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Kuroshitsuji est un anime assez curieux que j’ai mis un certain temps avant de visionner. Pour résumer, on suit les aventures de Ciel Phantomhive, jeune garçon de douze ans, et de son fidèle majordome Sebastian. Ce dernier est en fait un démon qui s’est engagé à servir le jeune comte, en échange de son âme après sa mort.
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Dès le premier épisode, nous voici avec tout un décor gothique des plus prometteurs, un opening aux images magnifiques : on a déjà l‘eau à la bouche. Et pourtant… des gags pas forcément drôles s’enchainent, alors qu’on suit une simple tranche de vie du quotidien de Ciel. Un peu de sérieux (enfin !) sur la fin du premier épisode (séquences qui ne sont pas dans le manga original), on sort de là dubitatif : encore une série pour rameuter la goth loli, avec un décorum pour faire bien et rien derrière !
Et puis, au bout de quelques épisodes, la magie opère, on ne sait comment. On apprend à découvrir Ciel et Sebastian, à percevoir leur relation complexe et unique, à comprendre le second degrés dans l’humour… Et à découvrir un fond sombre et intéressant.
Les enquêtes du jeune Ciel, fidèle « chien » de la reine, nous entrainent dans la Londres de l’ère victorienne, avec son caractère exotique et mystérieux. Le contexte historique est remarquablement bien exploité, nous entrainant sur les traces de Jack l’Eventreur, à la poursuite du diamant maudit Hope, dans les bas-fonds des fumeries d’opium, à l’exposition universelle de Paris 1889… Le dépaysement est total, certaines questions comme la colonisation sont évoquées de façon intelligente, on arrive même à ressentir cette fascination de l’époque pour les cultures orientales comme l’Inde ou la Chine.
Alors que certains épisodes sont assez glauques, on peut passer soudain sans prévenir à une séquence vraiment tordante. Certains épisodes enfin, en dehors des enquêtes, s’attachent à suivre le quotidien de Ciel et de ses domestiques de façon légère et humoristique, où on rit franchement de bon cœur. Parfois, on aurait presque l’impression que Kuroshitsuji c’est du « gothique comique » (!).
La seconde partie de la série, plus attachée au passé de Ciel, devient cependant très sombre, jusqu’à un épisode final remarquable. La boucle est bouclée de façon magistrale, avec un final violent, assez triste, et surtout absolument MAGNIFIQUE. Le générique tombe comme une énorme claque qui laisse sous le choc.
Mais qu’est-ce qui fait la magie de Kuroshitsuji ? Au final, en plus de son scénario plaisant, la série est surtout portée par ses personnages dont on tombe vraiment amoureux. D’abord, il y a Sebastian : un majordome « d’enfer », auquel on donnerait sa vie sans hésiter devant sa beauté et son charisme, son dévouement, ses multiples et divers talents allant du plus commun au plus improbable et rocambolesque. Alors qu’on peut penser, sur les premiers épisodes, qu’un tel personnage qui sait absolument tout faire et se bat avec des fourchettes et des couteaux (la fameuse argenterie de la famille Phantomhive !) est tellement poussé que ridicule (uniquement là pour le fan-service), on saisit progressivement le second degrés et on s’amuse de cet aspect jusqu’au boutiste. Sebastian est éblouissant quelle que soit la situation, dans un concours de cuisine comme dans une compétition de sculpture. Quoiqu’il arrive il est toujours le plus merveilleux, le plus fort, le plus formidable. On est bien loin de tout souci de crédibilité, et cet espèce de fan-service assumé en devient franchement très drôle. Et puis, parfois, Sebastian se dévoile et on commence à voir la vraie personne qui se cache sous ce costume de majordome parfait. On perçoit peu à peu ses motivations, même s’il reste très secret. On n’oublie jamais qu’il est un démon qui s’amuse à jouer au domestique, et qui au fond garde un caractère réellement effrayant, presque pervers.
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Et puis, il y a Ciel Phantomhive. Ce personnage est de très loin le plus passionnant, loin devant nombre de personnages ce que j’ai pu voir jusqu’à présent. Alors qu’il n’a que douze ans, il a été tellement brisé par le meurtre mystérieux de ses parents qu’il n’est plus motivé que par la haine et le désespoir. Loin de s’apitoyer sur son sort, il est glacial envers tout le monde, fait peu cas du sort des autres dont il ne se préoccupe absolument pas. Ciel est un gamin insupportable, capricieux, qui ne sourit jamais. Par certains aspects, il est toujours un enfant : impatient, inconscient du danger (mais très conscient que quoi qu’il arrive, Sebastian viendra le sauver), il aime les jeux et vit sa vie comme une partie d’échecs dont il invente les règles. Dans ce jeu grandeur nature, il est le roi et les autres ne sont que des pions dont il use et abuse jusqu’à détruire le camp adverse, et ce même si lui-même doit tomber à la fin. Selon ses propres mots, il n’a même pas voué sa vie à la vengeance, qui est un but trop noble : son désir est simplement de faire tomber les responsables dans le même enfer que celui qu’il dans lequel ils l’ont poussé.
Si Kuroshitsuji est un shônen dans lequel Ciel est le héros, celui-ci est clairement un héros « anti-shônen ». En fait, il est le total contraire des valeurs habituelles véhiculées par le genre. Il est d’ailleurs plus réaliste que nombre de personnages principaux qui tentent de retrouver par tous les moyens ce qu’ils ont perdu, ou de revenir à un quelconque « avant » heureux. Comme il l’affirme lui-même : « Peu importe la force avec laquelle on se bat, il y a des choses qui ne reviennent jamais ».
