HOU / KITANO

Portraits d’auteurs

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Réalisateur taiwanais très en vue, salué par la critique, mais parfois aussi décrié, ses films ne laissent en tout cas pas indifférent : il s’appelle HOU Hsiao-Hsien. Le second, metteur en scène japonais, connaît la consécration depuis quelques années en France, mais pas forcément dans son pays. Il a même réussi à tourner un film aux Etats-Unis, tout en gardant son univers doux amer : son nom ? KITANO Takeshi.

Réalisateurs contre réalisateurs

Pour filmer et faire parler KITANO, Jean-Pierre LIMOSIN a pris sa caméra. Surtout connu pour son magnifique Tokyo Eyes (1997), entièrement tourné au Japon, LIMOSIN a d’ailleurs fait tourner KITANO dans ce dernier film. Il y avait donc une certaine évidence à voir LIMOSIN proposer ce projet à Arte (1999)… Sur l’autre rive, on retrouve un cinéaste aimant lui aussi l’Asie. Olivier ASSAYAS a énormément tourné, dont Irma Vep (1995), sa Nuit Américaine, dans lequel il fait tourner une des grandes stars de Hong Kong, Maggie CHEUNG. En 2001, il tourne Demonlover, film mettant en scène le rachat d’une société produisant des anime hentaï (pornographiques). Là aussi, un choix logique pour ce portrait toujours diffusé par Arte (1997).

Les deux metteurs en scènes français sont talentueux. Ils ont chacun un attachement particulier au réalisateur dont il vont tirer le portrait. A cette époque, HOU et KITANO sont encore mal connus. Arte tient donc à faire découvrir deux hommes aux style biens différents de ce dont a l’habitude en Europe. Cinéastes du clair/obscur, metteur en scène de l’intimité et de la violence, HOU et KITANO sont des auteurs à fleurs de peau, mélancoliques et romantiques. Challenge donc, de donner un visage (car, qu’est-ce d’autre que « tirer le portait » ?) à des noms. Difficulté de résumer en peu de temps une carrière, un style, des passions, des obsessions, sans se montrer agressif, ostentatoire, voir indiscret… A ces questionnements inhérents au style même du portrait, LIMOSIN et ASSAYAS répondent par deux approches bien différentes et surtout, en totale opposition.

La voix de son maître

LIMOSIN s’offre, pour les besoins de son film, la complicité de HASUMI Shiguehiko, président de l’université de Tokyo et amateur du cinéma de KITANO. La rencontre se révèle des plus formelle. La caméra, immobile, filme un HASUMI attentif, interrogeant un KITANO un peu hésitant à se livrer. L’intellectualisme et la rigueur de HASUMI contre la nature décalée et mélancolique de KITANO. Les questions posées à l’auteur d’Hana-bi ont été co-écrites par LIMOSIN et HASUMI, mais seul ce dernier est présent à l’image, comme s’il s’agissait de son film. LIMOSIN, lui, semble absent, seul la présence de la caméra rappelant sa présence, ou plutôt sa non présence… Esthétique du camouflage, de la disparition, éthique de la non présence, de l’humilité. Laisser parler les deux grands : l’intellectuel et ses questions pertinentes, le faux bouffon et ses tentatives de répondre à côté, ses non-dits transpirant à chaque phrases, sa volonté d’en dire quelque chose, mais pas trop, comme une retenue pleine de pudeur.

De l’autre côté, ASSAYAS préfère un contact radicalement différent. A l’image propre et léchée de LIMOSIN, succède une réalisation plus nerveuse, caméra sur l’épaule avec du grain à l’image. Au lieu de filmer le réalisateur dans des lieux fermés et froids, ASSAYAS suit HOU sur les lieux de son enfance : voyage proustien, sensible et émouvant pour le réalisateur taïwanais… Et puis, HOU parle, une véritable machine à former des mots. Là où un KITANO se pense en silence et rompt le charme de son visage tiqué lorsqu’il fait entendre sa voix aigre, HOU a la bonhomie du gosse du quartier, de l’ancien petit délinquant, brassant les mots avec un besoin : besoin de se dire, de se raconter, de se dévoiler.

Enfin, ASSAYAS va beaucoup plus loin que LIMOSIN : de KITANO, on apprend finalement peu de choses, on parcourt ses thèmes, on les survole, mais on ne les pénètre jamais. Chez HOU, on découvre comment l’enfance a conduit au cinéma ; comment filmer a été une expérience militante ; comment l’écriture du scénario a une importance considérable.

Deux films, un homme ?

Etrangement, pourtant, HOU et KITANO semblent se rapprocher, se ressembler, après visionnage de ces deux films. Deux gamins des rues, deux hommes confrontés à la violence et à la mort. Deux cinéastes des petites gens, des gangsters, de la souffrance… Pourtant, leur style personnel les oppose : KITANO, l’homme timide, mal à l’aise, incertain de ce qu’il dit ; HOU le volubile, l’engagé, le passionné. Mais qu’importe, est-ce là le principal si on les aime ? En terme de travail de biographe, ASSAYAS démontre une volonté de s’impliquer : il apparaît à l’image, suit HOU avec un perpétuel petit sourire, comme s’il le comprenait, malgré la barrière de la langue. LIMOSIN, lui, a une réserve entrant en écho de celle de KITANO. Discrétion, humilité, souci de se faire oublier. Ne pas être là, tout en étant présent. Dans les deux cas, l’éthique du respect de l’autre.

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