Tracks (2013)
Adapté du livre de Robyn Davidson (paru en 1980), le film retrace son étonnant parcours long de 2’700 km à travers le désert australien, depuis la ville d’Alice Springs jusqu’à l’Océan Indien, uniquement accompagnée de son chien, de quatre dromadaires australiens et de temps à autre par un photographe du National Geographic un brin trop zélé. Voilà comment le film pourrait être résumé le plus simplement possible. Cet aspect succin lui va d’ailleurs plutôt bien, car le film est difficile à évoquer uniquement avec des mots ; les images contribuent beaucoup aux sentiments que l’on ressent vis-à-vis du parcours de Robyn Davidson.
Tracks c’est l’histoire d’un défi, d’une aventure solitaire, d’une recherche de soi-même à travers un paysage rude et en apparence inhospitalier. Des années plus tard, Robyn Davidson répondra que cette vision du désert aride et mortel est très masculine, elle ne l’a pas ressenti de la même manière. Selon elle, le désert australien est dangereux à partir du moment où l’on n’est pas assez préparé ni équipé. Son parcours est d’autant plus intéressant – à l’époque – qu’elle l’affronte véritablement seule, juste accompagnée de sa chienne et de ses dromadaires, sans être accompagnée d’un homme. Le photographe Rick Smolan, s’il la suit de temps à autre et lui apporte une certaine assistance vers la fin en déposant des jerrycans d’eau à certains endroits stratégiques, n’est pas non plus son compagnon de route. Le voyage de Robyn en devient ainsi très personnel et on ressent au fil de l’histoire combien celui-ci compte pour elle, y compris son objectif d’aller jusqu’au bout.
Robyn a également un profond respect pour les populations aborigènes et leur culture, certains Autochtones comme le guide Eddie lui viendront en aide, fascinés par sa volonté de réussir à tout prix son projet. Encore aujourd’hui, le souvenir de cette expédition se perpétue auprès des Autochtones, Robyn étant connue sous le nom de ‘’The Camel Lady’’ (la demoiselle aux dromadaires). La fille d’Eddie, Jean Burke, exposera en 2011 une peinture rendant hommage à l’expédition de Robyn.
Le livre de Robyn Davidson eut beaucoup de succès à l’époque, notamment auprès d’un public féminin qui apprécia qu’une femme entreprenne ce projet sans suivre un homme ou être sauvée par ce dernier. Pour autant, le film ne cherche pas à jouer sur l’opposition entre un homme et une femme. Une scène durant laquelle Robyn tente de dépecer un animal – son guide autochtone l’interrompt alors pour lui expliquer que c’est interdit aux femmes – y fait bien allusion, mais le réalisateur cherche plutôt à respecter les mœurs de la population aborigène. Et si Rick tente bien de persuader Robyn de renoncer à son projet, il finit par lui faire confiance et accepte son choix.
Le personnage de Rick a par ailleurs fait l’objet d’un certain soin par rapport au scénario initial. Comme l’explique le réalisateur John Curran dans le making-of, le script ne savait que faire de ce photographe qui s’incruste durant les pérégrinations de Robyn avant que leur relation ne se fasse plus intime. Pour financer son expédition, la jeune femme avait accepté contre son gré de rédiger un article pour le National Geographic et la présence d’un photographe pour l’illustrer. Elle imposa toutefois Rick Smolan, car elle l’avait déjà rencontré une première fois. Le film s’inspire donc autant du texte de Robyn Davidson pour la narration que des photos de Rick Smolan pour la mise en scène. Certains plans du film sont même strictement identiques aux photos prises par Smolan. Les décors y gagnent ainsi en profondeur et en réalisme tout en gardant une approche très artistique. À la manière de ce que faisait Charles Ferdinand Ramuz dans sa Grande peur dans la montagne, le désert prend forme et devient son propre personnage. Mais c’est surtout, toujours selon John Curran, l’improvisation d’Adam Driver, à qui il laissa carte blanche, qui apporta énormément de spontanéité et d’envergure au personnage du photographe. Tracks est également le premier film dans lequel Adam Driver obtient le premier rôle masculin, alors qu’il n’avait fait jusqu’à présent que de brèves apparitions au cinéma.
Pour mieux comprendre cette expédition, n’ayant pas encore pu lire son livre ou l’article publié dans le National Geographic, le making-of disponible sur le DVD m’a été fort utile. Ce documentaire laisse la parole au réalisateur John Curran, un habitué des films naturalistes, aux acteurs principaux Mia Wasikowska et Adam Driver, et aux protagonistes de cette aventure véridique, Robyn Davidson et Rick Smolan. Riche en anecdotes et en explications – tant sur l’expédition de Robyn que sur la réalisation du film – il apporte un regard très personnel sur les motivations de chacun et leurs points de vue sur cette aventure.