Un peu en retard mais c’est toujours bon à savoir.
LE MONDE | 16.07.04
Les sociétés d’auteurs et les maisons de disques seront-elles bientôt autorisées à ficher les habitués des systèmes d’échange de musique en ligne ? La réforme de la loi de 1978 sur l’informatique et les libertés (Le Monde du 14 juillet), adoptée jeudi 15 juillet par le Parlement permet aux personnes morales de relever et de traiter les données relatives à des infractions dont elles s’estiment victimes. En d’autres termes, les ayants droit pourront exercer une surveillance des réseaux de poste à poste (P2P, ou peer to peer, en anglais) pour y relever des comportements illicites : téléchargement d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou mise à disposition de tels fichiers à un large public.
La loi de 1978 disposait, au contraire, que toute collecte de données personnelles effectuée sans le consentement explicite des intéressés n’était pas licite. Très contesté, cet important revirement du texte devrait faire l’objet, entre autres, d’un recours des parlementaires socialistes – dont les 45 derniers amendements ont tous été rejetés – devant le Conseil constitutionnel.
“Cela s’inscrit dans le cadre d’un texte qui, en deuxième lecture, a été rendu particulièrement permissif vis-à-vis de la constitution de fichiers privés, souligne un conseiller du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Cela pose un grand nombre de problèmes, comme le contrôle des données fichées et leur mutualisation.” De leur côté, les associations de défense des libertés dénoncent la constitution de “casiers judiciaires privés”, selon l’expression de Meryem Marzouki, présidente de l’association Iris.
D’autres aspects restent obscurs. La valeur de tels fichiers d’infractions devant une juridiction est difficile à évaluer. Les usurpations d’identité (ou d’adresse d’ordinateur sur Internet, IP) sont fréquentes et un internaute accusé à tort ne pourrait pas prouver sa bonne foi. Toutefois, comme le dit Christophe Pallez, secrétaire général de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), “la constitution de fichiers d’infractions liées au viol du droit d’auteur sera encadrée par la CNIL”.
Selon les détracteurs du texte, l’autorisation du fichage des internautes est le résultat du lobbying intense des maisons de disques pour l’instauration d’un contrôle étroit d’Internet. Dans le projet de loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), les ayants droit ont déjà tenté de faire valoir leurs revendications en la matière. Une disposition de ce texte suggérait ainsi que les hébergeurs pouvaient être rendus responsables des contenus mis à la disposition du public. Il aurait donc été possible aux éditeurs phonographiques de contraindre les hébergeurs, sous peine de poursuites, à ôter de leurs serveurs toute œuvre protégée.
Mais, dans sa décision rendue le 10 juin (Le Monde du 17 juin), le Conseil constitutionnel avait précisé cette responsabilité des hébergeurs, la limitant aux seuls contenus “manifestement illicites”, comme les documents à caractère pédopornographique ou raciste. Commentant cette décision, Jean-Eric Schoettl, secrétaire général du Conseil constitutionnel, avait même souligné que la violation du droit d’auteur ne pouvait entrer dans la catégorie de ces délits “manifestes”.
Après ce premier échec infligé par les juges constitutionnels, les majors risquent de voir annulée une disposition destinée à limiter l’échange de musique en ligne – ou de la voir précisée de manière à la rendre inopérante.
Par ailleurs, le recours préparé par les socialistes ne portera pas uniquement sur la possibilité de créer des fichiers d’infractions. Les limitations de pouvoirs de la CNIL ou encore l’autorisation donnée à toute entreprise en mission de service public de collecter des données sans le consentement des intéressés inquiètent aussi le PS. Le texte de la saisine devrait être rendu public en début de semaine prochaine.
Stéphane Foucart