Takehiko Inoue, Rumiko Takahashi ou Mitsuru Adachi l’adulaient. Légende inconnue du public français, auteur de plus de 500 volumes, le mangaka Shinji Mizushima nous a quittés le 10 janvier dernier, à 81 ans.
Il a bien failli passer sa vie sur un bateau ! Né en 1939 à Niigata, le petit Shinji Mizushima passe une enfance difficile : son père poissonnier, accro aux jeux d’argents, dilapide à tout va le budget de la maison. À tel point qu’au sortir du collège, l’adolescent abandonne l’idée d’entrer au lycée pour se faire embaucher en tant que pêcheur et éponger les dettes paternelles. Mais chaque nuit, Mizushima empiète sur son temps de sommeil afin de dessiner des mangas. C’est en 1958, à 19 ans, qu’il se fait repérer par un magazine local d’Osaka. Après cinq ans d’effort acharnés, en 1964, le jeune homme fait ses adieux définitifs au port de Niigata et déménage à Tokyo, où il publie pour le Shônen King. Après six ans d’exclusivité, Mizushima signe dans d’autres magazines comme le Shônen Sunday et le Shônen Champion, où il remporte ses premiers succès. Mais c’est dans le Shônen Champion que le mangaka connaît le triomphe à partir de 1972.
Découpé en plusieurs « saisons », Dokaben s’étalera sur 205 tomes entre 1972 et 2018. Ode au baseball, ce manga est l’occasion pour Mizushima de travailler sur la représentation du mouvement et de la vitesse, à travers son cadrage et des effets de déformation d’une fluidité inédite. Premier manga acheté (et recopié) par Takehiko Inoue, Dokaben se parera également d’une adaptation animée de 169 épisodes étalée entre 1976 et 1979, et d’un film live en 1977. En 1973, Mizushima enchaîne avec un deuxième succès, toujours dans l’univers du manga, Abu-san. Plus mature et sombre, Abu-san fait référence à l’absinthe, péché mignon de son héros alcoolique, tiraillé entre ses démons intérieurs, l’amour qu’il porte à la serveuse de son bar préféré et sa carrière de joueur professionnel. De 1973 à 2014, Abu-san sera une tête de gondole du Big Comic Spirits de Shôgakukan, dont les 105 tomes s’écouleront à plus de 20 millions d’exemplaires.
Auteur prolifique, il dessine en parallèle de ses deux séries phares d’autres mangas plus courts dans les années 80 et 90, majoritairement axés eux aussi sur le baseball – citons notamment Niji wo yobu otoko ou Ohayo K-jirô. L’aura de sa production est telle qu’en 2005, les magazines concurrents Shônen Champion et Morning organisent un cross-over de huit semaines qui voit s’affronter les équipes Tokyo Superstars (de Dokaben) et Sapporo Mets (de Yakyukyo no uta) ! Deux ans plus tard, pour célébrer les cinquante ans de carrière de Shinji Mizushima, les hommages pleuvent de la part des mangakas qu’il a influencés (Mitsuru Adachi, Rumiko Takahashi, George Morikawa…), des vedettes du baseball (Sadaharu Oh, Shigeo Nagashima…) ou des stars ayant dévoré ses œuvres à travers les années (Takeshi Kitano en tête). Il faudra attendre 2020 pour qu’à 80 ans, dont 63 consacrés à dessiner des mangas, Mizushima prenne sa retraite. Deux ans plus tard, il décède d’une pneumonie, plongeant plusieurs générations de Japonais dans le chagrin.
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