J’ouvre ce topic à l’occasion de la sortie de Paprika, 4e long métrage de cet homme illustre, qui en 5 œuvres a fait zéro navet, chose rare dans le métier. De plus il joue souvent avec les mêmes thèmes, & n’est pas forcement facile d’accès dans ses créations, ce qui je pense peut être le centre de discutions intéressantes.
Je me lance donc, avec mon avis sur Paprika, que j’ai vu Jeudi soir en avant première, en compagnie de quelques Pingouins comme moi privilégiés & motivés. Action.
Paprika
Oulah… Comment tenter de faire retranscrire la densité, l’épaisseur, le dégoulinement même, de ce film, tellement qu’il est plein comme un œuf ? Déjà, je me joins très volontiers à l’engouement général que procure ce film. Même si je suis conscient qu’il doit posséder une bonne dizaine de niveaux de lecture, et que par conséquent une vision unique ne peut nous faire qu’effleurer toute la richesse de ce métrage.
Deux mots sur l’histoire, pour ceux qui débarquent. Une invention encore expérimentale est créée : le DC Mini, qui permet à celui qui l’utilise d’entrer dans les rêves (cauchemars?) d’autres personnes, afin d’appliquer certaines thérapies sur celui ci (je ne sais toujours pas ce que veut dire DC, NDLR). Le Dr Chiba (faisant partie de l’équipe créatrice de l’engin), alias Paprika in ze Dream World, est une des meilleures “navigatrices”. Elle devra enquêter sur le vol de 3 de ces DC Minis, tout en proposant un final de film assez “apotéotique”, faut bien le dire…
Un des principaux attraits de ce films, après le fait que oui, c’est un Satoshi, etc etc, ce sont les références à foisons (ou du moins les choses auxquelles ce film nous fait penser) ! Allez, au hasard de ma mémoire: Akira (ce joli plan de ville dévastée, cet homme biologiquement grotesque), le trio Ghost In The Shell / Avalon / Matrix (pour le concept de casque, de monde “virtuel” & d’opérateur technique), Dragon Ball (je vous laisse trouver dans le film, c’est pas dur), toutes les œuvres antérieures de Satosho KON (films & série : c’est comme si, maintenant que le réal a bien acquis des points d’XP, il se faisait (plusieurs fois) plaisir (et nous avec, du coup) avec ses propres bébés : que du bonheur), et enfin Eternal Sunshine Of A Spotless Mind, la référence la plus pertinente pour moi, rien que pour le sujet. Certes, le traitement n’est pas le même (lavage de cerveau pour le film live VS thérapie dans l’anime), mais la forme est comparable: courses poursuites à travers l’esprit de personnes plus ou moins volontaires, avec tout ce que cela comporte en incohérences, en trips & autres évènements granguinolents & sans logique propres aux rêves que nous faisons. D’ailleurs le film pousse le détail de manière intéressante, en distinguant bien les rêves du sommeil profond (“trips psychédéliques”) & du sommeil paradoxal (“courts métrages d’auteurs”) : images assez sympa. C’est peut être l’inverse d’ailleurs, à confirmer. Là ou le film de Michel GONDRY est sombre voire glauque, celui de KON est très coloré, tout en étant un pur régal pour les zygomatiques (mention spéciale au flic content de sa connerie, mwhahaha (toute la salle a applaudi)). Le coté défilé hétérogène m’a pas mal fait pensé à Chihiro, aussi. Bien sûr, le reste de l’ensemble technique tient superbement la route: animation, musique (toujours son compositeur adoré déjà entendu sur PA & Chiyoko), etc. A noter la séance d’intro / générique : un bijou d’animation & de transitions, qui donnent bien le ton du film. Pour conclure sur l’aspect forme, le chara-design de KON est au top de ce qu’il peut être, surtout la charmante Paprika (que ce soit la version réelle ou rêvée), qui dégage une classe extraordinaire, rien que par son regard & ses manières d’agir : on en mangerait tellement c’est bon.
