DE L'HORRIBLE DANGER DE L'ORTHOGRAPHE
Aujourd’hui : Le participe passé
A l’aube des temps, tout était un, tout était parfait. Puis ( grosso modo ) il y eut l’Homme et ensuite le participe passé. Cet épisode tragique de l’Histoire est appelé « Le Grand Schisme de l’An 800 » et n’est mentionné uniquement que dans des manuscrits tenus secrets du public.
L’Europe du Moyen Age était heureuse, quoiqu’un peu fatiguée par les invasions wisigothes. Mais tout allait pour le mieux tant que les repères inébranlables de la Foi du Peuple n’étaient pas encore troublés par des concepts corrompus.
L’Infini était aux Cieux et le fini était sur terre, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Las !
C’est en l’an de grâce 800, sous le règne des Carolingiens, que l’un des plus dramatiques épisodes qu’ait connu l’humanité tout entière s’est produit. Aujourd’hui encore, une poignée d’élus, membres de confréries secrètes à l’intérieur de confréries encore plus secrètes elles-mêmes étouffées dans le plus grand secret, détiennent la vérité sur cet événement qui a, à tout jamais, semé le chaos dans l’esprit des hommes.
Les preuves pourtant sont là, sous nos yeux, mais un voile opaque masque la réalité aux hommes, peut-être pour leur bien à tous, car la révélation a un prix, et si nous ne vous sentez pas de taille à affronter ce fatum ahurissant, vous feriez mieux de ne pas lire une ligne de plus. Oui, soyez ignorant car vous serez heureux, sinon, vous ne vivrez plus que dans la crainte et la terreur, à JAMAIS ! Car nul esprit n’est préparé à ça, pas même le plus sage, le plus avisé des hommes. Moi-même, je sens que mon esprit vacille, mais la faible lueur qui m’anime encore me pousse à dire la vérité au monde, à moins que ce ne soit déjà l’œuvre de ma folie ? Il est trop tard pour moi à présent, je vais tout vous dire, à vous qui vous apprêtez à découvrir l’inconcevable.
An 800, Lyon, 09h37 heure locale.
D’étranges vaisseaux sont descendus du ciel et ont atterri dans les champs alentours. La population s’est précipitée à la rencontre de ces visiteurs. Ils ressemblent à des hommes, si ce n’est qu’ils sont chauves, n’ont pas de lobes d’oreille et possèdent des doigts et des pieds palmés. Ils parlent une langue inconnue. En plus ils puent. Un des leurs s’avance à la rencontre des paysans lyonnais et prononce le mot suivant : « infinitif ! »
Un frisson parcourt l’assemblée, est-ce là l’œuvre du Diable en personne ? Quel est ce mot incompréhensible, cet union improbable de deux concepts TOTALEMENT exclusifs l’un à l’autre : l’infini pour l’un et le définitif pour l’autre ? Le visiteur trace des signes sur le sol : E et R. Puis sort de sa bouge un son suspect que l’on pourrait traduire par « hé ». la foule prend peur, panique, les femmes emportent les enfants loin de ces êtres démoniaques, les hommes se saisissent des envahisseurs. Ils les frappent, les attachent à des croix, puis les jettent dans le fleuve, où ils périront noyés.
Mais bientôt d’autres visiteurs surgissent un peu partout dans les campagnes de l’Europe du Moyen Age : en France, en Allemagne, aux quatre coins du continent, ils arrivent en masse. Très vite, un sabir naît des échanges humains et créatures, surnommées par les hommes d’alors : « cagots » ; « chrestians » ou encore « gézitains ».
De nouvelles règles de langage voient le jour : l’infinitif ayant profondément perturbé le peuple, une sorte de mélancolie prend racine, maladie psychotique indicible provoquant des troubles de l’écriture ( tant le mental est affecté ) et qui prendra plus tard le nom de participe passé. Passé car une page est tournée, et jamais plus les choses ne seront comme avant. Tout est foutu.
Les esprits simples du Moyen âge s’étourdissent l’esprit en se posant de graves questions métaphysiques comme par exemple : « participe passé épithètes, en é ou e.r ? » ; « où est placé le COI ? devant ou derrière ? » ; « peut-on faire confiance aux verbes pronominaux ? » ; « les verbes du troisième groupe sont-ils l’œuvre du diable ? » ; etc.
Il y eu ainsi bien vite des dérives : on frappa d’hérésie ceux qui affirmaient la possibilité d’un participe présent, on accusa de sorcellerie ceux qui tentèrent de percer les secrets de l’accord avec les verbes pronominaux, on écartela ceux qui se mirent à l’Anglais, etc. La liste de châtiments est longue, terrifiante.
Les chrestians pendant ce temps étaient traités en parias, à l’écart de la ville, dans des espèces de bidon-villes, reclus aux travaux de tonnelier, car croyait-on que le bois pouvait empêcher de véhiculer leur maladie mentale. Mais plus ils parlaient, plus l’humanité plongeait dans les ténèbres, dans les affres d’une pensée complexe et d’une grammaire insurmontable. Le point de non-retour avait-il été franchi ? Y avait-il quelque espoir de sortir de cette malédiction ? On continuait pourtant à accorder, à accorder, à accorder…
Nul ne sait trop pourquoi ces créatures restèrent parmi les hommes, mais on garde leurs traces sur des siècles et des siècles. Le célèbre Ambroise Paré ( XVIème siècle ) en a même autopsié quelques uns, morts ou vifs. Ils pouvaient entre autre pratiquer la momification par magnétisme. Ce qui fout les jetons.
Aussi, on durcit l’arsenal juridique contre eux, mais ils s’en tiraient bien les bougres, ils commençaient même à faire des affaires, et s’embourgeoisaient patiemment. C’est qu’ils avaient réussi leur plus coup : inculquer le conditionnel dans l’esprit des hommes, et ouvrir ainsi la voie à « l’exception qui confirme la règle » dans les textes de lois.
Ironie de l’histoire, ils finirent par contribuer largement à la genèse de la révolution de 1789, et désignèrent parmi les plus tordus des humains, connus plus tard sous le nom de « Lumières », ceux qui apporteraient encore un peu plus de troubles dans nos sociétés. Heures sombres, très sombres.
Aujourd'hui encore, ils contrôlent tout…
Mais aujourd’hui, tout a changé. Le participe passé est sur le point d’être enfin éradiqué ! La lutte est permanente, les accords sont systématiquement ignorés. Le plus formidable dans tout cela, c’est que ce n’est même pas voulu, les jeunes générations sont sur le point de mettre un terme à ces diableries de « participe passé » et « infinitif ». Bien sûr, la lutte continue, mais la rébellion est puissante. Les anciennes générations décérébrées tentent tant bien que mal de soumettre leurs cadets à la discipline sournoise des chrestians, mais le complot millénariste va bientôt prendre fin.
« é » ; « e.r » tout ceci va enfin cessé.
Bonne chance à tous.