d’histoire dont l’on se souviendra à jamais, et que le lecteur, reconnaissant d’avoir vécu une expérience aussi mystique, chérira pour toujours.
C’est la larme à l’œil que l’on se souviendra des tirs fulgurants d’Iruka, convaincu que le monde est magnifique, que tout est possible, et qu’un bon coup de rein vaut mille lois.
Et dire que ce ne sont que les deux premiers tomes, on n’ose imaginer la suite. De toute façon on ne pas imaginer la suite, on ne peut que se recueillir et s’agenouiller devant une œuvre aussi monumentale.
Je crois qu’AnimeLand serait dans son rôle en militant activement pour la nomination de Beach Stars au prix Nobel de littérature ( voire au prix Nobel de la paix ).
Ou au moins en l’honorant d’une couverture à sa juste valeur.
Je défendrais ce titre jusqu’au bout.
Il fallait le dire.
Merci de votre attention.