L’animation dans l’après-guerre

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Si l’immédiat après-guerre voit la renaissance du cinéma d’animation japonais, c’est aussi l’époque où l’influence du dessin animé américain se fait la plus manifeste, et ce à tous niveaux. Dans un Japon occupé, les références aux dessins animés et au mode de vie US ne sont plus interdites. Loin de là. Au décor de la campagne japonaise succède donc, dans la plupart des dessins animés de cette époque, une forêt de type occidental, tout droit issue des films de Walt Disney. Il en est de même pour les personnages : les loups, lapins et autres ours remplacent les singes et les tanukis, tandis que l’animation elle-même louche du côté des productions américaines. Des dessins animés qui se penchent également sur la modernité de leur pays. Fini le Japon traditionnel, les vieux paysans et les démons issus du folklore et des légendes ; place à la ville moderne, au mode de vie et à l’individu occidentalisés.

Le crayon magique de KUMAGAWA Masao (1946) est assez troublant, puisqu’il présente un Japon dévasté par les bombardements et prend pour protagoniste un petit garçon vivant au milieu des ruines. Mais point d’esprit revanchard derrière ce court métrage. Bien au contraire ! Tetsuo, le petit orphelin, découvre dans les décombres une poupée aux traits occidentaux qui a un bras cassé. L’enfant la répare et la poupée s’anime. Pour le remercier, elle lui offre un stylo magique : tout ce que l’enfant dessine devient réel. Tetsuo commence alors à reconstruire le Japon grâce à son stylo et parcours le pays avec sa poupée à bord d’une petite auto. Mais la poupée doit s’en aller, et Tetsuo la remercie de nombreux « Thank you very much »…

Le crayon magique évoque bien entendu la reconstruction du Japon grâce à l’aide américaine, symbolisée par la poupée. Une aide qui succède directement aux bombardements, dont on ne semble pas tenir rigueur à « l’ami américain ». Une étrange tristesse se dégage pourtant de ce dessin animé, dont, plus que l’éloge béat de l’aide américaine, on retient l’errance touchante du petit garçon solitaire à travers les décombres. A remarquer également, le design des personnages, notamment les grands yeux qui préfigurent le style des anime. La forêt en émoi de MAEDA Hajime (1947) est lui un excellent exemple de sous-cartoon à la japonaise. Un méchant renard sème la terreur dans une forêt. Mais heureusement, une poule, une loutre et une taupe décident d’en finir avec le dictateur. Tout, dans ce court métrage médiocre, est fait pour singer les dessins animés américains : décor de forêt, design des animaux anthropomorphes, habillés à l’occidentale, mouvements exagérément souples, jusqu’à l’insertion de mots anglais (« Fox » sur la maison du renard). Seul problème : cette production n’a pas les moyens de ses ambitions. Un mauvais timing et une animation exaspérante, qui veut trop en faire, plombent ce dessin animé qui encourage par ailleurs sans subtilité la lutte contre l’oppression.

La petite fille aux allumettes (1947) est le seul dessin animé de cette sélection à ne pas être réalisé en cellulo. Il s’agit d’un court métrage en ombres chinoises, qui reprend pour la Nième fois le conte lacrymal éponyme d’ANDERSEN. Que dire de cette chronique d’une mort annoncée sinon que, platement réalisée par ARAI Kazugoro, elle provoque plutôt l’ennui que l’émotion.

L’ours Bûcheron qui aimait les arbres de FURASAWA Hideo (1948), s’il fonctionne sur les mêmes parti-pris esthétiques que La forêt en émoi, le fait avec plus de subtilité, au service d’un message écologiste : un ours rase sans vergogne la forêt, animé par l’appât du gain. La nature finit par se venger et provoque une crue qui détruit sa maison. Mais l’ours est sauvé par la forêt et, repenti, replante les arbres. Un dessin animé qui se signale par une animation par moment très réussie. Témoin cette séquence où l’ours, pour se débarrasser d’un oiseau qui vient lui faire grief de sa cruauté, lui souffle dessus, provoquant la chute de ses plumes. Ou l’animation de cet arbrisseau, qui esquive la hache du bûcheron. Le renard a une fois de plus le mauvais rôle, puisque c’est lui qui promet la fortune à l’ours un brave type au fond en échange de la destruction de la forêt. Autre bonne idée visuelle : quand la nature se venge, un nuage se fait chef d’orchestre pour provoquer les intempéries. Si l’esthétique de ce film est essentiellement occidentale, le propos qui vise à rappeler que la nature se venge toujours d’une exploitation intensive et que l’homme a intérêt à vivre en harmonie avec elle semble plus proche d’une sensibilité japonaise. Une folle partie de Base-ball de YABUSHITA Taji (1949) reprend le principe de Base-ball en forêt (1934) de MASAOKA Kenzo, déjà repris par La lutte corps à corps (1943), à savoir un match affrontant des animaux. Si La lutte corps à corps opposait des chiens (les Japonais) aux singes (les Américains), Une folle partie de Base-ball oppose les gorilles au reste de la forêt. Les gorilles sont arrogants, sûrs d’eux, boivent du wisky et mâchent du chewing-gum… Suivez mon regard ! Mais l’heure n’est plus à la querelle et après une bonne bagarre, tout le monde se réconcilie. Un dessin animé à la qualité d’animation très inégale, pas très drôle, et au propos là encore transparent.

On ne sera pas surpris de retrouver dans le dernier dessin animé de la sélection, Un concert en forêt de ASHIDA Iwao (1953), le décor sylvestre et les animaux « disneyens » des précédents. Petite variante, le personnage principal est un loup, qui évoque celui des dessins animés de Tex AVERY. Le décor est l’image d’Epinal de la banlieue à l’américaine (petites maisons individuelles, avec le carré de pelouse devant et garage sur le côté) tandis que les habitants sont des animaux habillés à l’occidentale. Le film est en fait un court métrage pédagogique, au demeurant très correctement animé, qui vante les règles élémentaires du savoir-vivre en communauté.

On le voit, les dessins présentés pour cette dernière période ne nous ont guère emballés. Précisons toutefois, pour nuancer ce propos, que de grands artistes comme OFUJI Noburô ou MASAOKA Kenzo ont réalisé, pendant la même période, de purs chefs-d’oeuvre. Les films de cette sélection sont donc moins représentatifs de la production de l’époque que du manque d’ambition, d’inspiration ou de moyens de leurs réalisateurs ! En 1956, le grand studio Toei fondera, avec le concours essentiel d’anciens assistants de MASAOKA, son propre département d’animation. Des décombres de la guerre naîtra alors un nouvel âge d’or du dessin animé.

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