Tokyozone, 3e édition

Une alternative au kawaïment correct

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Créé de manière semi confidentielle en 2000, le festival Tokyozone s’est bâti une petite réputation en 3 ans. Ayant attaqué sa 1ère édition par le Café de la Danse, salle de concert du XIe arrondissement réputée pour sa programmation éclectique et underground, le festival est ensuite passé par l’Auditorium St Germain des prés, pour atterrir en 2003 chez des institutions plus reconnues, à savoir le Centre Pompidou (qui s’est manifesté spontanément pour cette 3e édition), le Sentier des Halles, la BNF, et le Batofar. Une coloration définitivement intello et branchée. Risqué ? « Les gens qui ne connaissent pas Tokyozone ont cet a priori d’intellectualisme ; c’est justement ce que je voudrais éviter », nous explique Eric PRZYSWA, directeur artistique du festival. Proposer 5 jours de programmation autour d’une création artistique japonaise qui ne se raccroche à rien de forcément connu du grand public en France, le pari est en effet osé.

Depuis sa 1e édition axée autour de la danse butô, la programmation de Tokyozone s’est enrichie de performances multimédia, concerts, et même projections animées. Paradoxalement, le point fort de Tokyozone réside peut-être dans le fait qu’Eric PRZYSWA ne soit pas féru de culture japonaise au point d’en devenir fanatique : « Je viens d’une culture qui n’a rien à voir avec le milieu des passionnés du Japon, tant au niveau de ma formation que de mes goûts personnels. Je suis passé par la fac Dauphine, j’ai fait des études de conseil… Je ne suis pas particulièrement nipponophile ; cela me permet d’avoir un regard plus large, en quelque sorte de sortir la culture japonaise du « ghetto » dans lequel on l’a enfermée en France », tranche-t-il. Exit donc les clichés, comme l’argumentait Eric PRZYSWA dans une interview accordé à l’hebdomadaire
A Nous Paris le 20 octobre dernier : « soit on tombe sur le Japon hystérique, style manga pop branché, soit on trouve des artistes contemporains très habiles pour faire leur promotion, genre la PME MURAKAMI. » (1)

Tokyozone, 3e : des bas…

« Je veux définir un espace émotionnel autour de la création japonaise ». Le ton est donné, il peut sembler toutefois un peu évasif. Qu’en résulte-t-il à l’arrivée de cette 3e édition ? Quelques prises de risque, comme la projection de Hako – the Box, de NAKAJIMA Kanji : un moyen métrage très contemplatif, à l’image audacieusement contrastée (pellicule quasi brûlée), abusant de métaphores obscures sur les ravages des nouvelles technologies… qui a fait fuir la moitié de la salle de la BNF dès la première 1/2h ! Explications d’Eric PRZYSWA : « Je me suis presque fait insulter par un spectateur qui m’a dit que c’était un film Agnès B. (rires) ! Certes, j’ai moi-même conscience que ce film n’est pas parfait. Mais même si on ne comprend pas tout, il est intéressant à plus d’un titre, je veux présenter des oeuvres OVNI ».

Moins risqué, car ayant déjà acquis une certaine notoriété, la programmation de l’artiste japonais ONDA Aki. Présenté comme « l’un des meilleurs musiciens japonais de sa génération », le compositeur est actuellement en résidence aux Etats-Unis, et ne s’était jamais produit en France, bien qu’il fédère déjà une petite communauté de fans. Si sa performance solo proposée le samedi à la BNF pouvait laisser sur sa faim (musique sur diaporama de photos persos), l’art de ONDA Aki prenait une autre dimension le lendemain au Sentier des Halles, confronté au jazz punk de Jac BERROCAL (2). Confrontation de cultures, de générations, de genres musicaux, la démarche est originale et donne sa marque de fabrique à Tokyozone. Loin des simples gargarismes d’un dossier de presse, « la croisée des artistes occidentaux et japonais » prend ici toute sa réalité.

Résultant de la même démarche, le ciné concert OZU proposait une mise en musique du film culte Gosses de Tokyo (3) par l’accordéoniste Pascal CONTET : un grand nom du cinéma japonais des années 30 face à un musicien qui a frayé avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France…
On l’aura compris, Tokyozone vise donc plusieurs publics : parmi les 3 000 festivaliers (province comprise) qui se seront pressés à cette 3e édition, on aura trouvé du très pointu, du jeune, du clubber, voire même… de l’animefan.

