Avec Ichi the killer, MIIKE Takashi parfait sa réputation de réalisateur cinglé. Film de yakuzas masochiste et provocateur, Ichi the killer est un jouissif polar gore, où MIIKE explore les fantasmes liés aux persécutions et le rayon boucherie-charcuterie avec loufoquerie et inspiration. Etiqueté insortable en salles, le film a échappé de justesse à la censure au Japon. Barré, dérangeant, mais peut-être pas si méchant.
MIIKE Takashi est en train de devenir incontournable au sein d’un cinéma nippon qui n’en finit pas de chercher ses marques. Ses films urbains violents, parfois succès du box office, ont un vrai grain qui les rend uniques. MIIKE sait parfaitement doser ses effets, dans l’outrancier comme dans l’intimiste, et manie la caméra remarquablement. Né à Osaka en 1960, le réalisateur a suivi des études de mise en scène à Japan Academy Moving Images of Yokohama, avant de devenir assistant de IMAMURA Shohei (entre beaucoup d’autres La ballade de Narayama et Pluie noire). Passé à la réalisation de long métrage en 1991 avec Hit and run, il s’impose avec Graine de yakuza en 1996.
De ses nombreux films (à raison de quatre à cinq réalisations par an) ne nous sont parvenus en France sur grand écran que Audition et Visitor Q. L’Etrange Festival, qui a présenté Ichi the killer en août 2002, avait proposé à son public en 1998 Graine de yakuza, en 2000 Les affranchis de Shinjuku (1995), Audition (1999), Chien enragé (1997), Dead or alive (1999), La loi de la rue (1999), et en 2001 La cité des âmes perdues et Visitor Q (2000). Des films qui ont forgé la réputation d’allumé de MIIKE, même si le réalisateur aime aussi à sortir des sentiers de l’ultra violence urbaine, des marginaux et yakuzas pour toucher à la comédie fantastique (The bird people in China) ou à l’enfance (Kishiwada Shonen Gurentai Bokyo Hen). Ses oeuvres plus commerciales sont aussi les plus trash, et ce n’est pas un hasard si ce sont certaines de celles-ci qui sont arrivées chez nous. Ce en dépit de leur « mauvaise » réputation, si alléchante… Ichi the killer fait partie de ces films peu recommandables car à ne pas mettre devant tous les yeux.
La vraie star du film est un yakuza blond oxygéné au sourire largement incisé de Joker, qui se nomme Kahihara (interprété par l’icône underground TADANOBU Asano). Cette terreur qui torture par plaisir a la désagréable surprise de constater l’évaporation de son boss dans la nature. Pourquoi est-ce si désagréable ? Parce que son boss était le seul à lui taper dessus correctement. Et la femme du boss, Karen (ALIEN SUN), malgré la meilleure volonté du monde, ne vaut rien en la matière. Dans ses vestes et costumes lamés déclinant toutes les teintes de rose, Kahihara angoisse légèrement, ce qui lui procure un peu de plaisir : qui va pouvoir lui faire mal comme il le mérite ? Il a bien une petite idée sur la question : l’homme qui a tué son boss (car il doit être mort à l’heure qu’il est) et qui décime ses hommes façon tronçonneuse élégante, est sans doute le seul apte à lui faire des misères vraiment méchantes. Tout en le cherchant ardemment, Kahihara se délecte de sévices corporels sur d’autres yakuzas, quand ce n’est pas sur sa propre personne (on n’est jamais mieux servi que par soi-même).