Coté fond, ça dépote pas mal, non plus! On retrouve encore une fois les thématiques fétiches du réalisateur, qui le collent encore & toujours à la peau : découverte ou mise à nue de soi via une projection externe de son ego (à ce propos l’image du cocon est tout simplement magistralement trouvée pour représenter un avatar), soupçon de schizophrénie, critique plus ou moins acide de la société moderne (ce symbole du téléphone portable a vraiment l’air de hanter KON au plus profond de son être), etc. Beaucoup de messages cachés à mon avis, qui mériteront bien quelques visions de plus pour bien ingérer tout le film (puis le voir de 22h à minuit n’est pas l’idéal non plus, surtout après une nuit de 5h auparavant… 😪). Beaucoup ont comparé ce film à Paranoia Agent, c’est vrai qu’on y retrouve des points communs au niveau visuel (le design de la peluche repris, la représentation de la rue), mais au niveau histoire les deux œuvres ont quand même leur identité propre. J’avoue ne pas avoir bien mémorisé la fin de P.A. (ne jamais regarder 13 épisodes d’un coup (surtout le soir), les derniers restent toujours flous après), je reviendrai sur la comparaison de Mayk après revisionnage de celle ci, hé hé hé…
Coté défauts (car oui, on en trouve toujours, ne serait-ce que pour chercher la petite bête), je citerai tout d’abord un petit truc qui m’a fait tilter. – !! ATTENTION SPOIL !! – Trois DC Mini ont été volé, & il me semble bien que ce n’est qu’un seul & unique qui est retrouvé. Et les deux autres? On se doute bien qu’a la fin, on sait que ce sont le directeur & son sbire qui les ont, mais quand même… Ils s’en passent, donc que deviennent les deux autres ? Et c’est la que j’arrive à la chose qui me dérange un peu vis à vis de KON, à force : sa passion pour le virtuel envahissant le monde réel. OK, la mise en scène est léchée, le scénario béton dans son genre, toussa toussa. Mais j’ai un peu peur qu’à force de tirer sur la ficelle, il commence un peu à tourner en rond dans sa thématique, surtout que je trouve la justification de cette invasion pas super bien expliquée (donc justifiée). D’accord, le coup du mélange de rêves à travers les personnes, je veux bien que cela s’explique par la “non sécurisation” des DC Minis construits (un peu gros, mais pourquoi pas), mais à la fin on part vraiment en plein délire mégalo, certes très drôle & bien foutue, mais dérangeante avec le recul (pour moi). Là ou pour Perfect Blue & Chiyoko Millenium Actress ça tenait la route, ici j’ai l’impression que ça dérape un peu. (comme dans P.A., d’ailleurs , je me rappelle que j’avais déjà tiqué pour la même raison. Illusion : je veux bien ; réalité des trips : hum, hum.). Pareil pour l’avatar qui prend vie & discute avec son homologue : j’ai du mal (même si cet évènement pose une question somme toute très intéressante: qui contrôle l’autre ?). Je retrouve via cette ficelle narrative, le même paradoxe que dans Avalon, avec Murphy… – !! FIN DU SPOIL !! – Ceci dit, je pinaille un peu, car je prends toujours grand plaisir à m’abreuver de tout ça, faut juste que je me moule dans la pensée de KON, & après ça ira mieux je pense!
Dernière chose avant de conclure, je suis d’accord avec Mayk : je n’arrive pas à retrouver la mauvaise image concernant les homosexuels soit disant véhiculée par ce film. Après l’article “catastrophique” (sur ce point) paru dans AL#126, je m’attendais vraiment à un truc lourd & constant tout le long du film, mais non. Rien. Juste une scène pour dire que les homos sont les méchants, OK. Ça dure 1 minute, à tout casser. Le reste, on s’en fout. Ya aucun rapport. Ils sont homos comme ils auraient pu être amateurs de belotte ou gothiques : leur homosexualité n’est pour moi qu’un trait de caractère pour décrire les persos, en rien une raison de leur “méchanceté” ni de leur complot. Enfin, à mon sens… On pourrait même enfoncer le clou en affirmant le contraire: pour moi KON est un gars super tolérant ! N’est-il pas celui qui a mis en scène pour la (quasi) première fois en animation des SDF? Dont l’un est… homosexuel & travesti, en plus. Alors bon. D’ailleurs il est amusant de constater à ce sujet que dans toute la filmographie (qui commence à s’étoffer) de KON, Tokyo Godfathers est son film le plus “reposant” qui soit, dans le sens d’une intrigue simple & aisée à comprendre. Le plus accessible, quoi.
Donc voilà. Quatre films, une série, cinq perles. Je sais pas pour vous, mais moi, ça me force au respect. Et dire que ce n’est encore qu’un jeunot. Encore.
Le 06 Décembre, donc, allez voir Paprika, & pour se défouler les neurones, Happy Feet qui sort le même jour!