C’est à La Maison du Japon que nous a donné rendez-vous Camille Moulin-Dupré, le nouvel artiste touche-à-tout de chez Glénat. Retour sur les confessions passionnées d’un homme qui l’est tout autant.
Emmitouflé dans son écharpe pour échapper au mauvais temps de la capitale, Camille Moulin-Dupré arrive les bras chargés. Livres, artbooks, revues, le téléphone blindé de références, l’homme n’est pas un artiste que l’on doit arracher de son atelier pour collectionner quelques mots. Il détient un savoir mais se montre très humble quand il s’agit de parler de son travail. Alors, lorsqu’il faut se déplacer pour le faire ou animer des ateliers en compagnie d’ enfants, Camille prend lui aussi son pied : “Ayant un père artiste, j’ai toujours vu la technique prendre forme à la maison. Etre pédagogue ça me plait, j’aime expliquer ma technique. Je pourrai passer des heures à parler de mon procédé artistique“.
Le voleur de sample
Son procédé justement, parlons-en. “Ma méthode, explique Camille, c’est ce qu’on peut appeler “l’école du sample”. Le Voleur d’Estampes est une création numérique. Je pense à une scène et j’exécute la réalisation. Une fois que c’est posé, je peux tout de suite agir sur Photoshop après un rapide croquis. Mon grand truc c’est que je dessine sur une multitude de calques, 75 en moyenne, afin que je puisse les modifier à volonté. Nous avons donc certaines planches qui se sont formées par des éléments que j’ai repris et réintégrés. C’est ça la culture du sample. Je fais donc un jeu d’expression que je remplace, c’est comme Wallace et Gromit en somme“. Une méthodologie qui prend racine dans son métier d’animateur. Il faut savoir que Camille n’est pas ce vert artiste se jetant naïvement dans la confection d’un tome de 200 pages sans aucune réflexion. Il poursuit : “J’ai des techniques d’animation qui me sont utiles. J’ai parfois passé sept jours sur une planche, donc il faut aussi être malin dans la façon d‘organiser mon travail. L’essentiel est que ca reste harmonieux. Maintenant, pour le tome 2, j’ai une bonne banque de données, c’est une bonne nouvelle pour mon éditeur (rire)”.
Dans l’actuel marché du manga, les artistes français arrivent peu à peu à s’octroyer une petite place, comme le prouve Stray Dog, pour ne citer qu’un exemple. Si, dans sa globalité, le genre shônen est celui qui fait rêver le plus grand nombre de jeunes dessinateurs, très peu ont eu l’audace d’aller dans un registre moins repandu, mais tout aussi intéressant : l’art traditionnel et plus précisément celui de l’estampe japonaise. Pas un problème pour Camille Moulin-Dupré. Ni pour Glénat. Les mains serrées sur son thé servi bien chaud, Camille explique la fomentation de ce projet qui date de 3 ans : “Etant issu de la Maison des auteurs à Angoulême, j’ai eu la chance de régulièrement pouvoir m’appuyer sur des gens de confiance me donnant une certaine liberté. Comme j’adore l’estampe japonaise, c‘était l’occasion pour moi de me renouveler graphiquement, de me lancer dans un autre défi“.
Réalisateur d’un court métrage rendant hommage à Belmondo (et à Satoshi Kon, dans les transitions), Camille a l’œil pour digérer le style et travailler la forme de ce recueil d’estampes qui vient draguer le manga et l’illustration. “Le cadrage de l’estampe japonaise a les même valeurs qu’un métrage cinématographique. J’ai bien senti que faire uniquement du vis-à-vis pouvais lasser le lecteur, donc je trouvais ça pas mal d’ajouter une rythmique, sans pour autant abonder mes pages de longs dialogues. Tout est déjà dans l’estampe. Vous pouvez regarder n’importe quelle scène d’une estampe, vous sentez que les personnages se parlent, qu’il se passe quelque chose. Finalement, je n’ai apporté que des speed-lines (lignes de vitesse, accentuant la vivacité d’un mouvement), c’est tout. Le reste c’est un travail de digestion du style. Suzuki Harunobu (1725- 1770) m’a influencé par ses lignes claires, qui sont les plus belles. Pour les visages j’ai donc fait quelques emprunts chez lui, car c’est mon trait préféré. Pour les assimiler, j’ai dû me forcer. Autant Hiroshige (1797-1858) c’est assez accessible, alors qu’Harunobu met des formes beaucoup plus compliquées à dompter. A court terme, tu ne te rends pas compte des identités graphiques des auteurs, mais peu à peu, tu sens les différentes écoles de style selon les maîtres. Tout cela je le dois à mon travail sensoriel“.
