Le vote des ammendements à désavoué le gouvernement, mais, il ne baissera pas les bras, devant la “trahison” de ses députés…
Le débat sur le droit d’auteur remis à janvier
LE MONDE | 23.12.05 | 13h18
Très mauvaise journée, jeudi 22 décembre, pour Renaud Donnedieu de Vabres, le ministre de la culture et de la communication. Il pensait faire adopter par les députés, avant la fin de l’année, son texte relatif au droit d’auteur sur Internet. Il n’en a rien été. Peu après minuit, après une invraisemblable cacophonie au sein de la majorité, l’examen du projet à l’Assemblée nationale a été suspendu par le gouvernement. Le débat ne doit reprendre qu’après les vacances parlementaires, qui s’achèveront le 16 janvier 2006.
“Désinformation” selon le ministère
Le ministère de la culture a adressé à la presse par courriel, un communiqué intitulé : “Halte à la désinformation !” Il est accompagné de cinq vidéos dans lesquelles cinq jeunes garçons et filles s’inquiètent du projet de loi ministériel relatif au droit d’auteur sur Internet : “J’ai lu quelque part que cette loi allait empêcher les artistes de créer librement” ; “J’ai lu sur un site que cette loi sera rigide et appliquée sévèrement” ; “Je suis certain que c’est les industriels qui vont en profiter.” Après chacune de ces remarques, un logo rouge envahit l’écran : “FAUX !” Et une voix féminine affirme que le projet de loi trouve un équilibre entre liberté de l’internaute et droit de l’auteur.
La journée horribilis du ministre avait commencé dès mercredi, quand une partie de l’UMP l’avait lâché en votant avec la gauche deux amendements qui reviennent à légaliser le piratage sur Internet tout en ouvrant la voie à la création d’une licence globale : celle-ci permet à l’internaute de télécharger, contre quelques euros par mois, films et musiques.
Hostile à ces amendements qui, à ses yeux, réduisent les droits des auteurs de films ou de musiques, le ministre espérait avoir recours à une deuxième délibération qui les annulerait. “J’ai mes convictions, je les défends avec force”, a-t-il déclaré.
Bernard Accoyer, président du groupe UMP, lui a coupé l’herbe sous le pied en déclarant jeudi après-midi, dans les couloirs du Palais-Bourbon, qu'”il n’était pas question de revenir (…) sur ce qui avait été voté, mais d’approfondir le débat”. Après de longs conciliabules, le gouvernement a décidé de reporter l’examen des deux premiers articles du projet de loi. Bref, de donner à M. Donnedieu de Vabres le temps de convaincre sa majorité.
La discussion fut ensuite laborieuse, émaillée de rappels au règlement et de suspensions de séance. Seulement six articles sur vingt-neuf ont été adoptés. Patrick Bloche (PS) a eu beau jeu de dire que “le gouvernement n’était pas prêt” et de déplorer l’impréparation des dossiers. Au nom du groupe UDF, François Bayrou a affirmé que “la sagesse serait de suspendre l’examen du texte” et a condamné “l’improvisation de dernière minute” dont a fait preuve M. Donnedieu de Vabres en déposant une abondance d’amendements en séance.
A LA SAUVETTE
Deux amendements ministériels sont même importants. Le premier concerne la “réponse graduée” au pirate : lui envoyer un courriel, puis une lettre recommandée, enfin une amende. Le second sur la création d’une autorité de régulation d’Internet.
Ces pratiques à la sauvette ont agacé le président de l’Assemblée, Jean-Louis Debré, qui comptait déjà proposer une panoplie de mesures visant à les endiguer. M. Debré avait déjà été irrité, mardi, quand des salariés de la société Virgin arborant des badges du ministère de la culture étaient venus faire des démonstrations de téléchargement de musique près de l’Hémicycle… Le président du groupe socialiste, Jean-Marc Ayrault, a alors dénoncé “l’inquiétante proximité entre le gouvernement et des lobbies économiques puissants”. M. Debré avait mis fin à la manifestation.
Pour corriger la fronde du groupe UMP de la veille, Thierry Mariani a déclaré que l’UMP dans son ensemble condamnait l’amendement sur la licence globale. “Nous ne maintiendrons pas cette disposition”, a-t-il promis en guise de repentance. Françoise de Panafieu est allée dans le même sens. D’où les railleries de Jean-Pierre Brard (app. PCF) : “Ce ne sont plus les mêmes députés dans les rangs. On a retiré du front ceux qui avaient pactisé avec la gauche et on nous a ramené un autre groupe UMP.”
La journée a en effet été employée à tenter de convaincre les députés de la majorité à se rallier à la position du ministre de la culture. Alors que ce dernier a fait appel à la “réconciliation”, l’UMP a demandé, par la voix de Mme de Panafieu, un groupe de travail pour sortir de l’impasse.
Au PS, Patrick Bloche a souhaité une mission d’information et demandé à ce que l’Assemblée nationale réécrive le texte. Pour le ministre de la culture, le bilan est noir : son projet est renvoyé aux calendes grecques alors que le vote des deux amendements et la licence globale provoquent le feu dans les milieux culturels.
