Se souvenir de moi

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Lord Yupa le 2 septembre 2016 à 21 h 06 min #412281

C’est un sujet qui nécessite un long préambule, désolé !
De plus, assez exigeant sur le fantastique, je ne possède que 4 titres de manga traitant de l’ Enfer, soit : Stairway to Heaven, Enma, Love in the Hell, Dorohedoro. Ferez-vous mieux ?

Encore faut-il connaître l’Enfer selon la mythologie bouddhiste du Japon (le shinto ne connaît pas ce concept), accrochez-vous :

Vous êtes mort, bon, mais le pire n’est-il pas encore à venir ? Vous vous retrouvez sur la glauque rive du fleuve Sanzu, parfait équivalent du Styx des Gréco-Romains. Datsue-ba, une vieillarde horrible, vous agrippe alors et vous dépouille de tous vos vêtements (imprégnés de vos péchés) et les pèse pour estimer la quantité de Mal. Vous êtes un petit malin et vous vous présentez à poil ? OK, Datsue-ba vous arrache alors la peau pour pesage (et déjà l’on pense à un des damnés de Love in the Hell).
Si vous êtes un coeur pur (j’en doute), vous pouvez passer le pont au-dessus du Sanzu, reçu avec applaudissements par la Cour Infernale qui vous offre un billet gratos pour le Gokuraku (Paradis), ainsi qu’il manque d’arriver à l’héroïne très âgée aux premières pages de Stairway to Heaven – mais elle est recalée au dernier moment parce que vierge, et parce que c’est un manga rabelaisien.
Pour les 99,999 % du reste de l’humanité, donc vous presque à coup sûr, c’est moins facile : pas trop pécheur, c’est en petite barque pourrie et bien secouée que vous franchissez le turbulent Sanzu. Plus marqué par la vilénie, vous devez traverser à pied les eaux glaciales. Et si vous ne fûtes qu’un(e) vicelard(e) insupportable et féroce, il faudra se taper 400 kilomètres à patauger ; à moins que des gens qui vous aimaient quand même (à la surprise générale) vous aient mis dans la main à votre décès 6 piécettes de 1 “sen”, et vous pourrez payer la barcasse pourrie (c’est pas une croisière Costa, mais faut pas rêver, à ce tarif…).
Alors vous arrivez face à une sorte de tribunal présidé par le terrifiant Seigneur des Morts, Enma. En fait il est plutôt sympathique dans le manga Enma, à part le fait qu’il donne à la Fille des Enfers le pouvoir d’arracher aux criminels leur squelette du corps, ne leur laissant que leur flasque chair.
Enma vous demande aimablement de lister vous-même ce que vous avez pu faire de mal. Cela peut vous sembler cool sur le moment, mais il y a un piège : il a un bouquin où figurent tous les faits de la vie de tous les défunts, et si ce que vous dites ne colle pas avec, il vous fait arracher la langue. De toute façon il vous flanque ensuite en Enfer.
Quel ? car il y a 8 niveaux cumulatifs et gradués en tortures.
Avec un peu de chance, vous serez au premier niveau, le plus léger :
1) Tokatsu-Jigoku, réservé à ceux qui ont sciemment privé de vie un être non-humain. Que vous ayez écrasé un moustique ou harponné une baleine, vous êtes ici comme meurtrier. “OUAAAIS !” crient les Greenpeace, qui pourtant tuent des moustiques ou piègent des rats dans leur cellier ; or, en quoi la grosseur de la victime modifie t-elle le crime, je vous le demande ?
2) Kokujo-Jigoku, pour les meurtriers de tout être qui furent aussi des voleurs. Déjà ça se gâte côté tortures.
3)Shugo-Jigoku : Meurtriers + voleurs + “dégénérés” (= ceux qui ont commis l’adultère ou couché hors de toute légitimité).
4) Kyokan-Jigoku : Meurtriers + voleurs + dégénérés + ivrognes
5) Daikyokan-Jigoku : Meurtriers + voleurs + dégénérés + ivrognes + menteurs
6) Shonetsu-Jigoku : Les cumulards précédents + blasphémateurs
7) Daishonetsu-Jigoku : Les précédents + violeurs
8) Mugen-Jigoku : le plus effroyable. Ceux coupables de tout ce qui précède et qui ont en plus tué leurs parents ou de “saintes personnes” ( = moines bouddhistes, rappelons que c’est un enfer imaginé par des moines bouddhistes…)

Les tortures sont échelonnées selon ce que vous avez additionné comme péchés. Elle sont infligées par un corps professionnel hélas peu gréviste car heureux de son boulot, les “oni”, assimilables aux diables judéo-chrétiens, y compris par leurs cornes de rigueur, leurs crocs, leurs griffes et faciès repoussant.
Ici entre autres se pose un débat peu facile à trancher : de telles convergences prouvent-elle une influence culturelle Occident-Orient dans l’antiquité ou bien s’agit-il de projections mentales universelles ?

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Cyril le 3 septembre 2016 à 13 h 27 min #412292

Pas trop le temps de détailler mais l’enfer est présent dans pas mal de mangas, sous des formes liées au Japon, au christianisme ou à la mythologie grecque notamment.