… Et des hauts

Ainsi, c’est un public d’initiés se pressait le soir de l’ouverture pour la performance de l’artiste multimedia GOTO Suguru au Centre Pompidou : néanmoins, la volonté d’Eric PRZYSWA n’est pas de verser dans l’élitisme. Pour preuve, l’interview fleuve proposée dans le catalogue de l’exposition, vendu à l’entrée de chaque spectacle, donnait les clefs de cette performance déroutante (4). Audacieux toutefois de miser sur l’acquisition d’un catalogue en sus de l’entrée pour décoder le spectacle présenté.
Point besoin d’explication en revanche, le lendemain soir au Batofar, pour swinguer sur les samples à la Beastie Boys proposés par les DJ du collectif Nightriderz : le public de clubbers habitués ne s’y est pas trompé, échauffés par la performance multimedia de Tri Collage.

Car si Tokyozone flirte avec des concepts très à la mode (DJ, VJ…), il évite l’écueil de la superficialité en proposant des oeuvres de qualité. Coup de chance, coup de hasard ? Toujours est-il que les membres du collectif Tri Collage invités à Tokyo par l’Alliance Française ont su ramener des images intéressantes de leurs pérégrinations japonaises. Evitant les sempiternels cerisiers en fleurs ou autres enseignes épileptiques de Tokyo by night, le montage vidéo proposait des images de mornes plaines, de banlieues, de nature… Moins séduisant, peut-être, mais assurément plus conforme à une approche de la réalité japonaise dans sa globalité. Car comme l’indique Eric PRZYSWA, « malgré son intitulé… le festival ne tourne pas uniquement autour de Tokyo ! (rires) »…

Enfin, l’éclectisme de la programmation a permis de (re)voir la perle animée Nekojiru So, de SATÔ Tatsuo (5) : « La diffusion de ce film était déjà prévue pour les éditions précédentes, mais elle n’avait pu aboutir pour des questions de droits ; pour moi, c’est l’oeuvre idéale ». Comment déniche-t-on de telles petites merveilles, que seul le très pointu Forum des Images avait jusqu’à présent diffusé en France, lors de l’édition 2001 du festival Nouvelles Images du Japon ?

Fouiner à la recherche de la perle…

« Je ne vais pas au Japon ; mais j’ai mes informateurs, et je fouine, sur le web, dans des festivals à l’étranger… J’ai ainsi déniché The box dans un festival de cinéma à Hong Kong ». La programmation dépend donc aussi des découvertes effectuées pendant l’année, et peut difficilement se conformer à une ligne directrice trop stricte : « Pour cette édition 2003, j’avais initialement prévu une thématique féminine, mais à l’arrivée, je n’avais pas assez de matière. Je trouve aussi qu’il y a trop peu de cinéma à mon goût, car il est difficile de trouver de bons films. Je voudrais également davantage de danse pour 2004. ».

Si Tokyozone est dépendant de la matière artistique disponible sur le marché, le festival l’est aussi de ses finances. Situé à l’étape charnière entre l’époque de la débrouille et la reconnaissance par les institutions, le festival doit négocier le virage avec souplesse. « Nous avons une équipe réduite : l’organisation du festival a occupé les 2/3 de mon temps de l’année écoulé, avec l’aide précieuse de mon assistante et de quelques stagiaires, détaille le directeur artistique. Jusqu’à présent, la tournée est organisée en province pour rentabiliser le festival. J’aimerais inverser le mécanisme pour l’édition prochaine : partir sur le principe d’une co-production avec une ville de province, et conserver Paris en tant que vitrine du festival. »

Tokyozone, 4e ?

Pour l’heure, la priorité est au développement du site officiel www.tokyozone.org : la traduction du contenu en anglais est prévu d’ici peu, tandis que des courts métrages en Flash devraient être proposés tout au long de l’année. Autre projet : entériner le travail effectué sur le catalogue du festival, qui s’apparente à du journalisme : « Je préfère d’ailleurs parler de revue que de catalogue, nuance Eric PRZYSWA. Certains articles ont été repris de magazines existants, comme Positif, d’autres ont été rédigés par nos soins. J’aimerais développer cette revue sur l’année ».
Et pour l’édition 2004 ? « Je commence déjà à chercher 2 ou 3 têtes d’affiches japonaises. Et je voudrais aussi développer un autre aspect de Tokyozone, qui n’apparaît peut-être pas encore de manière évidente : l’axe ancien / nouveau. Par exemple, réactualiser de vieux films japonais, en développant une création artistique occidentale contemporaine autour… ».


Signe des temps : durant le même week-end, le Théâtre Mains d’oeuvre à Montreuil proposait le Japanese New Music Festival ; quelques semaines après, c’était au tour du très branché Nouveau Casino, salle de concert du XIe, d’accueillir le groupe de free rock underground Melt Banana. Oui, décidément, après près de 15 ans de maturation et de reniflage vis-à-vis de la culture nippone, la scène française semble prête à accueillir à bras ouverts une création artistique japonaise audacieuse et diversifiée…

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