Silence (Martin Scorsese, d’après le roman de Shūsaku Endō)
Dans ma perspective de découvrir encore davantage la filmographie d’Adam Driver, je viens enfin de visionner ce film sorti en 2016 que j’avais complètement loupé à sa sortie et qui m’intéressais depuis plusieurs mois. Il avait tout pour me plaire (thème, film historique, un réalisateur prestigieux, le Japon, Adam Dri… enfin voilà vous avez compris où je veux en venir !) et au final, il ne m’a absolument pas déçue.
Le récit prend place dans le Japon du XVIIe siècle, en pleine répression antichristianisme, notamment envers les missionnaires portugais et les Japonais devenus chrétiens. Huit ans avant que ne débute notre histoire, le prêtre jésuite Ferreira, éprouvé par les tortures et les exécutions, a fini par apostasier sa foi et vivrait désormais en vrai Japonais. Cette révélation déstabilise profondément deux jeunes prêtres portugais, Sebastiaõ Rodrigues (interprété par Andrew Garfield), dont Ferreira fut le mentor, et Francisco Garupe (interprété par Adam Driver), qui refusent d’accepter cette vérité et décident de retrouver le père Ferreira au Japon. Une expédition difficile, dangereuse et douloureuse commence pour les deux jeunes gens, marqués par leur foi et leur statut de prêtre, dans un pays inconnu où les Chrétiens doivent désormais se cacher pour continuer à pratiquer leur religion.
Avant toute chose, je tiens à souligner un point : le film n’est pas évident à aborder selon quel public l’on est. Pas forcément au niveau du contexte historique, car si nous avons peu d’informations à ce sujet, il n’est pas non plus nécessaire de connaître précisément la situation géopolitique du Portugal ou du Japon à la même époque. Plutôt car le film propose deux approches très différentes :
– Une première approche historique avec la persécution des Chrétiens, les rapports entre Occidentaux et Orientaux, encore balbutiants à cette époque, les différences culturelles (voire la xénophobie, mais dans une approche clairement culturelle et spirituelle)… Cette approche figure beaucoup durant les scènes de tortures (assez éprouvantes, je préviens) ou la vie quotidienne de la population.
– Une seconde approche plus spirituelle, notamment présente durant les discussions entre Rodrigues et certains de ses interlocuteurs japonais, à la fois amusés et intrigués par la naïveté et en même temps l’attachement de ce jeune prêtre à sa foi, <span style=”color: #050505; font-family: ‘Segoe UI Historic’, ‘Segoe UI’, Helvetica, Arial, sans-serif; font-size: 15px;”>ou encore par l’intermédiaire du personnage de Kichijirô, un Japonais converti, forcé d’apostasier il y a 8 ans et qui depuis est torturé par ses actes.</span>
Car si l’environnement du film se veut clairement historique, on appréciera d’ailleurs la magnifique photographie et la reconstitution du XVIIe siècle, le fond est davantage marqué par la religion. Scorsese ne cherche pas à nous imposer le christianisme ou le bouddhisme, il laisse aux différents personnages exprimer deux points de vue très différents. Ainsi, les Japonais chrétiens ont trouvé dans cette religion un message novateur et attrayant dans une société de castes où les gens ne naissent pas égaux (je vous renvoie d’ailleurs sur ce point au manga ”Kamui Den”, qui traite du cas des ”Inin”, assez semblables aux ”Intouchables” hindous ou aux Cagots du Sud de la France).
De l’autre côté, les Portugais ne comprennent pas vraiment les croyances locales, en particulier le rapport avec la divinité : ”pour un Japonais, Dieu est l’équivalent du soleil, il est toujours vivant”, nous dit à un moment Ferreira, désormais résigné à vivre en bouddhiste et persuadé que le christianisme est incompatible avec la pensée japonaise. Rodrigues, plus jeune et plus idéaliste, croit pourtant fermement que les Japonais chrétiens sont comme lui et acceptent de mourir pour leur foi. Le film pose ainsi un débat crucial dans l’évolution du personnage de Rodrigues : vaut-il mieux rester fidèle à sa foi, quitte à en mourir, ou est-il parfois préférable d’y renoncer lorsqu’il s’agit de sauver des vies humaines ? Chacun des deux jeunes prêtres, qu’il s’agisse de Rodrigues ou de Garupe, choisira ainsi un destin différent dont je vous laisse la surprise.
Le film a malheureusement quelques petites longueurs, mais il se rattrape grâce à sa photographie et aux interprétations brillantes des différents acteurs, tant Occidentaux que Japonais. J’avais déjà souligné combien je trouvais Adam Driver talentueux, je découvre enfin ce que vaut Andrew Garfield, dont l’image auprès du grand public souffre hélas du même syndrome que Driver : depuis qu’il a tourné dans un blockbuster, il est réduit à ce seul rôle. Ce film était une bonne occasion de le voir dans un rôle plus complexe : il insuffle notamment beaucoup d’humanité à son personnage.
Que l’on ait la foi ou non, que l’on soit connaisseur du Japon traditionnel ou pas vraiment, ”Silence” a beaucoup d’atouts et s’il n’est peut-être pas le Scorsese le plus accessible, il met en avant quelque chose qui se voit de moins en moins dans le cinéma : l’être humain. Et rien que pour cette mise en valeur : je vous le recommande !