Parallèlement aux menus plaisirs et à la quête de Kahihara, trois types ont nettoyé les dernières traces du boss (c’est sûr, il est bien mort) et pris le magot qui l’accompagnait. L’un d’eux, Jiji (TSUKAMOTO Shynia, le réalisateur de Tetsuo, Hiruko the gobelin et Gemini), réveille régulièrement un passionné de Tekken assoupi devant sa console pour lui dire d’aller tuer quelques sales types. Le jeune homme, apeuré et pleurnichard, passe alors un costume mi-bioman mi-batman qui porte un grand I jaune sur le dos, I comme « Ichi ». Et plus gracieux qu’un patineur artistique, Ichi s’en va découper quelques membres à l’aide de ses tennis customisés, avec une souplesse et une précision remarquables. Puis il éjacule en pleurant, les cris et le sang provoquant inévitablement la jouissance chez ce traumatisé, car il a été traumatisé, à ce qu’il paraît. En suivant le parcours sanglant de Kahihara et Ichi, on se dit que l’intuition du premier est la bonne : tous deux sont faits pour se croiser.
L’histoire du film est tirée d’un manga, à la réputation tout aussi sulfureuse, de YAMAMOTO Hideo. MIIKE a souhaité une adaptation « brute » et fidèle de l’oeuvre originale. « J’ai tout fait pour que les fans de la BD ne disent pas que le héros du film ne ressemble pas à l’original. J’ai moins cherché à faire un film personnel qu’un film qui soit fidèle au manga. C’était donc un vrai défi pour moi. » Ichi the killer la BD, malgré une bonne diffusion commerciale au Japon et aux Etats-Unis, est considérée comme à part puisque gênante avec sa violence crue et sa sexualité explicite. Ce type d’oeuvre, tout comme le film, soulève immanquablement le problème de la représentation de la violence. A l’édulcoration (souvent hypocrite) de mise en Occident, le film montre les aspects les plus crades d’une amputation, mais d’une façon si « hénaurme » qu’on nage en plein grotesque.
Le gore pur et dur n’est pas loin… Une femme à la jambe sectionnée n’en continue pas moins à courir à cloche-pied. Les tentatives masochistes de Kahihara sont pitoyables et loufoques : après s’être coupé le bout de la langue devant des yakuzas, eux au bord de l’évanouissement, Kahihara bafouille, ne parvenant plus à parler normalement. Kahihara gloussant quand il se prend un coup, Ichi pleurant et s’excusant avant de tuer quelqu’un, Jiji énigmatique au point de cacher un corps digne de Hulk (!), des jumeaux débiles dont le renifleur d’odeurs qui se met des oreilles de chien en peluche sur la tête… la galerie d’allumés de MIIKE lui permet de créer une provocation délirante, avec jets d’hémoglobine et vols planés de mains, têtes, jambes. Le réalisareur se plaît d’ailleurs à raconter les circonstances très spéciales du tournage : « On a utilisé des intestins de porc, entre autres, pour toutes les scènes où il y a des viscères à l’air. Quand on voit ces choses de près, on se rend compte qu’on est tous faits pareil à l’intérieur. On est seulement différent en surface… Les acteurs en ont bavé lors de toutes ces scènes car, dans les intestins, il y avait bien sûr de la merde. Ca puait…c’était donc insupportable.»
Cette abondance de chair découpée et de supplices abominables, orchestrée par des personnages complètement fous, forme par conséquent un ensemble parfaitement sensé! Quoi de plus effrayant qu’un sadique qui a l’air normal ? Ici pas de danger. On est finalement plus surpris par tant de psychopathologie que terrorisé. La violence et les sévices outranciers sont conformes à l’outrance physique et psychologique des personnages. Ichi the killer semble avant tout raconter la rencontre de persécuteurs et de persécutés, chacun ayant en soi une part de chaque tendance. La violence des personnages n’est que l’expression de leurs fantasmes et de leurs troubles psychiques. Et la confrontation à l’autre ne peut être que brutale. Le jumeau qui survit une minute à son frère ne regrette-t-il pas de ne pas l’avoir tué lui-même ? Quelques personnages de yakuzas dégoûtés par les manoeuvres de Kahikara viennent replacer le film dans une « normalité » loin des deux hallucinants sadiques que sont Kahihara et Ichi, et de leurs petits camarades délurés.
On peut trouver ça dégoûtant et irregardable, ou bien cinglé et rigolo. Sauf en cas d’allergie définitive à la viande rouge, il serait dommage de bouder son plaisir.
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