J'étais à la JE samedi, et de baptême dimanche. Le rapport? Aucun, si ce n'est que ces deux jours eurent en commun la thématique "qu'est-ce que je fous là?".
Or donc, je vins à JE toute fière de mon yukata fabriqué (pas par moi) dans la plus pure tradition jap' sur machine à coudre traditionnelle Singer, d'après un patron traditionnel trouvé sur la non moins traditionnelle Wikipédia, en vraie soie de coton achetée chez un marchand traditionnel dont le nom rassemble tous les tissus du monde.
J'y suis allée sans réel projet de visite, j'ai donc surtout erré dans la foule et vu des potes. Je me suis méfiée des free-hugueurs ("Le premier qui m'approche, c'est bien simple, c'est direct du droit aussi sec"), j'ai maudit les free-hugueurs ("M'enfin, mais c'est complètement khon de s'adonner à son vice dans des allées étroites et bondées, 'voient pas qu'ils gênent toulmonde, c'est-à-dire moi?!").
J'ai assisté à une démonstration de karaté dit "d'Okinawa", parce qu'apparemment, il est différent du karaté… bah du karaté, quoi. Sur la scène culturelle, un tatami fut installé. Bon, ce n'est un "vrai" tatami, c'était du tapis de gym en puzzle pour avoir une surface lisse et ferme, mais on allait faire du karaté dessus, alors c'était un tatami.
Je m'installai à une bonne place, et j'entendis un truc bizarre. Un hurlement, scandé par beaucoup de gens.
Et ce fut le drame.
Comme vous êtes des passionnés de culture japonaise, vous aurez sans doute remarqué depuis longtemps qu'on se déchausse avant de rentrer dans une maison. On se déchausse également avant de monter sur un tatami, pour tout un tas de raisons: pour ne pas faire entrer d'autres impuretés que celles qu'on porte naturellement sur les pieds, et puis parce qu'on est pieds nus pour s'entraîner et pis c'est tout. Jamais de chaussures sur un tatami, jamais. Même pas d'innocentes tongs.
Bref, disais-je, ce fut le drame.
Les free-hugueurs, agglutinés en moulon, en tas d'humains compactés, débaroulent, hurlant en rythme leur soif de câlins. "FREE HUGS, FREE HUGS, FREE HUGS!!!" Ils sont plein, peut-être une grosse trentaine ou quarantaine, ils prennent une place pas possible, et ils vont tous dans la même direction: la scène culturelle, sur laquelle ils montèrent sans vergogne, tout à leur niaise joie.
Oh. Mes. Dieux. Des gens, en chaussures, sur un tatami. Ils ont piétiné des tas de trucs malpropres du dehors, et maintenant, des karatékas vont marcher et peut-être se faire tomber dessus.
Il me fallut une bonne minute pour ramasser ma mâchoire tombée dans l'horreur.
Le karaté d'Okinawa est une discipline difficile et brutale, pratiquée pour conserver la santé et sa propre intégrité en cas d'agression. On travaille également sur le renforcement de son corps. Le senseï et ses élèves nous montrèrent comment ils s'entraînaient, en se tapant dessus chacun à son tour.
Puis, deux élèves ôtèrent leur chemise ("Pourquoi on fait pas ça, dans mon club?"), et le prof se mit en devoir de nous montrer la partie "résistance aux coups". Il les tapa méthodiquement partout, et les élèves ne bronchèrent pas. Pas déséquilibrés, même pas l'air d'avoir mal, rien. "Nan mais c'est pas possible, il doit pas taper si fort que ça, en fait." Si: de grandes plaques rouges finissent par marquer les impacts sur la peau de l'un. Tout en admirant la performance, je n'ai pas pu m'empêcher d'être un chouïa mal à l'aise. Je crains bien ne pas raffoler de pratiques extrêmes.
On eut droit à une démonstration de casse. Je croyais que la casse, c'était quand on cassait des bouteilles ou de gros bouts de bois à main ou pied nu. Et effectivement, ils savent le faire. Ils savent également casser avec les élèves, un peu comme les chefs de clan se battent avec les serviteurs (les fans de Kaamelott comprendront). On prend le gros bout de bois, on le balance sur l'élève et hop, ça se casse sur la personne.
Je suis contente d'avoir vu ce que j'ai vu et d'avoir fait ma groupie (mais en silence, j'ai ma dignité): le défilé de mode, la conférence sur la cérémonie du thé, hiiiii, l'équipe de Nerdz, hiiiiii, je viens de croiser Caleb de Flanders Company, oh, et Sparadrap, de Noob, il est là-bas!
Mais je sais pas. J'ai voulu jouer à la fille en shopping, et je me suis très vite rendu compte que la marchandise proposée ne collerait pas avec moi: non, je n'ai pas besoin de sabre (à la rigueur, je n'aurais pas craché sur un nunchaku, mais je n'en ai pas vu), ni de peluches top kawaiiiii, ni de bijoux en forme de fruits ou de gâteaux.
Certes, certains cosplays sont des merveilles d'ingéniosité. Certes, il y a des kimonos plus beaux que le mien. Certes, j'adore le style gothique. Mais une fois sur place, j'ai bien dû admettre que je ne me sentais plus guère concernée. J'ai toujours l'impression de voir la même chose depuis ma première JE, les mêmes frou-frous, les mêmes maquillages, les mêmes accessoires clonés à l'infini… j'ai eu la sensation que rien ne se renouvelle, et que je n'ai rien à faire ici.
Il n'y a plus de rêve. J'ai dû vieillir.