L’œil et le bon
Passé par le monde du jeu vidéo, l’auteur a donc réalisé un colossal travail de documentation afin de reproduire l’ambiance d’un Japon époque 19e : “Mon père a fait beaucoup de voyages au Japon. A la maison, dans mon salon, il y avait énormément de motifs faisant référence à ces estampes. J’ai donc moi-même pris le pas d’aller au Japon pour me documenter et j’avais une série d’images que je voulais intégrer dans une nouvelle histoire“. Véritable boulimique de travail, il veut “mettre un maximum d’informations” dans ses œuvres. Le procédé se veut gourmand : “Je regarde un très grand nombre d’images. Je suis en permanence en train de chercher, de farfouiller. J’en retiens certaines et ensuite je garde une composition claire. Je dois donc mettre de côté certaines choses, faire le deuil. Soit l’histoire va entrer dans les images, soit les images vont rentrer dans une histoire. Je pense d’ailleurs que c’est un des points forts de l’estampe japonaise, tout peut se construire à partir d’une seule image. Le souci de la fidélité, je l’ai poussé jusqu’à rechercher de vraies informations d’époque pour dessiner des objets. Je serais incapable d’inventer, de toute façon” reconnait-il avec humilité.
C’est ainsi que l’auteur s’avance dans ce projet, avec une idée bien en tête quant à la direction artistique : “Je ne voulais pas entrer dans un style manga commun, si je peux me permettre. L’idée c’est vraiment de me rapprocher au mieux d’Hiroshige, d’Hokusai, de rester dans le respect du traditionnel. Non pas pour me fixer une règle débile, mais simplement parce que je crois que c’est un trait qu’on ne voit pas assez. S’inscrire dans l’unicité, ça me plait.” D’abord partant pour réaliser une œuvre animée, proche du turbo-média (un récit d’image dont la vitesse de défilement est contrôlée par le lecteur), Camille a tranché pour un support papier qui offre un côté hybride bienvenu car il peut “faire de l’illustration et du découpage. Je donne au lecteur un certain rythme“. Plus que du travail et du plaisir, il donne aussi de sa personne, au sein même de son personnage principal, le Voleur. “C’est quelqu’un d’en marge de la société, c’est un individualiste. Par ses activités, il vient ajouter de l’action, un côté quête personnelle au bouquin. Mais je ne m’en cache pas, si parfois le Voleur est critique vis-à-vis de sa société et râle plus d’une fois, c’est juste moi qui m’exprime par rapport à ma société contemporaine. La vie la nuit, c’est cool, le monde t’appartient“. D’Hitchcock au Le solitaire de Michael Mann, Camille place la nuit comme zone de confort : “C’est vrai que j’ai une préférence à dessiner moi-même la nuit, il y a une atmosphère. C’est une facilité et une vision que j’ai cherché à mettre dans ce tome.”
Effaçant son manque de confiance, Camille sort avec fierté de cette première expérience. Son Voleur d’estampes est aujourd’hui promis à un second tome pour conclure sa série, là où il en aurait voulu 3. “J’espère faire un second tome plus riche, avec plus de pages, je dois en parler à Glénat (rires). Je ne dois pas oublier que mon dernier travail abouti date de 2009. Je me suis lancé dans cette aventure, j’ai réussi la première partie. Le plus beau compliment qu’on pourrait me faire, c’est que cette histoire permette d’initier des lecteurs aux éstampes.”
D’une réponse à l’autre, l’artiste cite les plans de Shin’Ichiro Watanabe, le pouvoir créatif de Gainax, l’impact d’un Ranma ½ sur lui. Les digressions se sont multipliées, mais le plaisir de l’échange n’a jamais flanché. La marque d’un individualiste généreux.
Entretien réalisé le 25 novembre 2015. Merci à Camille Moulin-Dupré pour sa disponibilité et à Fanny Blanchard de chez Glénat pour les conditions optimales réunies pour cet échange.
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