Le manga d’horreur de ITO Junji, Spirale (Uzumaki) a été adapté au cinéma : Uzumaki, le film, en est la transposition fidèle jusqu’au vertige par un ukrainien hypnotisé. Effroi, humour et torticolis garantis.
Paru en 1998, le manga Spirale de ITO Junji développe à l’infini le motif de la spirale sous un jour horrifique. La malédiction de la spirale qui frappe la ville de Kurouzu a connu en 2000 le bonheur d’une adaptation filmique très respectueuse. L’ukrainien HIGUNCHINSKY, dont c’est le premier long-métrage après différentes réalisations pour la télévision notamment, transpose fidèlement l’oeuvre originale, entre horreur et humour, obsession et second degré, en utilisant les possibilités visuelles offertes par le cinéma. Uzumaki en devient une parodie de film d’horreur pour adolescent(e)s. Spirale le manga est une suite de courts récits construits autour de deux adolescents, Kirie et son petit ami Shuichi, et de la ville qu’ils habitent, Kurouzu. Shuichi se pose beaucoup de question sur leur cité, qui semble soumise à l’emprise du motif graphique de la spirale. Au fil des historiettes, les craintes de Shuichi se confirment : la ville et ses habitants, confrontés à d’horribles événements, sont maudits : proches, amis, voisins ou inconnus, tous sont peu à peu gagnés par l’obsession de la spirale. Folie et transformations physiques monstrueuses précèdent souvent une mort effroyable.
Le film reprend quelques histoires en respectant le ton donné par ITO : le mangaka développe un univers particulier, en vase clos, dans un mélange curieux d’horreur crado pour les faits et d’innocence conférant à l’inconscience pour les personnages. Cette association rigolote d’atroce et de naïf faisait le charme du manga ; HIGUNCHINSKY l’accentue encore un peu plus. De prime abord film d’horreur, Uzumaki reprend l’horreur visuelle typique du manga. La spirale a un effet hypnotiques et d’aspiration : ses victimes sont peu à peu déformées physiquement, cette transformation reflétant leur état psychologique d’obsession pour le motif. Happés par la spirale qui plane au-dessus de la ville, et est semble-t-il présente partout tout le temps, les habitants se muent en escargots géants ou voient leur corps s’entortiller sur lui-même, reproduisant ainsi la spirale et perdant humanité et individualité. HIGUNCHINSKY reproduit les mêmes images frappantes du manga (le père de Shuichi enroulé, les yeux tournoyant du père de Kirie, etc) avec le même aspect dégueulasse et glauque (saleté, boue, sang, mutilation, insectes grouillants…) sans aller pourtant aussi loin (nuls cadavre pourrissant ou femmes enceintes vampires comme dans le manga). Tout comme ITO, qui s’est fait un vrai délire autour de la spirale, il s’amuse à introduire le motif dans presque tous les plans… Sous la forme d’une roue de bicyclette, d’un parapluie, de nuages à la VAN GOGH, d’ustensiles de cuisine ou de vaisselle, de nourriture, la pleine lune même devient sujette à la spiralité ! Mais ce n’est pas tout : plus subtiles sont les mini-spirales réalisées par effets spéciaux, presqu’imperceptibles, qui viennent juste déformer l’image… La tentation, fatalement, étant de compter combien il y en a dans le film ! On finit par se prendre au jeu et en voir partout. Notre vision se modifie, on ne regarde plus la même chose qu’au début du film ; on cherche la spirale dans le plan, l’oeil se fait soupçonneux, inquisiteur. Ainsi, nous sommes à notre tour victimes de la spirale…
