Crypto remake paradoxal

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WANG Yu est propulsé en tête du box-office de Hong Kong dans les années 1960, grâce à plusieurs films du réalisateur CHANG Cheh produits par la Shaw Brothers. Au début des années 1970, il fait partie des artistes qui suivent Raymond CHOW, qui quitte cette compagnie pour créer sa propre firme cinématographique, la Golden Harvest. Pourtant, cette dernière est à l’origine du retour de Bruce LEE à Hong Kong, dont le succès fulgurant porte un coup irrémédiable à la place de star n°1 des films d’arts martiaux de (“Jimmy”) WANG Yu. Néanmoins, en 1973, WANG Yu écrit et réalise pour la Golden Harvest Le dieu de la guerre (The Beach of the War Gods), dont il joue également le rôle principal. Le scénario de ce film de sabre s’appuie sur un point de départ historique, les razzias des pirates japonais (wakô) sur la côte est de la Chine, vers 1550. Ceux-ci ont en effet infesté durablement les rivages chinois et coréens – mais également nippons – du Ve au XVIe siècles, avant d’être mis au pas par Toyotomi HIDEYOSHI (1536-1598), l’un des trois unificateurs de l’archipel japonais.

En 1556, sous la dynastie Ming, face aux pillages et aux demandes de rançon de ces brigands japonais sans vergogne, qui profitent de l’incurie du gouvernement central chinois, se dresse un homme providentiel, le chevalier HSIAO Feng (WANG Yu). Il rallie à sa cause un groupe de braves guerriers afin d’opposer une résistance aux agresseurs étrangers. Clairement, Le dieu de la guerre s’inscrit dans la lignée d’un autre film de WANG Yu, The Chinese Boxer (1970), dans lequel il “cassait” déjà du Japonais à l’écran.
L’acteur-réalisateur, à la recherche d’un second souffle face à l’engouement suscité par Bruce LEE, poursuit dans la même veine en misant sur un certain sentiment anti-japonais du public chinois.

Cependant, le paradoxe fondamental du Dieu de la guerre réside dans le choix d’une telle option. Car, à y regarder de plus près, ce film se révèle très influencé par le cinéma… japonais. Certes, la référence majeure de WANG Yu reste ici Les sept mercenaires (1960) de John STURGES, dont il transpose l’intrigue et les personnages – voir BRITT/James COBURN, le lanceur de couteau – dans un contexte de Chine médiévale. Mais, il ne faut pas oublier que ce film américain était déjà le remake des Sept Samouraïs (1954) d’Akira KUROSAWA. WANG Yu ne pouvait pas méconnaître cette oeuvre. Tout comme il devait être familiarisé avec les productions japonaises des années 1960-1970, alors distribuées dans toute l’Asie du Sud-Est notamment par Run Run SHAW, patron de la Shaw Brothers. Une telle influence est manifeste dès le départ, WANG Yu campant un personnage d’escrimeur errant, surgi de nulle part, le regard dissimulé par l’ombre de son large chapeau de paille. Ainsi, il a tout du protagoniste-type d’innombrables films de sabre (chambara) et de yakusas nippons liés au genre littéraire des récits de vagabondage (Matatabi Mono).

Pour le reste, Le dieu de la guerre, contrairement aux Sept mercenaires et aux Septs samouraïs, ne se distingue guère par la façon dont il est filmé, se résumant à un honnête divertissement mettant en scène une galerie de combattants pittoresques. Toutefois, ni la présentation psychologique de ces derniers, ni les thèmes abordés n’atteignent jamais la profondeur qui ressort à la vision des Sept Samouraïs. En meneur d’un sursaut nationaliste chinois, WANG Yu est loin d’égaler la prestation charismatique d’un Takashi SHIMURA en KAMBEI, chef de guerre qui sait qu’il a aussi perdu certaines batailles. Les compositions qu’offrent les compagnons de l’acteur-réalisateur hongkongais sont loin de faire oublier la performance d’un Toshirô MIFUNE, dissimulant ses racines paysanes sous des dehors de guerrier se voulant redoutable.

Le dieu de la guerre s’adresse donc en priorité aux inconditionnels de WANG Yu et à ceux qui n’ont pas vu le chef-d’oeuvre d’Akira KUROSAWA, condition permettant de se départir d’une impression persistante de déjà vu, en beaucoup mieux. Il satisfera les amateurs de combats spectaculaires mais manichéens entre vaillants héros chinois au coeur pur et méchants envahisseurs japonais capables des pires infamies…

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