Rencontre avec Iker Bilbao (Soleil Manga)

Un regard sur dix ans de Soleil Manga

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En 2013, vous avez fêté vos 10 ans. Quel regard portes-tu sur ce parcours ?
Soleil Manga est né des cendres de Vegetal Manga (le précédent label de l’éditeur, NDR). Sa renaissance a eu lieu en janvier 2003 : Alex BODECOT, son responsable, quitte Soleil Manga pour être remplacé par Laurent DUVAULT et Pierre-Alain SZIGETI. Après leur départ, Joanna ARDAILLON et moi-même avons repris la direction de Soleil Manga entre la fin novembre 2006 et début janvier 2007. Notre chance, c’est que lorsque nous avons pris nos fonctions, nos prédécesseurs avaient déjà acheté beaucoup de licences. Nous avons donc pu rencontrer les éditeurs japonais et prendre nos marques. Ensuite, nous avons procédé à nos propres acquisitions et apporté notre pâte.

Quelle place occupe le label manga au sein de la société Soleil, en termes de production et de chiffre d’affaire ?
Soleil Manga représente de 13 à 15 % de la production Soleil pour un chiffre d’affaire compris entre 8 et 9 %. Nous ne sommes qu’un petit label ! Le 3e ou 4e de Soleil, le premier étant « Les petits mondes d’Arleston » (Lanfeust de Troy et ses nombreuses déclinaisons, NDR) qui représente pas moins de 25 % de la production de la société

Comment considères-tu le marché du manga aujourd’hui ?
Comme un marché qui connaît sa quatrième, voire sa cinquième année de baisse de ventes consécutives. Néanmoins, si la tendance est plutôt à la régression, nous sommes loin de la chute que certains annonçaient. Toutefois, il manque clairement un renouvellement des locomotives, notamment dans le shôjo. Nana, Fruits Basket et Vampire Knight portaient jusque-là le marché. Aujourd’hui, ce qui est le plus porteur, c’est le genre survival (avec des manga comme Battle Royale ou L’Attaque des Titans, NDR). Si on regarde ce qui se passe dans le comics, on remarque qu’un titre comme Walking Dead a relancé le marché. Le manga manque d’un porte-étendard.

Au sein de ce marché, quelle place occupe Soleil Manga ?
Nous sommes le 10e éditeur français et faisons partie d’un petit pool de quatre avec Panini Manga, Delcourt et Tonkam qui représentent chacun entre 3,5 % et 2,5 % du marché environ. Par contre, nous sommes le seul éditeur du top 10 à voir ses ventes augmenter et ce sans tenir compte du Zelda – Hyrule Historia dont le succès biaiserait l’analyse. Fêter nos 10 ans en 2013 nous a permis de reconquérir notre notoriété, notamment avec la réédition deluxe de Battle Royale un succès historique, mais aussi avec le retour de Rozen Maiden à travers des opérations commerciales et partenariat.

Depuis juin 2006, Soleil a été racheté par Delcourt. Qu’est-ce que cela change pour vous ?
Guy DELCOURT est plus intéressé par le manga que ne l’était l’ancien responsable de Soleil, Mourad BOUDJELLAL (passé, depuis, au Rugby, NDR). Cela a rendu plus dynamique la collection. Nous profitons aussi de l’expérience de Guy DELCOURT, plus importante, là aussi, que celle de Mourad BOUDJELLAL. Guy a notamment beaucoup plus de crédit auprès des Japonais. Depuis que nous avons été rachetés, par exemple, Square Enix (FullMetal Alchemist, NDR) et Shûeisha (One Piece, NDR) nous ont ouverts leurs portes.

Quels sont – à l’exception du shôjo sur lequel nous reviendrons plus tard – vos best-sellers ?
Historiquement, Battle Royale – avec 60 000 ex. du tome 1 vendu – et les titres issus des licences de jeu vidéo – on compte 40 000 ex. du premier tome de Warcraft écoulés et entre 15 et 20 000 pour Suikoden III. Enfin, il y a l’adaptation du Le Capital, vendu à 20 000 ex pour le tome 1. Et bien évidemment les manga Zelda qui sur 10 volumes représentent près de 300.000 exemplaires vendus en cumulé.

Et, a contrario, vos plus grandes déceptions ?

Dans l’indifférence générale, nous avons dû arrêter deux licences : MI-8 Fukujin (2 tomes sur 10 édités, NDR) et Shônen Shojo (2 tomes sur 4 édités, NDR). Nous en vendions moins de 200 ex. ! Certains titres ne vendent pas plus de 1 000 ex. comme A Girls ou Deux eX Machina… Sur le shôjo, nous avons beaucoup moins de « ratés », parce que notre seuil de rentabilité reste suffisamment bas pour limiter les pertes. De plus nous avons opté pour une politique de séries courtes.

