Rumiko Takahashi, l’impératrice du manga

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Rumiko Takahashi est une artiste narrative, intéressée par le quotidien de la société qui l’entoure. Ses œuvres vivent. Outre la variété indispensable des situations d’un chapitre à l’autre, on y trouve un univers familier évoluant avec chaque lecteur, lié à une fantaisie classique à la recherche du plaisir et du superflu.

La mangaka n’a jamais voulu prendre de pause tout au long de ses trente années de carrière. Son but a toujours été d’être proche de son public et d’atteindre un maximum de lecteurs pour amener le manga à sa vraie définition populaire.
Le style a toujours été le dernier des soucis de Takahashi. Non pas qu’elle ne s’y intéresse pas – ses dessins sont parfaitement maîtrisés et reconnaissables entre mille – mais elle ne se considère en aucun cas comme une illustratrice. Elle se définit plutôt comme une faiseuse d’histoire. En cela, elle ne s’impose aucune application des règles d’esthétisme et garde une spontanéité toujours au service de son lecteur. Toutes ses planches doivent paraître limpides pour que le voyage dans lequel elle nous emmène ne présente aucune perturbation, mis à part son humour rocambolesque et universel.

Comme les autres mangaka de la génération dorée, Takahashi s’est rapidement émancipée de ses prédécesseurs. L’humanité que l’on retrouve dans les situations des séries de Takahashi est plutôt proche de celle qu’a toujours voulu mettre Akira Kurosawa dans ses films. Les deux artistes aiment mêler des scènes épiques et shakespeariennes aux anecdotes journalières tout en développant leur tendre gourmandise pour leur pays.

Les séries de Rumiko Takahashi présentent une mise en scène du Japon actuel à travers des personnages hors norme, à la recherche d’une vie ordinaire. Des extraterrestres nobles, des fantômes ou des garçons atteints par une malédiction, tous rêvent d’un doux foyer sans histoire. Mais l’entourage de chacun rend tout espoir de stabilité impossible. L’auteur baisse ainsi le rideau sur un pays qui a connu l’autarcie, il y a à peine un siècle et demi, et qui a dû apprendre à vivre avec ses semblables en se positionnant en première ligne sur la mondialisation, quitte à en subir les conséquences de plein fouet. Elle souligne également un autre paradoxe de la société japonaise actuelle : chacune de ses œuvres présente le passé comme un fardeau dont personne ne peut échapper et une arme indispensable pour avancer. Le Japon est lui-même tiraillé entre son folklore et sa course au progrès technologique.

Ouvrir un manga de Rumiko Takahashi est une sorte de dépendance. On s’habitue à la constante et intense créativité de la vie quotidienne de ses sujets au point de ne plus pouvoir s’en passer, un peu comme si l’on ouvrait indiscrètement le journal intime des Japonais. Voilà pourquoi son œuvre plaît tant en Europe et aux Etats-Unis, elle assouvit la curiosité de l’Occident sans jamais donner dans l’exotisme.

T’as pas eu RINNE ?

Après avoir disparu durant son enfance, la petite Sakura Mamiya a connu une expérience paranormale. À son retour, elle pouvait voir les esprits. En entrant au lycée, elle espère être libérée de cette malédiction. Mais il n’en est rien. Pis, même : un camarade de classe, Rinne Kudo, a le même pouvoir et est une sorte de shinigami chargé de ramener les âmes errant sur Terre dans la Roue de la Réincarnation. Intriguée par ce jeune homme, Sakura décide de l’aider à sauver les esprits perdus.

Entamé en avril 2009 dans le Weekly Shônen Sunday où a paru Détective Conan et Inu Yasha, Rinne est la dernière production en date de Rumiko Takahashi. Cette œuvre s’inscrit dans le genre fantastique qu’affectionne l’auteur. Elle s’intègre dans le Rumic World – univers de l’auteur – qui pullule de récits fantastiques. On songe bien sûr aux récits sur les Sirènes (Mermaid Forest et Mermaid’s Scar) et, évidemment, à Inu Yasha.

Mais comme toujours avec Takahashi, il serait dommage de limiter sa vision de l’œuvre. Pour commencer, on retrouve le goût de l’auteur pour le quotidien des lycéens japonais. Ses arrière-plans sont parfaitement compréhensibles pour un élève qui retrouve son décor journalier. C’est donc dans un cadre très codifié que le fantastique fait son immersion et cela a toute son importance. En effet, le Japon reste un pays partagé entre une tradition et le modernisme. De la tradition reste les rituels religieux ou encore les costumes traditionnels. La religion est une affaire de plus en plus privée, mais les manifestations ou croyances sont toujours partagées par le plus grand nombre. A contrario, le modernisme dans lequel s’engouffre le pays valorise plutôt la technique, l’univers des loisirs ou de la consommation. Or, Takahashi cherche à faire connaître les récits, légendes et contes entendus quand elle était enfant.

A la différence d’œuvres comme Ranma 1/2 ou Inu Yasha, l’univers de Rinne reste beaucoup plus ancré dans le quotidien avant une attitude détachée des personnages. En cela, Takahashi rend hommage à une école des années 70 pour laquelle l’histoire comptait plus que les personnages ou le cadre. Ainsi, l’idée est de définir un ensemble de lieux que l’on repère d’un simple coup d’œil (le lycée, la chambre de Rinne…) afin de ne plus y revenir et de pouvoir ensuite jouer avec l’imaginaire du lecteur.

Il s’agit donc de dévoiler le merveilleux et le surnaturel se cachant derrière les choses. Le Japon a une grande tradition sur le paranormal et ne cesse de jouer sur ce thème clé pour composer des récits. Pour les lecteurs français, la découverte des fantômes et monstres japonais dans l’œuvre de Takahashi sera une expérience assurément surprenante.

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