Pour Demain
Très beau. Très chiant aussi.
Surtout à cause d'une figure de style dont Brian Azzarello use et abuse du début à la fin.
La discussion à trois tiroirs.
Pour faire simple (façon de parler), vous avez deux personnages qui discutent et, au lieu d'aller droit au but sur le sujet qu'ils veulent aborder, ils te font des détours àlacon, souvent en trois couches, semble-t-il destinés à donner une certaine épaisseur aux dialogues. Illusoire.
Un exemple : Il s'agit du premier chapitre de l'histoire, donc pas de spoil !
Superman (à propos de l'église dans laquelle il se trouve) : “- J'avoue que c'est plus impressionnant dedans que dehors. Comme tous les lieux remplis de secrets.
– De quels secrets parlez-vous ?
– Des vôtres.”
Et je raccourcis parce que ça dure comme ça pendant trois pages supplémentaires…
Trois couches pour faire dire à Superman qu'il veut se confesser (le mot-clé était “secrets” !) ! Bordel de chiotte ! Vous me croirez si je vous dis que tout le livre est comme ça ?
Parce que c'est le cas !
Et c'est pas tout. Il y a une autre figure de style que le père Azzarello semble affectionner, vu qu'il l'utilise jusqu'à l'usure aussi.
C'est le syndrome du vieux couple.
En clair, c'est le syndrome du “je finis la phrase de mon interlocuteur”.
Et le pire, c'est que ce bon vieux Azzi semble se foutre gentiment de notre trogne lorsqu'il fait dire au prêtre puis à Superman (au début de l'histoire) : “Vous lisez les pensées ?“
Ben moi je dis, après avoir lu et relu l'album, oui ! Vous lisez tous deux les pensées de l'autre, vous nous l'avez bien montré pendant plus de trois-cents pages, alors roulez-vous une pelle, mariez-vous et divorcez, mais vite, parce que là, je n'en puis plus.
Et c'est la même chose pour tous les autres personnages qui croisent et discutent avec Superman d'ailleurs !
Mais le plus gros défaut de l'oeuvre reste sans aucun doute ce ton général dans l'ensemble. Un ton incroyablement péteux et arrogant, que tous les personnages emploient. Un peu comme s'ils étaient au théâtre à déclamer du Shakespeare, mais sans le talent derrière.
Au bout d'un moment, on a envie de leur dire de se calmer un peu, et de parler normalement.
Heureusement, il y a aussi des bons points.
En premier lieu, le dessin de Jim Lee, que personnellement j'adore, et qui aide énormément à faire passer la pilule. Je reviendrai une autre fois sur cet excellent dessinateur, lorsque je parlerai du brillant Batman – Silence !
Ensuite, l'autre intérêt, c'est que l'histoire a déjà eu lieu, en partie (environ 80 % de l'album joue sur les flash-back), avant le temps présent dans l'album.
Superman vient se confesser suite à ses erreurs lors d'un évènement ayant entraîné la disparition d'un million de personnes sur Terre en 24 heures.
On découvre ainsi ce qui est arrivé au fur et à mesure que l'on suit la discussion, Superman racontant l'histoire petit à petit, comment et pourquoi ces disparitions ont eu lieu.
Reste qu'à la fin, on ne peut s'empêcher de penser “tout ça pour ça !?” Une histoire bien simple, qui ne repose finalement que sur des artifices narratifs, très maladroits par surcroît ! Se reporter aux figures de style de Brian Azzarello évoquées plus haut ! On noit le lecteur dans des discussions pseudo philosophiques pour enrober l'histoire, qui n'avait pas besoin de douze chapitres, au bout du compte. La moitié aurait largement suffi !
L'autre artifice révélerait du spoiler, alors autant le dire sous la balise qui va bien !
Il s'agit de l'amnésie de Superman, qui est en fait le seul responsable de la disparition des humains dans la zone fantôme. Un procédé qui à mes yeux montre bien que Brian Azzarello se moque totalement de l'Homme d'Acier.
Ce qui finit d'entériner ma théorie selon laquelle Azzarello se fout de la tronche du lectorat et de Superman se trouve dans ses commentaires même.
Azzarello et Jim Lee se sont chacun livrés à un commentaire sur Pour Demain. Si on sent tout de suite la passion transparaître dans les phrases de Jim Lee, on se dit que Mr Azzi n'a cure des aventures de Supes !
Et j'admire même l'optimisme de Jim Lee, qui cherche à trouver un véritable sens dans le scénario complétement fumiste d'Azzarello. Il faut lire le commentaire de ce dernier pour comprendre.
La seule chose dont il daigne parler dans sa tartine de deux pages, c'est sa totale hébétude devant la demande de Jim Lee de s'occuper de Superman durant un an ! Pour le reste, il ne parle que de bouffe, de resto et de paris àlacon ! C'est une véritable révélation ! Relisez ce commentaire d'Azzi après avoir terminé la lecture de Pour Demain, et tout vous paraîtra plus clair : Brian Azzarello n'en a définitivement rien à fiche de Superman !
Mais qu'on soit bien d'accord, je trouve Azzarello brillant sur ses titres en Creator Owned et Before Watchmen, et encore plus sur Wonder Woman. Mais je suis convaincu qu'il se fout de Superman comme de l'an 40.
En conclusion, Superman – Pour Demain, c'est un très joli emballage (Jim Lee !) et une histoire qui se lit vite. Mais au final, on n'en ressort rien.
Je n'ai pas été marqué par l'histoire. Peu d'intérêt, un danger qu'on n'arrive pas à ressentir (la faute à des vilains complètement ratés), les quelques autres super-héros qui passent juste pour faire un coucou agissent dans le non-sens le plus total (c'était quoi le but de Wonder Woman au final ? Empêcher Superman de se suicider en le tuant ? 😉 ), et surtout, c'est creux… très creux.
Rajoutez-y des personnages exagérément grandiloquents, jusqu'au ridicule, et vous avez le tableau.
"With the first link, the chain is forged. The first speech censured, the first thought forbidden, the first freedom denied, chains us all irrevocably." -Jean-Luc Picard
Star Trek - The Next Generation / The Drumhead