Vous avez réalisé deux « coups » éditoriaux. L’un avec Le Capital et l’autre avec Zelda – Hyrule Historia. Peux-tu nous en parler ?
Le Capital a bénéficié de deux « évènements ». Le premier est la préface d’Olivier BESANCENOT (ex porte-parole du Nouveau Parti Anticapitaliste, NDR) qui a fait parler du manga à la télévision, et nous a permis – via Demopolis, notre partenaire sur cette sortie – de nous ouvrir le carnet d’adresses de la presse généraliste. C’est ainsi que nous sommes entrés en contact avec Ali BADOU qui, en janvier 2011, l’a présenté au Grand Journal de Canal Plus. Nous avons suivi en direct, sur un célèbre site de VPC, les conséquences de ce coup de pub : une envolée des ventes !
Quant à Zelda – Hyrule Historia, il s’agit d’un titre vraiment atypique qui a généré beaucoup de bons comme de mauvais fantasmes en interne. Certaines avaient l’espoir d’un carton, et d’autres craignaient l’échec. Quant au fait de l’imprimer en Chine, cela a aussi représenté un risque puisque réapprovisionner le livre en cas de rupture de stock aurait pris du temps. Au final, ça a été le cas ! Nous n’avions pas prévu un tel succès pour cet ouvrage. Une campagne de marketing et de partenariat soutenue nous a permis de bien défendre l’ouvrage.

Y a-t-il eu d’autres surprises éditoriales ?

La collection des Classiques a été un joli laboratoire : je m’attendais par exemple à un meilleur résultat sur l’adaptation de La Bible, mais toutefois, j’ai été agréablement surpris par les ventes d’À la recherche du temps perdu d’Emmanuel PROUST.
Enfin, les bonnes ventes de Cage of Eden ont représenté un soulagement. Nous y croyions beaucoup et craignions que le lectorat ne réponde pas présent. Finalement, le 1er tome a vendu 2 000 ex. en 8 semaines et nous projetons d’en écouler de 5 à 6 000.

Parmi les labels de Soleil Manga, on compte le Jeux vidéo et Eros. Puisque tu nous dis que les ventes de titres inspirés de jeux vidéo comptent parmi les meilleures, pourquoi les sorties sont quasi inexistantes ?
Parce que la concurrence nous a pris de court. Kurokawa a acheté Resident Evil, Pokémon et Inazuma Eleven. C’est un Eldorado ! Les enchères montent très vite et nous ne pouvons pas suivre, au risque de perdre de l’argent, même si les manga se vendent bien. Nous n’avons toutefois pas abandonné la collection avec un projet complexe en prévision.

Et concernant Eros ?
Le label continue avec une sortie mensuelle. J’ai toujours préféré privilégier la qualité à la quantité sur ce label. D’ailleurs, la production va ralentir en 2014 après l’explosion de sorties en 2013. Nous ne ferons pas plus de 4 à 5 titres pour cette année.

Chaque mois paraissent une dizaine de titres chez Soleil Manga. Si le marché est en crise, moins de sortie ne serait-il pas plus souhaitable ?
En 2013, nous tournions à 10/12 titres par mois. En 2014, nous descendrons à 8 titres pour resserrer notre offre et travailler plus efficacement nos manga, ce qui nous ne faisions pas suffisamment. En effet, en 2013, nous avons édité entre 40 et 50 nouveautés : un matériel important. Trop important… En 2014, nous prévoyons moins de sorties et nous privilégierons les séries courtes, un segment sur lequel nos concurrents se montrent frileux et qui nous semble dynamique.

Qu’est-ce qui explique leur frilosité ?

Ils craignent que, pour le lecteur, une série courte leur donne l’impression d’être une série inachevée. Ce qui est plutôt vrai dans le shônen, mais pas dans le shôjo. Par exemple, l’éditeur leader du Japon, la Shôgakukan, travaille beaucoup sur des one-shot ou des titres en moins de trois tomes.

