Sentaï School se met à table

Interview de P. CARDONA et Florence TORTA

0

AnimeLand : Lorsque vous remontez à votre enfance, quelles étaient les séries, DA, films ou BD qui vous faisaient rêver et pourquoi ?

Philippe CARDONA : Je suis né en 1978 et avec mon frère, nous passions des après-midi entières à regarder tous les dessins animés de l’époque. J’ai donc dès mon plus jeune âge été en contact avec Albator, Capitaine Flam et toute cette vague de dessins animés, et je n’en ai jamais décroché. En fait, je “consommais” tous les anime… En ce qui concerne mes lectures, j’étais un grand fan du Journal de Mickey, de Pif, et de la BD franco-belge de l’école Dupuis. Je n’ai découvert les comics qu’à mon adolescence. À la même période, les premiers manga papiers ont été traduits.
Si je devais citer les héros de mon enfance, ils seraient issus de la télé plus que du ciné et du papier : Musclor, Goldorak, X-Or, Capitaine Flam, et surtout Albator, pour son charisme inégalable. Tous ces personnages étaient, pour moi, de “vrais” héros : ils étaient toujours là pour botter les fesses des méchants et pour venir “nous” sauver. Je trouve ce fait vraiment marquant pour notre génération : nous avons eu de vrais héros, par opposition aux séries plus actuelles dont la plupart proposent des histoires davantage ancrées dans la réalité, à travers des héros plus proches de leur public (il n’y a qu’a voir Titeuf, Kid Paddle, les Razmokets…). Les héros de mon enfance m’ont justement fait rêver, car quand je rentrais le soir de l’école, je n’avais pas envie de me mettre devant la télé pour y retrouver la journée que je venais de vivre, mais pour m’évader totalement, partir dans l’espace et sauver l’univers.

Florence TORTA : Lorsque j’étais petite, c’est sans conteste pour les dessins animés que je me passionnais. Je n’ai jamais été une grande lectrice de BD, ce qui est ironique compte tenu du fait que j’essaie d’en faire mon métier maintenant. Il a fallu l’arrivée des mangas en France pour que je m’y intéresse. Durant mon enfance, j’avais une passion pour Les chevaliers du Zodiaque, Jayce, Olive et Tom, Lady Oscar, Cat’s eyes, et pleins d’autres… Je ne sais pas si l’on peut dire que cela me faisait rêver, mais en tout cas je me sentais toujours concernée par leurs aventures (je me souviens d’une fois où j’avais raté un épisode de Lady Oscar : un vrai drame !).

AL : A partir de quel moment avez-vous senti que vous vous destiniez à la BD ?

P.C. : Je pense que tous les dessinateurs vous le diront : ce genre de vocation naît dès le berceau ! Dès que l’on tient son premier crayon, on comprend que l’on veut faire ce métier toute sa vie.

F.T. : Contrairement à Philippe, je n’ai pas tout de suite pensé à la BD, mais je savais par contre que je voulais pratiquer un métier lié au dessin. Par la suite, en voyant les possibilités s’offrant à moi, j’ai opté pour la BD ; mais même maintenant, je ne dirais pas non à de l’illustration par exemple.

AL : A l’origine, tout a commencé avec le fanzine Dream On, dans lequel Sentaï School est né. J’ai cru comprendre que la création de Sentaï School est le produit de vos deux réflexions ?

P.C. et F.T. : On ne sait pas si on peut appeler ça “réflexions”…La série a été en effet créée en juillet 1998 : à cette époque, les “grandes” séries de notre enfance venaient de ressortir (Albator, Cobra, San Ku kai…). Concernant les séries plus obscures, dont nous étions fans, c’était vraiment un challenge de trouver des vieilles cassettes, quand il y en avait ! Cet été là, donc, nous avions retrouvé dans une brocante des cassettes de Makko, Coeur, Giraya et Metalder (1), entre autres. Nous avons regardé tout ça d’une traite, durant une longue nuit blanche. Pendant que le magnétoscope tournait, on a commencé à écrire une lettre à un ami, lettre qui s’est vite transformée en BD ; en revoyant les épisodes Metalder, on a eu une sorte de déclic : le héros est totalement crétin, et ne comprend rien à la vie. A ce moment là, nous nous sommes dits : « lui, il devrait retourner à l’école ! ». Et voilà !

AL : comment la série est-elle ensuite passée du fanzine au magazine Coyote ?