Nicole Vulser
Article paru dans l’édition du 24.12.05
Ces ammendemends ont rendus furieux des artistes et des maisons de disque
Eddy Mitchell : “Que les députés démissionnent. Ou ne soient plus rémunérés”
LE MONDE | 23.12.05
L’adoption par les députés, mercredi 21 décembre, de deux amendements permettant la légalisation des échanges de fichiers sur Internet a provoqué un tollé dans le milieu de l’industrie musicale.
Jeudi, les représentants de la filière — le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI), la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), la Chambre syndicale de l’édition musicale (CSDEM) et le Syndicat des détaillants spécialisés du disque (SDSD) — donnaient une conférence de presse commune à Paris au café Le Bourbon, à côté de l’Assemblée nationale, en présence des chanteurs Alain Chamfort et Vincent Delerm et du pianiste Jean-Philippe Collard.
Pour le compositeur Laurent Petitgirard, président de la Sacem, “demain, les artistes ne trouveront pas de producteurs. Ces amendements ne sont pas tolérables et utopistes, ils mettent en danger le droit moral des artistes. Les tarifs pour la licence globale ont été indiqués sur la base d’un sondage où on demandait ce que l’internaute était prêt à payer. Qu’on demande au peuple ce qu’il est prêt à payer pour le kilo de boeuf ou le mètre carré à Paris !”.
Denis Olivennes, PDG de la Fnac, observe que “parmi les 200 000 références” proposées par son enseigne, “90 % vendent moins de 50 disques par an. Elles vont disparaître s’il n’y a pas de rémunération des artistes. Seules les références anglo-saxonnes vont survivre. Si la licence globale se développe, les disquaires disparaîtront aussi. La France était à l’avant-garde de la protection de la création culturelle, désormais elle est à l’arrière-garde.”
Pour Jérôme Roger, directeur général de l’UPFI, “trente députés ne se sont peut-être pas rendu compte qu’ils envoyaient un signal à 8 millions d’internautes : Allez-y téléchargez tout ! Deux années d’efforts sont détruites”.
LE FORESTIER ET BEAUMARCHAIS
Les réactions d’artistes se sont multipliées pour dénoncer la licence globale, proclamer la mort de la diversité culturelle ou ironiser sur la gratuité des biens culturels. “Tout travail mérite salaire sauf le travail artistique”, devise Jacques Dutronc. “Si ma musique devient gratuite, a déclaré Michel Sardou, alors je demande aux représentants de l’Etat qui travaillent pour le bien public de le faire gratuitement.” Eddy Mitchell : “J’espère que l’Assemblée nationale va démissionner à moins que les députés ne soient plus rémunérés.”
Un communiqué signé entre autres par Johnny Hallyday, Louise Attaque, Thomas Fersen, M et Corneille précise que si ces artistes “étaient opposés aux sanctions prises contre quelques internautes ayant téléchargé illégalement de la musique sur Internet, cette position ne signifie en aucun cas qu'(ils sont) favorables à un système de licence globale.” Maxime Le Forestier observe que celle-ci est “un recul par rapport à Beaumarchais, créateur du droit d’auteur en 1791”.
Plus virulent, Louis Bertignac affirme que “cet amendement est débile et rappelle, étrangement, les heures les plus sombres du système soviétique. Il serait si simple de faire payer un forfait (moins de 7 euros) inclus dans l’abonnement, donnant droit au téléchargement d’un giga de données, et que chaque giga supplémentaire de données téléchargées soit taxé, par exemple de 1 euro reversé aux ayants droit.”
A l’inverse, les sociétés civiles, Adami (Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes) et Spedidam (Société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes musique et danse) soutiennent la licence globale. La Spedidam, qui “souhaite que le gouvernement prenne pleinement en compte ce choix lucide des députés”, a lancé une pétition déposée devant huissier. Elle a, selon elle, recueilli 13 500 signatures d’artistes-interprètes. Directeur juridique de la Spedidam, Xavier Blanc précise que ces signataires “préfèrent rester anonymes, par crainte de représailles de la part de leurs maisons de disques”.
“Nous considérons que le préjudice n’est pas si grand et qu’il est contre-balancé par des avantages en termes de spectacle vivant ou de notoriété, a expliqué un de ces artistes au Monde. Ce que l’on propose, c’est une somme prélevée sur les abonnements que les sociétés civiles nous reverseront.” Ce dernier ajoute que le projet du ministère vise à “livrer les artistes pieds et poings liés à l’industrie informatique. Je préfère négocier avec Pascal Nègre (PDG d’Universal Music France) qu’avec Bill Gates”.
Bruno Lesprit
Article paru dans l’édition du 24.12.05
Bef, rien n’est acquis, il faudra attendre le mois de janvier pour voir si l’Ump aura récupéré ses troupes, affaire à suivre…
:pingu::pingu:
Edité par arkhantos le 24-12-2005 à 18:54