東京BABYLON
Tôkyô est une ville sublime. Tout se côtoie en son sein, tant les immeubles gigantesques que les petits temples, la modernité superficielle que les traditions profondes. Elle se compose de millions d'existences, de rêves et d'histoires. Tôkyô symbolise autant les espoirs qu'elle laisse les faibles sur le carreau. Elle s'élève en entité divine, parsemée de milliers de lumières, comme une nouvelle Babylone. Et, selon Seiichiro Sakurazuka, elle s'amuse lentement d'observer de son propre déclin.
Tôkyô Babylon fait le récit d'individualités composant Tôkyô, des anonymes, des laissés pour compte dont les vies font aussi partie de ce formidable tourbillon d'énergie. On s'attache aux pas de Subaru Sumeragi, treizième chef de la famille Sumeragi, un onmyôji maître du yin et du yang. De tous temps, la famille Sumeragi fut rattachée aux dirigeants du pays. Elle œuvre dans l'ombre à contrôler les forces spirituelles, exorciser et protéger le Japon des désordres occultes.
Subaru, 16 ans, est le garçon le plus gentil, le plus généreux et le plus compatissant que l'on puisse connaître. A chaque affaire, il partage les souffrances d'autrui avec sincérité. Son cœur pur fait de lui quelqu'un d'extraordinaire, mais de vulnérable. Peu expansif, même si son talent fait de lui le plus puissant maître de toute la lignée Sumeragi, il cultive son jardin secret et souhaite devenir vétérinaire.
Subaru vit avec sa sœur jumelle Hokuto, son exacte réplique physique, son miroir. Drôle, exubérante, Hokuto est une fille irrésistible et un tourbillon de fraîcheur. Elle porte toujours des tenues détonantes, rit bruyamment et fait aussi preuve d'une grande générosité.
Subaru côtoie Seiichiro Sakurazuka, un homme plus âgé exerçant le métier de ses rêves. Seiichiro dit aimer Subaru, se montre incroyablement gentil et attentionné avec lui. Il ne semble pas rattaché à la famille de tueurs Sakurazuka, aussi experte dans l'art du yin et du yang. Pourtant, Seiichiro possède une facette étrange, ambivalente, que son jeune ami n'a pas remarquée.
Tout au long du manga, nous suivons le quotidien de Subaru aux côtés de Hokuto et de Seiichiro. Nous nous intéressons aux différentes personnes qu'il est amené à rencontrer, celles dont les vies s'imbriquent dans l'immense puzzle de Tôkyô. Elles permettent d'aborder des thématiques universelles (la solitude, la peur d'être différent, comment gérer la mort d'un proche…) et divers problèmes de société (viol, ijime, écologie, don d'organe, mauvais traitement des enfants ou des personnes âgées…). Les histoires des différents protagonistes sont touchantes, souvent émouvantes, elles donnent à réfléchir et s'avèrent très actuelles alors que Tôkyô Babylon a déjà plus de vingt ans.
En parallèle, l'histoire ne cesse de monter en puissance. Subaru est hanté par un rêve récurrent où il voit un homme sous un cerisier. Les mailles d'un piège semblent se tisser au fur et à mesure autour de lui, même si nous n'arrivons pas à en distinguer les aboutissants.
La relation entre Subaru et Seiichiro s'intensifie au fil des tomes. Certains passages sont d'un romantisme absolu comme lorsque nos deux héros se retrouvent seuls de nuit dans la tour de Tôkyô. Subaru n'assume pas son attirance envers lui, qui lui semble contre-nature. Pourtant, au fil du temps et après un certain drame, ses sentiments lui apparaissent de plus en plus clairs.
Tôkyô Babylon s'élève graduellement, bouillonne, et finalement explose dans un dernier tome magistral. C'est, je crois, l'une des rares séries des CLAMP à avoir, déjà, un vrai final, et surtout un final aussi terrible, cruel, parfaitement magnifique. Le tout dernier mot de cette histoire est donné dans X ; cela n'empêche pas Tôkyô Babylon de se conclure d'une façon absolument sensationnelle. Et, même si l'on en connaît l'issue ultime dans X, cela n'empêche pas de se prendre une gigantesque claque !
On pourrait reprocher à ce titre son graphisme, mais ce serait mal le connaître. Le trait particulier est loin d'être laid, on apprend même à beaucoup l'apprécier et il change des manga actuels. L'ambiance « années 90 », avec le côté nostalgique qu'elle apporte, trouve un écho remarquable dans notre présent. Les décors, souvent basés sur des photos de Tôkyô, sont très réalistes. On retrouve parfaitement l'ambiance de la ville, on reconnaît des lieux (Tôkyô Tower, Ikebukuro et le Sunshine 60, le parc d'Ueno…), c'est comme un voyage en immersion ! Enfin, la magie des onmyôji plonge dans un univers où se mêlent mantras, shikigami, inugami et autres croyances shinto et bouddhistes : pour le public, et encore plus pour un public occidental, tout ceci se révèle parfaitement fascinant.
En bref, Tôkyô Babylon mélange romance, surnaturel, réflexion et émotion. Les petites histoires s'imbriquent dans la grande, qui ne cesse de s'intensifier jusqu'à un final sublime. C'est une métaphore puissante du passage à l'âge adulte, un récit sur la vie, dans cette ville magique attendant la fin du monde.
Et vous, aimez-vous Tôkyô ?