P.C. et F.T. : Nous ne vous apprendrions rien en vous disant que le monde de l’animation est très petit, et que les interactions entre le milieu amateur et le milieu pro sont légions. Du temps du fanzine, entre 1998 et 2000, nous avions rencontré Gérald GALLIANO, qui travaille aux Dossiers du manga, et s’occupe de l’association Méluzine, dont le but est de promouvoir les auteurs de fanzine. Nous avons eu la chance que Sentaï School lui plaise, et surtout de bien accrocher avec lui. Le fanzine a été arrêté en avril 2000, et nous avons commencé à travailler sur d’autres projets, dont les résultats ont été plus ou moins probants. Nous étions en train de monter un projet de BD, début 2002, quand Gérald nous a appelé un soir. Il venait de croiser les gens de Coyote Mag qui montaient leur magazine et étaient à la recherche d’une BD : coup de bol, il a pensé à nous. Nous avons donc envoyé un exemplaire du fanzine, car le temps nous manquait, en précisant que seul l’humour était à prendre en considération, et non les dessins, puisque cela datait de 1999. Là encore, ça a été le coup de bol, car ils ont accroché à l’humour! C’était vraiment culotté d’envoyer un vieux machin tout moche!

AL : Dans vos interviews, vous expliquez que les chapitres parus dans le fanzine ont été refaits pour Coyote. Quels sont les éléments conservés, ceux changés, et pourquoi ?

P.C. et F.T. : En fait, nous avons absolument tenu à tout refaire : les dessins étaient atroces ! Ensuite, les scénarios et les personnages n’étaient plus si drôles et l’humour reposait trop sur des private jokes liées au monde du fanzinat et aux autres auteurs de Dream On. Nous voulions donc redéfinir les origines des personnages, mieux introduire le concept du personnage de robot humain de Ken Eraclor… On voulait aussi faire rentrer des personnages apparus tardivement dans le fanzine et que nous aimions beaucoup, comme Matt Ban, Stratéguerre et son école de méchants, ou encore Koji Alcor. Enfin, même si le fanzine n’avait eu qu’une centaine de lecteurs, par respect envers eux, on se devait de ne pas leur resservir la même soupe. Et puis entre nous, nous trouvons quelque peu ennuyeux de refaire les choses exactement de la même manière. De plus, il fallait proposer un découpage de l’histoire respectant le format de Coyote.

AL : Sentaï School parodie des manga et des séries datant des années 70 à aujourd’hui. Vous êtes-vous concentrés sur toutes les séries connues du grand public, ou uniquement sur les séries vous tenant à coeur ?

P.C. et F.T. : Nous n’avons pas de ligne directrice dans la parodie. En fait, on parodie ce qu’on aime, que ce soit en anime, en film ou en BD. Bien sûr, la japanim’ des années 80 y tient une place importante, car comme nous l’expliquions au début, ce sont ces séries qui nous ont bercés. Mais comme on n’a jamais quitté ce monde-là, on y met aussi les séries qu’on adore maintenant ! Au tout début, on a choisi certaines séries cultes juste pour la référence, mais à chaque fois on abandonnait, parce qu’au final ce n’était pas drôle. Chercher la référence pour la référence n’est pas vraiment notre but ; on préfère écrire des gags crétins, dans lesquels on glisse des références ou des parodies.

AL : Par ailleurs, on perçoit l’influence de la BD franco-belge dans votre travail, aussi bien au niveau de votre trait qu’à la façon de narrer l’histoire. S’agit-il d’une influence consciente ?

P.C. : Comme je le disais au début de l’interview, je suis, comme beaucoup de dessinateurs de ma génération, le produit d’une enfance baignée par la BD, la japanim’ et le comics. L’influence est donc plus ou moins inconsciente. Du temps du fanzine, on avait des “problèmes”, parce qu’on était trop manga pour des conventions franco belges, et trop franco belges pour le monde du manga !

F.T. : Ne lisant pas spécialement de franco belge, je ne sais pas trop… Mais je reconnais qu’au niveau de la narration, le résultat s’avère finalement assez classique. Mais il faut être honnête : Sentaï School est une série où l’on parle énormément (gags de fonds…), et cela nous demande donc d’être vigilants pour garder le récit compréhensible ! Je ne me suis jamais vraiment demandé si c’était franco belge, manga ou comics ; alors de mon coté, je dirais qu’il s’agit d’une influence inconsciente.

AL : Aujourd’hui, Sentaï School est sorti en librairie et déjà, on annonce un deuxième recueil. Pensez-vous avoir assez de matière pour en faire une série longue ?

