J’ouvre le bal avec une histoire qu’on m’a rapporté lorsque j’étais petite, et qui m’a beaucoup marqué (allez savoir pourquoi !).
Elle m’a été racontée par une grand-mère conteuse, lors d’un après-midi scolaire à la bibliothèque (c’est une histoire régionale).
Le Diable du Pont Valentré.
Il y a très longtemps, au Moyen Age, la ville de Cahors était une grande cité prospère du Quercy. On y faisait beaucoup de commerce, les marchands étaient riches et les banquiers brassaient beaucoup d’argent.
Pour accroître encore la prospérité de la ville, l’évêque et le conseil décidèrent de faire bâtir un grand pont, magnifique et ambitieux, qui enjamberait le Lot et faciliterait encore plus les échanges.
Un architecte fut désigné pour accomplir la mission. L’homme était brave et avait beaucoup d’expérience, il semblait parfaitement à même de réaliser la merveille attendue. Tout le monde lui fit confiance, et il commença son œuvre.
Lentement, sûrement, l’homme dessina ses plans et entreprit de poser les premières pierres. Tous les habitants de la ville étaient heureux de voir commencer la construction, et tous suivaient, les yeux brillants, la naissance du chef-d’œuvre de pierre qui dompterait le fleuve tumultueux.
Mais malheureusement, le sort s’abattit bientôt sur la construction, et les eaux furieuses emportèrent l’édifice à peine commencé. L’architecte ne se découragea pas, et reprit les travaux ; mais chaque fois que le pont commençait à prendre forme, le fleuve emportait tout. Le temps passait, l’argent de la ville se dilapidait dans cette construction coûteuse, et aucun pont digne de ce nom ne prenait forme. Le peuple s’impatientait, la ville semblait ralentie dans son essor, moins fière, moins prospère. Des bruits commencèrent à courir sur le maître d’œuvre, on dit de lui qu’il n’était pas compétent, et même qu’il buvait. Bientôt, la décision fut prise de le renvoyer.
C’est alors qu’un jeune architecte prometteur arriva en ville. Comme tout le monde vantait ses talents, l’évêque et le conseil lui proposèrent de reprendre la construction du pont. Le jeune homme, tout sourire, assura qu’il s’acquitterait de sa tâche sans aucun problème. Le conseil décida de lui laisser carte blanche, mais posa une condition : l’édifice devait être achevé avant les premières vendanges, sinon l’orgueilleux jeune homme serait exécuté pour avoir manqué à sa promesse.
Les travaux recommencèrent. Le jeune homme était enthousiaste, les ouvriers aussi, et toute la ville semblait avoir retrouvé le sourire.
Cependant, il se reproduisit bientôt les mêmes catastrophes qu’auparavant : le Lot se mettait soudain en crue, et les eaux emportaient tout ce qui se bâtissait. Le moral des troupes redevint morose, des bruits courraient en ville : on jurait que ce pont était un gouffre financier, mais aussi trop ambitieux, orgueilleux, et maudit par le Diable…
Le temps passait dangereusement, et dans les vignes, le raisin commençait à mûrir. Aucun doute, les vendanges seraient d’un jour à l’autre, et le pont n’était presque pas commencé…
L’architecte se désespéra et trembla pour sa vie : il avait été trop ambitieux, seul un miracle pouvait encore le sauver. Un miracle, ou bien… ? Une idée traversa l’esprit du jeune homme, qui n’avait de toute façon plus rien à perdre : il décida de demander son aide au Diable. Il ne fut pas difficile de le trouver, car le Diable guettait l’architecte depuis bien longtemps, l’observant, se moquant de ses malheurs.
Le démon surgit des eaux du Lot, et parla au jeune homme désespéré.
« Si tu le souhaites, je construirait ce pont, dit-il. Mais en échange, tu devras me céder ton âme ».
Pris au piège, l’architecte accepta mais posa une condition :
« Si tu veux mon âme, il faudra que tu m’obéisses au doigt et à l’œil, et que tu réussisses tout ce que je te demanderai d’accomplir. »
Le Diable accepta et le pacte fut conclu.
Le lendemain, tout le monde remarqua sur le chantier la présence d’un nouvel ouvrier. Personne n’avait jamais vu homme plus zélé, appliqué, et surtout fort et rapide dans son travail ! Le personnage travaillait comme cent hommes, comme mille, et le pont prenait forme sous les yeux médusés des gens !
A la fin de la journée, l’édifice était quasiment terminé, immense, magnifique, le plus beau pont qu’il fut donné de voir. Les dernières pierres étaient en train d’être posées au sommet des tours, et le Diable se frottait les mains : bientôt, l’âme de l’architecte serait à lui…
C’est alors que le jeune homme l’interpella, lui tendant un crible : « Va apporter de l’eau aux maçons en haut des tours, pour qu’ils pétrissent leur ciment. »
Le Diable cessa de rire en regardant le crible. Il alla à la rivière, le remplit, vola de toute la force de ses ailes vers la tour… Mais l’eau s’était déjà vidée.
Rageur, le Diable s’acharna, encore et encore, jusqu’à l’épuisement. Mais il dû se rendre à l’évidence : il lui était impossible d’accomplir sa mission. L’architecte l’avait trompé mais il avait accepté la clause, il ne pouvait donc plus prétendre à emporter son âme… Vexé et impuissant, le démon cracha et insulta, mais dû se résoudre à se retirer.
Lorsque le jour suivant se leva, le soleil s’éleva au-dessus du Lot resplendissant, et par-dessus les tours magnifiques du Pont Valentré. La liesse fut grande, et les dernières pierres furent posées sous le regard de tous. L’architecte fut fêté et récompensé à la juste valeur de son travail, de son audace et de son intelligence ; lui remercia le Ciel de cette heureuse issue.
Et depuis, on raconte que par dépit, le Diable errerait parfois la nuit sur le pont, notamment en haut de la tour centrale. Il viendrait, et tenterait régulièrement d’arracher, sans succès, les pierres qu’il a lui-même posées autrefois…
Edité par akiko_12 le 12-07-2008 à 02:45