Interview : Hiroshi HIRATA

Le manga et le sabre

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Lorsque vous vous êtes lancé dans le manga, vous l’avez fait pour des motifs financiers, pour aider votre famille dans le besoin. Comment, du jour au lendemain, alors que n’aviez presque pas lu de manga à cette époque, avez-vous pu dessiner un récit de 16 pages ?
En fait, je me s’en souviens plus ! Mais je pense que comme je me battais pour ma famille, mes ancêtres ont du me prêter de leur force. Je devais absolument gagner de l’argent pour nourrir les miens.

En France, on a beaucoup de mal à comprendre une telle démarche car l’artiste possède un statut très particulier, presque sacré et loin des considérations financières. Pourtant, votre travail prouve que vous avez mis tout votre coeur dans le manga. Vous considérez-vous comme un artisan de la bande dessinée ?
C’est exactement cela. Je suis un artisan.

Si l’on prend Satsuma, l’honneur des samouraïs pour le confronter à votre vie on remarque deux points intéressants : premièrement, vos samouraïs sont des prolétaires comme vous l’avez été et deuxièmement, certains d’entre eux veulent toujours protéger les faibles comme votre père le fit face des officiers maltraitant des élèves, durant votre enfance. Est-ce un hasard ?
Sans doute… oui, je le pense.

Quand on lit vos manga, on découvre des samouraï qui n’ont pas la prestance ou la solennité des samouraï légendaires. Les vôtres sont parfois cruels, violents et souvent amoraux. Cette vision très franche des samouraïs ne semble pourtant pas avoir déçu un Yukio MISHIMA (célèbre écrivain d’extrême droite). Mais au Japon, comment considère-t-on votre vision des choses ? Qu’en pensent notamment les historiens ?
Je n’ai aucune idée de la façon dont les historiens considèrent mon travail. Concernant MISHIMA, comme il est né dans une famille riche, je devine sa vision des samouraïs plus romantique que la mienne. Mais moi je viens d’un milieu ouvrier et donc j’ai envie de raconter des histoires plus crues… Quand j’écris une histoire de samouraïs, je veux envoyer un message à mes lecteurs sur la façon dont les hommes vivent et ce même si j’en passe par des recherches historiques. Ensuite, il faut faire la différence entre le samouraï au service d’un seigneur et le bushi, le guerrier sans notion de servitude : à travers mes histoires, je dis qu’il faut toujours rester indépendant. Tout le monde peut devenir un bushi.

Voilà une façon de penser surprenante de la part d’un Japonais ! Comment êtes-vous devenu individualiste ?
Je suis né dans une famille très croyante adhérant à la secte Tenri, une école bouddhique fondée par Miki NAKAYAMA. Ce contexte religieux m’a poussé à beaucoup réfléchir. J’ai ainsi compris que les religions inventées par les hommes sont souvent erronées. À mon sens, il faut que chacun communique avec la nature et découvre son propre concept, sa propre vérité, car la nature transmet beaucoup de messages. Cette vérité, nous ne devons pas oublier qu’elle diffère forcément de celle de notre voisin… (Il prend un briquet et le lâche, NDR) Par cet exemple, vous avez appris une vérité de la Nature. Il nous faudrait vivre selon Elle… Mais notre corps est faible et se révolte contre elle. Remarquez, cela a un sens, car si le créateur nous avait donné un corps s’adaptant à la Nature, nous ne pourrions progresser. Seules les difficultés nous renforcent… Les Hommes sont libres et doivent trouver comment vivre sur cette Terre. La liberté de chacun est en jeu. En même temps, si chacun suit ses désirs, la Nature sera détruite. Alors, les Hommes ont créés des religions pour respecter le Monde, mais cela les amène à se confronter. Pourtant le principe de l’univers est unique ! Mais imaginez qu’il pleuve dans deux villages, l’un situé près de la mer et l’autre de la montagne : chacun y verra la manifestation de son Dieu et donc, ils s’affronteront sur la nature de cette pluie. La seule solution pour sortir de cela consiste à aller voir comment les Hommes vivent et apprendre de leurs vérités. Comprendre qu’il n’y a qu’une seule pluie.

