C’est un sujet qui nécessite un long préambule, désolé !
De plus, assez exigeant sur le fantastique, je ne possède que 4 titres de manga traitant de l’ Enfer, soit : Stairway to Heaven, Enma, Love in the Hell, Dorohedoro. Ferez-vous mieux ?
Encore faut-il connaître l’Enfer selon la mythologie bouddhiste du Japon (le shinto ne connaît pas ce concept), accrochez-vous :
Vous êtes mort, bon, mais le pire n’est-il pas encore à venir ? Vous vous retrouvez sur la glauque rive du fleuve Sanzu, parfait équivalent du Styx des Gréco-Romains. Datsue-ba, une vieillarde horrible, vous agrippe alors et vous dépouille de tous vos vêtements (imprégnés de vos péchés) et les pèse pour estimer la quantité de Mal. Vous êtes un petit malin et vous vous présentez à poil ? OK, Datsue-ba vous arrache alors la peau pour pesage (et déjà l’on pense à un des damnés de Love in the Hell).
Si vous êtes un coeur pur (j’en doute), vous pouvez passer le pont au-dessus du Sanzu, reçu avec applaudissements par la Cour Infernale qui vous offre un billet gratos pour le Gokuraku (Paradis), ainsi qu’il manque d’arriver à l’héroïne très âgée aux premières pages de Stairway to Heaven – mais elle est recalée au dernier moment parce que vierge, et parce que c’est un manga rabelaisien.
Pour les 99,999 % du reste de l’humanité, donc vous presque à coup sûr, c’est moins facile : pas trop pécheur, c’est en petite barque pourrie et bien secouée que vous franchissez le turbulent Sanzu. Plus marqué par la vilénie, vous devez traverser à pied les eaux glaciales. Et si vous ne fûtes qu’un(e) vicelard(e) insupportable et féroce, il faudra se taper 400 kilomètres à patauger ; à moins que des gens qui vous aimaient quand même (à la surprise générale) vous aient mis dans la main à votre décès 6 piécettes de 1 “sen”, et vous pourrez payer la barcasse pourrie (c’est pas une croisière Costa, mais faut pas rêver, à ce tarif…).
Alors vous arrivez face à une sorte de tribunal présidé par le terrifiant Seigneur des Morts, Enma. En fait il est plutôt sympathique dans le manga Enma, à part le fait qu’il donne à la Fille des Enfers le pouvoir d’arracher aux criminels leur squelette du corps, ne leur laissant que leur flasque chair.
Enma vous demande aimablement de lister vous-même ce que vous avez pu faire de mal. Cela peut vous sembler cool sur le moment, mais il y a un piège : il a un bouquin où figurent tous les faits de la vie de tous les défunts, et si ce que vous dites ne colle pas avec, il vous fait arracher la langue. De toute façon il vous flanque ensuite en Enfer.
Quel ? car il y a 8 niveaux cumulatifs et gradués en tortures.
Avec un peu de chance, vous serez au premier niveau, le plus léger :
1) Tokatsu-Jigoku, réservé à ceux qui ont sciemment privé de vie un être non-humain. Que vous ayez écrasé un moustique ou harponné une baleine, vous êtes ici comme meurtrier. “OUAAAIS !” crient les Greenpeace, qui pourtant tuent des moustiques ou piègent des rats dans leur cellier ; or, en quoi la grosseur de la victime modifie t-elle le crime, je vous le demande ?
2) Kokujo-Jigoku, pour les meurtriers de tout être qui furent aussi des voleurs. Déjà ça se gâte côté tortures.
3)Shugo-Jigoku : Meurtriers + voleurs + “dégénérés” (= ceux qui ont commis l’adultère ou couché hors de toute légitimité).
4) Kyokan-Jigoku : Meurtriers + voleurs + dégénérés + ivrognes
5) Daikyokan-Jigoku : Meurtriers + voleurs + dégénérés + ivrognes + menteurs
6) Shonetsu-Jigoku : Les cumulards précédents + blasphémateurs
7) Daishonetsu-Jigoku : Les précédents + violeurs
8) Mugen-Jigoku : le plus effroyable. Ceux coupables de tout ce qui précède et qui ont en plus tué leurs parents ou de “saintes personnes” ( = moines bouddhistes, rappelons que c’est un enfer imaginé par des moines bouddhistes…)
Les tortures sont échelonnées selon ce que vous avez additionné comme péchés. Elle sont infligées par un corps professionnel hélas peu gréviste car heureux de son boulot, les “oni”, assimilables aux diables judéo-chrétiens, y compris par leurs cornes de rigueur, leurs crocs, leurs griffes et faciès repoussant.
Ici entre autres se pose un débat peu facile à trancher : de telles convergences prouvent-elle une influence culturelle Occident-Orient dans l’antiquité ou bien s’agit-il de projections mentales universelles ?