L’autre versant horrifique est le bizarre, remarquablement exploité par les techniques cinématographiques et la mise en scène. La caméra permet au réalisateur de créer des images étranges : les changements de focale déforment les visages ou les agressent, les zooms surprennent et oppressent. Idem pour le montage : certaines images sont montées de travers, le personnage apparaît sur le côté, tête en bas, etc, formant au bout de quatre prises en angle de 360° (une spirale donc). En ce qui concerne la mise en scène, l’ambiance irréaliste, totalement fantastique, semble remarquée uniquement par le spectateur et le perspicace Shuichi (difficile pourtant de passer à côté…). Quand Kirie discute avec sa copine de classe, elles ne voient pas que des lycéens zombifiés se tiennent immobiles de chaque côté du couloir ; quelqu’un marche à l’envers dans la rue ; le père de Shuichi filme celui de Kirie, potier, de façon effrayante, sous les yeux de sa fille très légèrement intriguée, mais vraiment très très légèrement… Qu’y a-t-il de plus effrayant ? Faut-il être rassuré par le regard vide et insouciant de Kirie ou doit-on au contraire trouver son absence de réaction aussi anormale que la scène hallucinante entre les deux chefs de famille ? On s’interroge aussi sur cette ville fantomatique (il n’y a jamais personne dans les rues) et isolée (l’équipe de journalistes, dont le reportage est particulièrement débile, ne parviendra pas à ressortir du tunnel, seul passage vers le reste du monde (?).). Son aspect ancien, désuet, rajoute à l’impression que le temps s’est arrêté à Kurouzu (ce qui est peut-être le cas, d’ailleurs…). Que penser aussi d’une ville où les couleurs du ciel, presque constamment nuageux, oscillent entre mauve, rose, violet ou gris ? La lumière n’est jamais franche : la couverture sombre des nuages succède aux couchers de soleil obliques… Les personnages paraissent parfois plaqués, comme mis en incrustation sur des décors de théâtre. Le film construit admirablement cet effet de monde hanté, maudit, passé dans une autre réalité, peuplé de semi-fous, eux aussi passés de l’autre côté, entrés dans le monde de la spirale. Cercle vicieux, cycle infernal, qui fatalement vous absorbe en elle.
Le parti pris volontairement outrancier dans l’horreur et dans l’étrange n’est pas seul responsable du tout décalé qu’est Uzumaki. Une naïveté digne de fantasmes d’adolescente creuse encore le sillon de la parodie du film d’horreur.
HIGUNCHINSKY s’est manifestement laissé porter par le côté bon enfant, ou plutôt bon adolescent, du manga, en en poussant à fond la parodie. Les personnages sont de vraies caricatures : Kirie (HATSUNE Eriko) est mignonne et nunuche à souhait, complètement à côté de la plaque, encore moins réactive que son homologue dessinée. Quand elle est convaincue, après bien des bizarreries, qu’effectivement il se passe des choses pas tout à fait normales à Kurouzu, on a dépassé la moitié du film. Si Kirie est une caricature de lycéenne, son petit ami, lui, est au contraire, encore plus singularisé. Mignon et sombre jeune homme aux traits fins dans le manga, Shuichi (FHI Fan) acquiert un visage en lame de couteau, émacié et quasi féminin, à la perfection presque gênante… HIGUNCHINSKY prend un malin plaisir à les filmer ensemble dans des ralentis bêtas, produisant un romantisme volontairement téléphoné: au son d’une harpe, à vélo, lui, impassible et absent, elle, tout sourire et insouciante.
Kirie marche sur des petites musiques rigolotes, va chez le marchant de fruits et légumes qui lui offre un melon pour son père, puis en compagnie de ce dernier, s’extasie longuement sur le goût du melon en question. La palme revient peut-être à la scène où Kirie soupire abondamment devant l’album rempli de photos d’elle et Shuichi enfants. Les photos s’animent dans un flash-back fleur bleue, et Kirie, repensant à la proposition de Shuichi de fuir de la ville, à laquelle elle n’a manifestement rien compris, baille faussement, la jeune actrice surjouant de façon comique.
On nage en plein fantasme gentillet: personnages, intrigue sentimentale, description de la vie au lycée (Sekino, excellente, et son gang, sorties tout droit d’un vidéo-clip sucré, le souffre-douleur obèse, le beau gosse grande gueule…), tout est complètement «rêvé» et filmé comme tel.
Si le film est réussi, c’est sans doute par son habileté à jouer sur plusieurs tableaux : l’horreur et la parodie de l’horreur. On joue à se faire peur… Le film exploite fort bien le délire naïf de ITO, et la boucle est bouclée.
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