Revenons au manga… Le Japon vit-il dans le culte du passé ? Le pays a-t-il encore une fascination pour le monde des samouraïs ?
Aujourd’hui, les Japonais ne s’intéressent pas à ces choses. De plus en plus, ils se désintéressent du passé : une réaction lamentable ! Nous devrions suivre votre exemple à vous Français : il n’y a plus que vous pour vous intéresser à notre histoire. D’ailleurs, les questions que vous me posez sont très intéressantes : vous avez bien compris l’essentiel de mon travail…

Merci beaucoup. En tout cas, sachez que la jeunesse française délaisse aussi l’histoire de son pays. Nous ne sommes pas mieux lotis… Mais parlons plutôt de votre graphisme : quand on lit les histoires de Zatoïchi, on vous voit encore sous l’influence de certains maîtres. Mais avec Satsuma, votre trait a pris une dimension barbare et expressive impressionnante. Parlez-nous un peu de l’évolution de votre dessin…
En fait, je fais évoluer mon style en fonction de mon lectorat et selon mes sentiments. Tout dépend du contenu des histoires. Sur Zatoïchi, j’ai un style plus rond car le manga se destinait aux adolescents… D’ailleurs, je n’ai aucune référence graphique : ni en manga, ni en peinture. Tout vient de ma tête !

Parlons maintenant de L’âme du Kyudo : c’est un récit massif et très intéressant d’un point de vue martial. À la fin, le héros révèle le caractère stupide de ces concours qui ponctionnent de l’argent auprès des fiefs et coûtent la vie aux archers. Partagez-vous sa vision ?
Complètement ! Il en va de même pour les jeux olympiques et les festivals d’arts martiaux.

Quel regard portez-vous justement sur les combats type ultimate fighting au Japon où les combattants mettent leurs vies en jeu : pensez-vous qu’il s’agit d’une nostalgie de l’époque décrite dans L’âme du Kyudo ?
Je ne pense pas que cela soit de la nostalgie, mais cela vient sans doute de l’instinct de combat des Hommes. Il nous faut le dissiper dans des duels violents car les gens se sentent oppressés par les autorités. Mais ces combats très violents viennent en fait des États-unis. On ne s’intéresse qu’à l’affrontement et au fait de battre son adversaire. Mais en faisant cela, on s’interdit d’évoluer.

Justement, la violence prend une tournure très malsaine au Japon avec des histoires de meurtres ignobles dans les familles. Le Japon traverse aujourd’hui une grave crise morale : est-ce votre avis et comment voyez-vous une chance pour la jeunesse de retrouver l’amour du Japon ?
Je pense que si la société japonaise connaît de telles violences, cela tient au problème de l’éducation. De mon côté, je fais toujours des efforts à ce niveau dans mes manga. Mais mon but est maintenant d’éduquer les parents qui sont de plus en plus crétins ! Il y a quelques semaines de cela, j’ai fait une séance de dédicaces dans une librairie de Tokyo : il y avait pleins de jeunes intéressants qui sont venus. Forcément, comme mes livres sont difficiles et sérieux, ils n’attirent pas tout le monde, j’ai donc des lecteurs au dessus de la moyenne… À mon avis, ces jeunes essayent d’apprendre ce que leurs parents ne leur ont pas enseignés.

Aujourd’hui, que pensez-vous de la jeune génération d’auteur et quels sont ceux qui vous plaisent ?
En fait, je n’en lis aucun. Mes lectures tournent autour des ouvrages historiques dans lesquels je puise la matière à mes histoires. Et ma passion tourne autour des projecteurs de cinéma. Je lis des livres dessus ou je recherche des pièces.

Pour finir, quel message voudriez-vous faire passer à vos lecteurs français ?
Ah, je n’ose pas ! Hum… Je n’y avais pas réfléchis… Vous savez, les lecteurs se nourrissent de mes histoires, ils y découvrent leurs vérités. Je ne veux donc pas imposer mon point de vue : chacun me lira comme il le désire.

Remerciements à Akata et Delcourt.

La photo de Hiroshi Hirata est © 2007 by Hervé Brient.

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