Loin de vouloir troquer sa haine contre des sentiments meilleurs, Ciel s’y accroche car c’est sa seule motivation, la seule chose qui lui donne une raison d’exister. En oubliant sa haine, il s'oublie lui-même : il y a dédié sa vie, son but pour lui est de ne jamais perdre ce sentiment et ses objectifs de vue. Il tue également tout semblant de nekketsu : il n’y a pas d’amitié possible, il n’y a que des pions que l'on manipule.
Pourtant, parfois, Ciel nous montre ses faiblesses. Parfois, il se surprend lui-même à rêver d’une vie meilleure, ce qui est impossible vu le choix qu’il a fait en passant un pacte avec Sebastian. C’est d’ailleurs un Ciel déterminé que l’on aime voir, celui qui ne recule pas. On se prend d’une affection sans limite pour ce héros hors du commun qui malgré son air glacial garde la fragilité d’un enfant, on l’encourage à continuer dans la voix qu’il a choisie. Ce n’est pas un héros lumineux ou hésitant qu’on veut voir, c’est un héros ferme qui n’hésite pas à marcher vers les ténèbres. La notion de Bien ou de Mal est d’ailleurs toute relative dans la série : à la manière du Vicomte pourfendu de Calvino, on s’aperçoit bien vite que le Bien est parfois bien pire.
Malgré son aspect noir, Ciel est bien loin d’un Kira sans conscience par exemple, ou d’un Sasuke dévoré par la vengeance. C’est au contraire un héros positif, qui évolue juste sur une route différente. Un personnage passionnant, très fouillé, et réellement unique.
Enfin, il y a le relation Ciel/Sebastian. Alors qu’on pourrait s’attendre à voir une relation simplement complice, on s’aperçoit bien vite que Ciel n’hésite pas à lui parler comme à un chien, à l’insulter et même à le frapper. Et à côté de ça, Sebastian semble être son seul véritable repère, le seul qui ne lui mente pas, qui soit clair dans ses desseins. On peut décemment se demander ce que fait un démon de sa trempe dans un costume de majordome, alors qu’il lui serait plus facile de laisser ce gamin capricieux dépérir. Pourtant, il remplit sa tâche avec zèle car il est à la recherche d’autre chose, d’une autre vérité qu’il n’évoquera que plus tard dans la série…
Rapport chasseur/proie volontaire avec tout ce que ça implique (désir de manger et volonté d’être désiré), haine et complicité (voire une certaine forme d’amour), confiance et méfiance, conflits d’intérêt et intérêts communs… La relation entre les deux personnages est fascinante à suivre car extrêmement complexe.
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Côté musiques, l’OST, composée par Taku Iwasaki (Gurenn Lagann, Oban-Star Racers…) comprend des thèmes très variés souvent à base de voix. Les BGM sont utilisées intelligemment, mentionnons certaines scènes comme le dressage musclé de Plu-plu (avec le ténor en fond, piste La Gardenia), qui sont vraiment très drôles par le contraste entre le contenu de la scène et la musique majestueuse et distinguée. Certains thèmes sont vraiment étranges (j’adore Ningou no Kan) et/ou très beaux, bref une bonne bande-son.
Même s’il n’a rien de musicalement exceptionnel, on devient rapidement fan de l’opening (on devient fan d’absolument tout avec Kuroshitsuji de toute façon ^^°). La bonne idée de ce générique, outre ses images superbes et son style (vive les kanji goth !), c’est que le premier opening exploite la première partie de la chanson Monochrome no Kiss (par SID), et le second (images différentes) exploite la deuxième partie de la même chanson. Il en résulte une impression de changement de ton tout en gardant une certaine continuité, une certaine complémentarité. Le premier ending est plutôt punchy et gai (I’m alive par Becca), tandis que le second (Lacrimosa), signé Kalafina/Yuki Kajiura, est plus sombre et très beau.
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Pour résumer, Kuroshitsuji est un étrange mélange entre comique et gothique, léger et sombre. Une alchimie qui laisse de prime abord sceptique et dubitatif, et qui finalement opère assez rapidement pour vous absorber totalement. Ce titre repose essentiellement sur son héros hors du commun, Ciel Phantomhive, sur le charismatique Sebastian et leur relation complexe. Notons aussi une galerie de personnages secondaires sympathiques auxquels on s’attache, et l’on peut affirmer sans trop se tromper, que peu importe que l’histoire soit drôle ou sombre, ce qu’on veut voir ce sont les protagonistes. Ajoutons à cela un fort côté exotique et une immersion agréable dans la Londres victorienne, un scénario et des aventures sympathiques et/ou prenantes, et vous obtenez un titre unique et excellent.
En plus des 24 épisodes de la série, il existe aussi une OAV qui se présente comme une épisode normal, avec les OP et ED 2 (ô bonheur !!!), et qui prolonge un peu le plaisir sur un ton résolument comique, mais aussi parfois émouvant. L’OAV résume assez bien la série à travers la métaphore de Hamlet, et c’est l’occasion d’y voir Sebastian en tenue de professeur de musique et une magnifique interprétation théâtrale de Ciel dans un rôle taillé à sa mesure. Avis aux amateurs(trices) 😃 !
Parmi mes images préférées (comprenne qui pourra 😛) :
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Quel épisode magnifique sérieusement !!
Parce qu'après ces quelques secondes, on AIME forcément Sebastian… (Ep 20)
THE phrases cultes :
– Sebastian, meirei da ! (c’est un ordre !)
* sourire *
– Yes, Mylord.