Le premier titre qui me vient à l’esprit est évidemment l’adaptation fidèle de La divine comédie de Dante par Go Nagaï, très fidèle à l’oeuvre originale, avec notamment ses scènes de torture. De façon plus comique, l’enfer d’Hell’s kitchen me semble aussi relever de cette lignée.

Dragon Ball et Yu Yu Hakusho ont davantage un enfer japonais, avec notamment la présence de démons et la possibilité de se réincarner après avoir été purifié. Kenshin me semble aussi avoir un enfer de ce style (mais plus sombre) lors de la scène avec Shishio et ses deux fidèles acolytes après sa mort. Je ne me rappelle plus trop des détails mais il y a aussi un enfer dans Ah my goddess. Le manga étant gentillet, on voit le côté “administratif” mais pas de tortures (idem pour Que sa volonté soit faite).

Saint Seiya a bien sûr un enfer tiré de la mythologie grecque mais avec quelques ajouts chrétiens (notamment l’inévitable référence à Dante). Le combat entre Ikki et Shakka fait en revanche référence à l’enfer bouddhiste que tu évoques.

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Lord Yupa le 8 septembre 2016 à 19 h 54 min #412459

Excellentes précisions, Cyril !
Il faut ajouter sur l’enfer bouddhiste que le cas des enfants mourant trop jeunes pour avoir commis des crimes (encore que la méchanceté, ça vient très tôt !) restent sur la rive du Sanzu, à empiler des cailloux, non pas à perte de vue mais jusqu’à ce que le boddhisattva Jizô vienne les en délivrer en les amenant au Gokuraku. D’où les petits manteaux et bonnets dont les gens ayant perdu un enfant jeune ou en bas âge habillent les statues de Jizö pour hâter son intervention ou pour le remercier d’avance.
Les “oni” ne sont pas nécessairement malveillants. Comme le montre leur usuel pagne en peau de tigre, ils ne veulent pas plus de mal aux humains qu’un tigre qui n’est pas affamé. Mais aux Enfers leur job est de vous écorcher, de vous scier en deux, de vous écrabouiller, etc. Dans Love in the Hell, assez conforme à la tradition, les damnés tous les soirs reçoivent une raclée de leur “oni” attitré, mais se réveillent le lendemain avec un corps régénéré. Heureusement pour Rintaro, sa persécutrice Koyori est une débutante pas tellement méchante.
Lamu et son peuple supposé “E.T.” ne sont autres que des “oni”, comme l’attestent leurs pagnes tigrés et leurs cornes ; et bien que jolie, notons tout de même que Lamu est justement jalouse comme une tigresse et torture volontiers (à l’électricité).
J’avais oublié un de mes manga situé en enfer :
Stray Little Devil, (2007) par Mori Kotaro, chez Ki-oon. Pam est une collégienne qui se fait aspirer par un cercle magique, se retrouve en un Enfer plutôt farfelu, et devra suivre des cours en tant qu’apprentie-démone. En fait le pays rigide et strict des Anges, non loin de là, paraît plus oppressif que l’Enfer.
Le plus formidable et le plus adulte des manga sur l’Enfer est, de loin, Dorohedoro, stupéfiante saga arrivée au Japon au volume 20. Les diables y sont des plus classiques pour les Occidentaux : à pieds de bouc, faciès glaçant, longue langue pendante, et maîtres suprêmes d’une population humaine qu’ils ont divisée en deux, les Mages à pouvoirs spéciaux et les humains de basse caste subissant les “expériences” des précédents (pour la joie cynique des Diables).

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Cyril le 10 septembre 2016 à 7 h 55 min #413803

Ce que tu dis sur les enfants dans l’au-delà bouddhiste me rappelle aussi les limbes chrétiennes où les jeunes enfants non baptisés iraient car non lavés du péché originel. Mais là, il n’y a pas de possibilité de rémission (contrairement au purgatoire).

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Lord Yupa le 13 septembre 2016 à 22 h 25 min #414308

Cyril wrote:

Ce que tu dis sur les enfants dans l’au-delà bouddhiste me rappelle aussi les limbes chrétiennes où les jeunes enfants non baptisés iraient car non lavés du péché originel. Mais là, il n’y a pas de possibilité de rémission (contrairement au purgatoire).

Le purgatoire a été ajouté au 12ème siècle par l’Eglise à la doctrine chrétienne parce que, peu de gens pouvant se considérer comme sans péché, une menace de désaffection de la croyance se dessinait, d’autant que les chapiteaux et tympans des églises romanes se livraient à de joyeux renchérissements sur les démons et tortures de l’Enfer. Des hérésies apparaissaient (Bogomiles, Cathares…). Fallait trouver un truc.

Stairway to Heaven est évidemment très spécial (et très marrant) : l’héroïne très âgée et vierge car elle s’est dévouée aux autres sans jamais penser à son bonheur sexuel est punie pour non-hédonisme ! Elle chute alors tout en retrouvant un beau corps (à poil) de 20 ou 25 ans dans l’Enfer du Désir, aux rivages de plages océaniennes mais peuplés d’oiseaux et d’animaux à têtes phalliques ! Pourtant elle continue à résister, d’autant que les damnés masculins représentent un danger en réalité… Pas bête, ce manga, mais un peu trop audacieux pour la France, qui se croit très libre sexuellement et qui l’est de moins en moins, ça crève les yeux des gens d’un certain âge comme moi…