Garri Bardine

La distinction russe

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Fil de fer, plasticine, ficelles, allumettes, cellulo… S’il n’a pas créé de techniques d’animation à proprement parler, Garri Bardine en a testé quelques-unes. Des triturations de la matière pour rendre tangibles les corps à corps physiques (La boxe, 1985), psychologiques (Le mariage, 1987), mais aussi pour détourner des contes en les saupoudrant de dénonciations politiques (Le méchant loup et le petit chaperon rouge, Grand prix du festival d’Annecy de 1991)… Car en effet, la conscience politique n’est jamais loin chez cet ancien comédien de théâtre soviétique. Et quand BARDINE – après avoir oeuvré pendant 15 ans au sein du prestigieux Soyouz Mult Film de Moscou s’inquiète de la situation précaire de l’animation en Russie, il décide de créer son propre studio : le Studio Stayer, qui fonctionne depuis 1991 à la manière d’une coopérative.

Mais Garri Bardine sait aussi s’adresser au coeur même des enfants, et c’est avec une grande pédagogie doublé d’un humour pince sans rire qu’il a expliqué, le mercredi 9 mars au Studio des Ursulines, les principes de la stop motion à une salle d’enfants subjugués, à l’issue d’une projection de sa Nounou 3.

Le retour de Choo Choo

Après avoir traversé soirées de Noël sur fond de jazz endiablé (La nounou, 1997), et affronté les pirates dans une baignoire fantasmatique (La nounou et les pirates, 2001), c’est aujourd’hui à un autre obstacle que Choo Choo, l’improbable nounou en gants de boxe, se confronte : la jalousie. Elle doit en effet partager son amour entre son petit protégé Petit Prince rendu cruel par les ravages de la possessivité et un petit chien perdu sans collier. Emotion, réalisme et poésie pour un beau conte de printemps porté par la musique virevoltante du Carmen de BIZET.

AnimeLand : La nounou est votre seul personnage récurrent : pourquoi ?

Garri BARDINE : Parce que c’est un bon personnage, à mon avis ! C’est rare d’inventer un nouveau personnage dans le monde de l’animation. En 30 ans de travail, je pense que je n’ai réussi à en créer que trois !

AL : Vous avez touché à un grand nombre de techniques d’animation. Est-ce la technique qui vous inspire les sujets de vos oeuvres ? Par exemple, on imagine difficilement La Boxe autrement qu’en pâte à modeler …

G. B. : Je pense que vous avez vous-même répondu à la question ! C’est en effet l’idée qui a imposé le matériel utilisé. Mais il arrive aussi que cela se produise dans le sens inverse. Par exemple, après le film Mariage, il me restait un rouleau de fil de fer, je ne savais pas quoi en faire… Et j’en ai fait une Palme d’or (rires) ! (Les fioritures a obtenu la Palme d’or du Meilleur court métrage au Festival de Cannes de 1988, ndlr).

AL : Même question concernant la bande son : dans vos films, l’action se cale de manière très précise sur la musique…

G. B. : La musique est un composant émotionnel, et je sais travailler avec. J’espère que ce n’est pas un manque de modestie de ma part de le dire (rires) ! La musique me permet d’exprimer ma pensée de façon plus claire et plus émotionnelle.

AL : Quelle est votre technique d’animation préférée ?

G. B. : La technique que j’emploierai pour faire mon prochain film ! Ce qui est le plus intéressant pour moi, c’est ce dont j’ai besoin aujourd’hui… On ne peut pas aimer une femme et considérer qu’une autre est mieux (sourire). Si c’est comme ça, il vaut mieux aimer l’autre !

AL : Mettez-vous votre talent d’ancien comédien au service du travail d’animation de vos personnages ?

G. B. : Oui, revenons au travail après avoir parlé des femmes (rires) ! Oui bien sûr, tout ce qu’on voit joué dans les films, je l’ai testé moi-même auparavant. D’abord je le joue moi-même, ensuite devant l’animateur : je chante aussi bien que je danse ! Et ce n’est qu’après que je peux exiger d’eux ce que je leur ai montré. Si en plus ils y ajoutent leur touche personnelle, c’est une grande satisfaction.

AL : Comment s’est effectuée la réalisation de La nounou 3 ?

G. B. : Trois animateurs ont travaillé dessus ; le tournage a duré deux mois. Le scénario, je l’ai écrit assez rapidement. La principale difficulté, ça a été de le coller à la musique. J’ai passé 2 mois et demi à imaginer les mouvements du film en écoutant la musique : j’ai écouté jusqu’à 40 ou 50 fois le même morceau ! Jusqu’à ce que j’imagine le mouvement qui me semblait juste par rapport à la musique. C’est le travail avec la musique le plus important que j’aie jamais fait de ma vie.

AL : Cela vous a-t-il donné envie de recommencer, ou bien la tâche s’est-elle avérée trop pharaonique ?

G. B. : Il y aura encore plus de musique dans mon prochain film. Cette expérience ne m’a toujours rien appris (rires) !

AL : Qu’est ce que vous aimez parmi les récents travaux en animation ?

G. B. : Je ne me tiens pas vraiment au courant des dernières animations mondiales. J’essaie de suivre ce qui se fait dans le monde du long métrage, mais les films d’auteur, qui sont à mon sens les plus intéressants, je ne les ai pas tous vus.

AL : L’animation en Russie, ça se passe mieux qu’avant ?

G. B. : Oui, la situation s’améliore. L’animation commence à prendre de l’ampleur. J’espère – et je pense – qu’avec le temps, elle prendra aussi un peu de qualité…

AL : Aujourd’hui, pourriez-vous refaire porteur de message politique comme par le passé ?

G. B. : Ce n’est pas ce que je compte faire, puisque je pars pour les quatre ans à venir dans un gros projet : un long métrage ! Là, je n’ai pas envie de me perdre dans la bête politique ; mais si tout à coup, j’ai envie de dire quelque chose et que je trouve le matériau correspondant, je le ferai peut-être.

AL : Dans une interview accordée à l’Humanité, vous disiez qu’un pays qui sait rire de lui-même à travers ses oeuvres – comme les Etats-Unis avec American beauty – est un pays qui va bien. Le cinéma est-il pour vous un bon vecteur idéologique ?

G. B. : Pour moi, il s’agit déjà d’une question de formes. Par exemple, le film Et vogue le navire de FELLINI est une oeuvre politique, mais la forme est trompeuse… c’est ce qui me plaît. Je n’aime pas voir le squelette de la pensée, ça doit être recouvert de la chair d’un film de créateur. Si c’est un film politique, je ne veux le comprendre qu’après ! Je veux regarder le film comme un con, et commencer à y réfléchir après. Moi, en tant que spectateur, je suis un con ; si le film me plaît, je peux rire, pleurer… Mais raisonner comme un cinéaste pendant la projection du film, je ne peux pas le faire. Je pense que c’est d’ailleurs en général la maladie du cinéaste. Ils ont une analyse constante, mais pas d’organes de perception.

La nounou 3, la famille s’agrandit, le 6 avril en salles.

La nounou et les pirates, sortie le 6 avril en DVD chez France 2.

Remerciements à Monica Donati.

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