P.C. et F.T. : Hum… À l’époque du fanzine, nous plaisantions sur le fait que l’on sortirait 25 volumes et qu’on aurait une série télé de 5 saisons ! Maintenant, pour que la série continue, il y a une condition sine qua non : nous faire marrer tous les deux. Si un jour, l’un de nous deux en a marre ou si ça ne le fait plus rire, on arrête, qu’il y ait du succès ou non. Il ne faut pas prendre les fans pour des idiots et sortir des histoires moyennes dans lesquels on ne se soit pas investis à fond. Nous, pour le moment on se régale, donc on continue ! Après, il faut aussi être honnête : notre éditeur peut aussi nous demander d’arrêter à tout moment. Au vu de la situation actuelle du marché, il faut être raisonnable !

AL : Sur la série, Philippe CARDONA est crédité comme co-scénariste et dessinateur. Florence TORTA est, pour sa part, au poste de co-scénariste. Comment travaillez-vous les histoires, et en quoi le fait d’être à deux sur cette série influe sur sa création ?

P.C. : Comme nous habitons ensemble, nous n’avons pas à faire de “réunions de travail” où d’autres choses du même genre. De plus, nous sommes tous les deux très très crétins… Donc en fait, le “scénario” de chaque épisode consiste juste en un best of de toutes les idioties qu’on se raconte l’un à l’autre tous les jours ! Le fait de travailler chez soi avec en fond la télé aide bien aussi. Pour le thème de l’épisode, on part d’une idée toute bête : un nouvel élève, un match de foot… Puis on définit plus ou moins le squelette de l’épisode, et on jette dedans tous les gags et les idées idiotes auxquels on a pensé pendant deux mois ! Il n’y a pas grand chose d’écrit au sens propre du terme : je note deux ou trois gags et dialogues sur des bouts de papier, et je les remets dans l’ordre le moment venu. En fin de compte, seuls la ligne directrice de l’épisode (les événements majeurs qui s’y déroulent, dans leur ordre chronologique) et le storyboard sont couchés sur papier.
Il y a juste un moment du mois ou plus (beaucoup plus) sérieusement on se prend entre quatre yeux et on met au propre nos idées, et là je commence à storyboarder en empêchant Florence de retourner sur Internet ! Il s’agit des deux/trois jours du mois où on se déteste cordialement je pense, mais au final on rigole bien !
Franchement, je ne pourrais pas faire Sentai school seul. La série est vraiment le fruit de nos deux cerveaux malades conjugués. Déjà, travailler à deux permet d’avoir un meilleur recul, surtout quand on essaye de faire de l’humour : si l’un des deux ne rit pas, le gag est rejeté immédiatement (généralement d’ailleurs on garde les gags de Flo, dont l’humour est bien supérieur au mien !). Ensuite, le travail à deux entraîne une émulsion et une interaction : dans un premier temps, l’un de nous va sortir le gag le plus crétin, puis le second rebondit dessus, le premier y revient, et au final on a un gag de fond à la page 2 qui revient à la fin de l’épisode !
Pour le dessin, Flo dessine aussi, mais je m’y suis collé plus ou moins naturellement car je dessine plus vite !

AL : Enfin, pouvez-vous nous parler de vos futurs projets destinés à voir le jour ?

P.C. et F.T. : En ce moment, nous avons trois séries en cours : Sentaï school tout d’abord, dont la publication continue son petit bonhomme de chemin (le tome 2 est en chantier, même si on a pas encore de date de sortie ; tout dépend du rythme de prépublication de Coyote).

Il y a aussi Serge, le hamster de l’enfer, une série de gags en 1 planche, en couleurs cette fois, diffusé dans le magazine Manga Kidz depuis le 1er numéro. La série est écrite pour les plus jeunes, et nous fait bien rire, même s’il y a peu de chances qu’elle sorte en album relié un jour.
Et enfin nous travaillons sur Rolqwir, notre projet de BD parodique d’heroic-fantasy, dont la sortie devait se faire chez Semic en septembre / octobre 2004. L’humour s’inscrit dans la veine de celui de Sentaï school, avec un graphisme du même acabit. Par contre, il s’agit d’un grand format de 46 pages, tout en couleur, qui raconte une histoire complète. L’album ne sortira pas avant presque un an, mais mener trois séries de front n’a rien d’une sinécure ! Surtout avec deux titres prépubliés en presse, et la pression imposée par le respect des délais…
Nous continuons aussi les Animefans fictions, des strips plus ou moins autobiographiques paraissant dans Coyote mag et dans lesquels pas mal de fans de Japanim’ se reconnaissent. Pour finir, nous faisons diverses illustrations pour quelques magazines du groupe Sémic.

Remerciements à Thierry MORNET

Parlez-en à vos amis !

A propos de l'auteur