REALité

Vie versus Mort : balle au centre

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Encore un manga de sport ? Sur le basket ? Et par l’auteur de Slam Dunk (1) ? Quel intérêt me direz-vous ? La réponse à toutes ces questions est simple et logique. À l’instar de I’ll, dans lequel l’auteur ASADA Hiroyuki prend le basket comme prétexte à une belle histoire d’amitié, INOUE Takehiko utilise dans Real, publié depuis 1999, son sport favori pour donner au lecteur une leçon de vie et de mort.

L’histoire

Depuis qu’il a quitté l’équipe de basket de son lycée sur un coup de tête, Tomomi Nomiya n’est plus que l’ombre de lui-même. Pour ne rien arranger, il est à l’origine d’un accident de moto, qui a plongé une jeune fille, Natsumi, dans un état paraplégique et dépressif. Ainsi, tous les jours, il sèche les cours pour lui rendre visite à l’hôpital, dans l’espoir de la revoir sourire. Un jour, en se promenant avec elle près d’un vieux gymnase, il tombe sur Kiyoharu Togawa, qui joue au basket en chaise roulante. L’appel du ballon est le plus fort : il lui lance un défi.

Dès ce premier face-à-face, l’auteur prend le lecteur à contre-pied et tord le cou aux conventions d’une belle manière. Devant ses échecs répétés à battre Togawa, Nomiya lance le plus naturellement du monde : « Ce n’est pas juste. Tu me dois un handicap. »

Vous avez bien lu. Une telle phrase est difficilement imaginable au quotidien. Certains penseront qu’il s’agit d’une morale bien pensante et utopique. Mais INOUE tient son propos jusqu’au bout et réussit à rendre réaliste ce jeu de l’esprit. Ainsi, la chaise roulante de Togawa est son “don”, au même titre qu’une technique de dribbles ou une prodigieuse détente. Il est donc normal que ses opposants, perchés sur leurs deux jambes, fassent un complexe d’infériorité.

Au fil du manga, se noue ainsi entre ces deux passionnés une amitié un peu vache mais toujours respectueuse. À ces deux destins, s’ajoute celui, tragique, de Hisanobu Takahashi. Arrogant capitaine et camarade de Nomiya, il est victime en plein milieu du premier volume d’un violent accident de la route vélo contre camion qui le prive de l’usage de ses deux jambes. Avec d’un côté la vie d’handicapé de Togawa, et d’un autre la culpabilité de Nomiya, le changement radical de vie de Takahashi complète le triptyque mis en place par l’auteur autour du thème de la reconstruction, tant physique que psychologique.

La force du désespoir

Peu de manga s’intéressent d’aussi près à l’interaction du corps et de l’esprit. À part peut-être Vagabond du même INOUE Takehiko. La comparaison n’est pas anodine. Les deux oeuvres empruntent la même structure narrative et alternent les points de vue, passant d’un personnage à l’autre. De plus, dans l’un comme dans l’autre, les introspections prennent souvent le pas sur l’action. Si le dessin de Real rappelle inévitablement celui de Slam Dunk, en plus fin et plus précis, les scènes de matchs retrouvent parfois la fluidité, la brièveté et le tramage des combats de Vagabond. Reste que l’esprit samouraï – de la paix intérieure à la communion avec la nature – laisse place ici à la souffrance et à la brutalité de la vie. Malgré une légèreté apparente et les précautions narratives de l’auteur, les trois volumes que compte actuellement le manga dégagent une véritable puissance du désespoir.

Chaque histoire insiste sur le avant/après des personnages, et appuie là où ça fait mal. On referme le deuxième volume, qui revient dans un long flash-back sur l’enfance de Togawa, fauché à 14 ans par une tumeur à la jambe droite, avec un pincement au coeur. Le mal-être est encore plus perceptible concernant Takahashi. Cloué sur son lit d’hôpital, il ressasse son ancienne vie et n’admet pas qu’il ne puisse jamais remarcher. « Pourquoi moi ? », répète-t-il sans cesse. Oui, pourquoi pas nous ? INOUE réussit ainsi, par moments, à nous donner l’illusion de ressentir cet inconcevable. Comme dans cette scène à la fois belle et insoutenable, où, sur près de dix pages, il détaille les efforts surhumains de la jeune Natsumi pour se glisser sur son lit, en vain. Un tel passage vaut tous les matchs de basket du manga, et ne peut laisser indifférent. Il nous happe et ne nous lâche plus jusqu’au vertige, puis au questionnement. Sur nous, et notre regard sur les handicapés.

Seuls et ensemble

Après cet état des lieux, la dépression vous guette ? Pourtant, avec Real, INOUE Takehiko ne cherche pas à nous plomber le moral. Au contraire, il nous confronte rien moins qu’à la réalité. Une réalité où se mêlent la fatalité et l’espoir. Nomiya, Togawa et Takahashi étaient trois inconnus, portés par une même passion du basket. La fatalité les a réunis, et ils vont devoir, seuls et ensemble, réapprendre à vivre.

Togawa vit depuis plusieurs années dans un fauteuil roulant. Il croit avoir accepté sa condition physique. Pourtant, il ne supporte pas les limites imposées par cet état, surtout dans le basket. Par fierté, il a d’ailleurs quitté son équipe. Sa rencontre avec Nomiya, d’une nature plus instinctive et prosaïque, le ramènera à l’essentiel : l’amour du sport. De son côté, Nomiya prendra conscience que ce n’est pas en fuyant qu’il surmontera son propre handicap : la culpabilité. Ainsi, et naturellement, ces deux-là apprendront énormément l’un de l’autre. Quant à Takahashi, il est seul, et n’interagit pas encore avec les autres personnages. INOUE prend le parti, osé, de raconter en détails son séjour à l’hôpital, son immobilité, ses angoisses. Sa reconstruction se doit d’être tout d’abord physique. Un travail solitaire, introspectif.

La vie gagne du terrain… lentement !

Avec seulement trois volumes, nos héros n’ont pas encore sorti la tête de l’eau. Togawa reprend à peine sa place au sein de son équipe de basket, Nomiya se libère doucement du poids de la culpabilité et Takahashi remet en question toute sa vie. Il va falloir donc être patient. En effet, Vagabond reste la série phare de l’auteur, et même si Real lui tient sans aucun doute à coeur, le rythme de parution est une véritable torture. Imaginez, la série ayant débuté en 1999, cela fait moins d’un volume par an. En France, c’est l’éditeur Kana qui, à l’issue de la sortie du 31e et dernier volume de Slam Dunk, a entamé la publication de Real.

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