De tous vos labels, les plus conséquents sont assurément Shôjo et Gothic. Comment l’expliques-tu, d’autant que la maison Soleil n’a pas forcément un catalogue très féminin… ?
Effectivement, Shôjo et Gothic représentent 70 % du catalogue de Soleil Manga ! S’il s’est tant développé, c’est suite à un certain opportunisme de notre part, mais aussi à notre volonté. En 2006, lorsque nous avons repris le catalogue, notre politique était d’asseoir notre catalogue sur trois piliers : le shônen, le shôjo et le seinen. Mais finalement, à l’exception du label Jeux vidéo, la collection Shônen n’a pas fait le poids face à nos concurrents. Du coup, le Shôjo a pris de l’ampleur et a rencontré le public. Joanna et moi-même sommes fans de shôjo et nous entretenons jusqu’à aujourd’hui de très bonnes relations avec la Shôgakukan. Au point de faire de Soleil Manga un label presque entièrement dédié au shôjo, même si nous avons la volonté de relancer le shônen et le seinen.

Comment le public réagit-il face à ses deux labels ?
C’est au cas par cas. Kiss of Rose Princess, du label Gothic, est sans doute la meilleure vente de 2012 avec 14 000 ventes du tome 1, et notre meilleur titre. Mais sur Shôjo, nous avons une marge de sécurité même en cas de ventes faibles. Ce qui n’est pas le cas sur le Gothic car le genre shônen aï cible un public plus restreint. Monochrome Factor et Vassalord. ont été des échecs avec 1 000 ex. du 1er volume, bien que leur édition ait été réclamée par nos lecteurs.

Quels sont vos best-sellers Shôjo et Gothic ?
Pour le Shôjo, je pense à C’était nous (autour de 12.000 ex du tome 1) dont le côté mélancolique et romantique, pas très présent dans le marché français, ont aidé à distinguer le titre. Les lecteurs se sont sentis touchés et ont défendu le titre. Une partie de son succès vient de là… Il y a aussi Lovey Dovey, un très gros succès avec environ 12 000 ex du tome 1, qui démontre la maîtrise d’Aya ODA à mélanger les codes classiques des titres pour lycéens.
Côté Gothic, il y a Midnight Secretary dont le mélange de vampire et d’érotisme lui a valu une petite notoriété avec 8 500 ex du tome 1 de vendus.

Vous proposez beaucoup de shôjo. Quelle place occupe Soleil Manga dans le marché manga ?
Nous sommes dans le top 3 avec 15 à 20 % de la production. Pour l’heure, il nous manque une locomotive à la Switch Girl !! (chez Delcourt, NDR) pour passer la barrière des 10 000 ex. Clairement, Delcourt reste leader. Panini Manga est plus proche d’un véritable concurrent puisque nous travaillons le même catalogue.

Pour 2014, que peut-on espérer de Soleil Manga en termes de nouveautés et de placement en librairies ?
Après notre anniversaire, 2014 nous permettra de nous « reposer », c’est-à-dire de profiter pour bien vendre différents titres. Il y a par exemple Plum – Un amour de chat, une petite perle qui met en scène un chaton, et que j’ai hâte de travailler. Il paraîtra au premier semestre. Nous éditerons aussi beaucoup de shôjo et prévoyons des surprises pour la collection Jeux vidéo. Par ailleurs, nous allons faire évoluer les collections Shônen et Eros.

Dis m’en plus sur Eros
Pour cette dernière, j’ai eu la même idée que Stéphane FERRAND (de Glénat, NDR) : à savoir, chercher le chaînon manquant entre Masakazu KATSURA (Vidéo Girl Aï, NDR) et le hentai (Glénat le fera avec Minimum, NDR). Sur le Shônen, nous allons éditer de la comédie romantique comme Happy Project de Hirokazu OCHIAI. En fait, nous nous dirigeons vers du young seinen, voire du ecchi (manga coquin, NDR)… Je pense vraiment que sur Eros, nous sommes à la croisée des chemins. Avec le hentai, nous ne pouvons aller que vers le très hard ou le très soft, il n’y a pas de demi-mesure. Or, Soleil Manga n’a pas vocation à publier du très hard. Mais les titres moins explicites étant plus longs à travailler, pourquoi pas les éditer dans la collection Seinen ? Nous avons déjà sécurisé deux licences. Pour être sûrs de nos achats, il faut tout de même prendre le temps de lire plusieurs tomes pour éviter de voir arrivées des scènes trop osées par la suite. Ce qui rend les titres plus complexes à sécuriser. Glénat étant désormais un concurrent sur le sujet, il nous faut nous montrer réactif.

Et concernant le seinen ?
Nous avons fait beaucoup de demandes, mais tous les éditeurs sont en lice. En majorité pour acheter des titres survival, mais aussi d’autres seinen. Ceci s’explique peut-être parce que tous les éditeurs dont je fais partie sont de la même génération. Finalement, notre intérêt pour le shônen décroit à mesure que notre goût pour le seinen augmente. C’est comme ça !

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A propos de l'auteur

Nicolas-Penedo

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