Citation (bub @ 29/09/2012 09:34)
Voilà une remarque vraiment intéressante.
J'appartiens à une génération qui a été sevrée aux oeuvres SF japonaises pas franchement optimistes : Akira par exemple, est plus ou moins une allégorie sur la vacuité de la maîtrise du nucléaire. “Quand Akira échapper au contrôle des scientifiques, lui tout faire pêter”. Maintenant, il est vrai qu'Akira n'est pas un shonen et vise un autre type de public que Letter Bee par exemple.
Reste que je trouve paradoxal que pour évacuer l'angoisse d'un futur très incertain les auteurs aillent puiser dans une esthétique quelque peu morbide (pas au sens péjoratif) l'inspiration pour réaliser des oeuvres destinées à la jeunesse.
Pour la jeunesse spécifiquement, elle peut être très difficile surtout pendant l'adolescence. Il ne me surprend pas que les récits sombres puissent concerner plus particulièrement à cette période, je suppose qu'il y a quelque part un phénomène de cartharsis (quand tu es triste, n'as-tu pas tendance à écouter de la musique triste, et de la musique punchy quand tu es joyeux ?).
Après, comme je le disais plus haut, l'intérêt du gothique ne se manifeste pas que dans la noirceur du récit, mais plutôt dans l'étrange, le dérangeant, la zone d'ombre incertaine et fascinante. Ce qui fait que les ados ne partageant pas cet intérêt là se rangeront à la fin de leur crise, pendant que d'autre continueront à nourrir cet imaginaire.
Après, sur l'époque, à mon avis on est dans le même cas de figure que dans les années 80/90, voire pire. Le spleen “fin de siècle” était assez diffus, mais depuis on se coltine de “vrais résultats” avec toujours plus de catastrophes naturelles, la crise financière, chômage toujours en hausse… Le 11 septembre a prouvé que la folie de quelques individus pouvait même meurtrir la première puissance mondiale, ce qui sous-entend que personne n'est à l'abri. Tchernobyl a fichu un coup au moral, 25 ans après Fukushima vient faire un rappel. On a eu notre spectre de la fin du monde en 99, bizarrement l'angoisse est exactement la même avec 2012, jusqu'à ce qu'elle puisse se concentrer sur une nouvelle date…
Enfin, tout cela n'est pas lié au gothique directement, mais ce climat peut y contribuer. Dans un autre registre, il paraît que la dystopie est un genre littéraire en pleine explosion, avec notamment l'exemple de la saga Hunger Games. N'est-ce pas un signe que la jeunesse se pose actuellement beaucoup de questions ?
Citation (bub @ 29/09/2012 09:34)
Gothique ?
Hmm, je ne connais pas assez l'univers de Matsumoto pour donner un avis. <img src="style_emoticons//happy.gif” style=”vertical-align:middle” emoid=”^_^” border=”0″ alt=”happy.gif” />
Je ne pense pas que cela soit le cas, mais la couverture d'un des derniers numéros d'AL s'en approchait.
Il faut surtout voir le fond du personnage. Il est défini comme pirate, mais est-ce vraiment un être à part par sa psychologie ? A-t-il quelque chose de singulier, qui le place en marge ? L'espace est-il synonyme d'errance sombre ou pas ? Des éléments fantastiques viennent-ils donner à cet ensemble un caractère étrange, fascinant, déstabilisant ? Ou est-ce un espace très codifié, une imagerie finalement assez aseptisée ?
Citation (bub @ 29/09/2012 09:34)
Je t'accorde qu'on trouve pas souvent des mangas ayant pour thème cette période, mais est-ce aussi le cas dans les jeux vidéos ? Après tout, l'héroïc fantasy n'est-il pas un Moyen Age fantasmé, tout comme le fantastique gothique serait un fantasme de l'époque victorienne ?
Je ne m'y connais pas assez en jeux vidéo, en revanche j'approuve pour la fantasy = Moyen-Age fantasmé.
Pour rebondir sur Yupa qui citait Le chevalier à la charrette, le seul titre de ma connaissance traitant un peu du mythe Arthurien est Fate/Zero (et pas Fate/Stay Night, la différence entre ces deux séries étant abyssale). Même si Arthur y est devenu une femme, certains questionnements sur le sens de la quête du Graal, sur la façon de gouverner, sur la place des idéaux dans un monde sans pitié est vraiment recherché et bien traité. En plus, la série est juste visuellement belle à pleurer dans de nombreuses séquences, ça dépasse largement nombre de longs métrages d'animation. Mais bon, c'est un autre débat 😉 !
Citation (bub @ 29/09/2012 09:34)
Qu'est-ce qui fait donc le lien entre des auteurs aujourd'hui quadragénaires comme Clamp, leurs premiers lecteurs des années 90 aujourd'hui trentenaires et les jeunes fans actuels ? Une même vision de l'avenir ? ça m'a l'air plus profond que ça.
Ayant pas mal de lacunes à rattraper, je lisais il y a peu les premiers chapitres du tome 1 de Tokyo Babylon. On y retrouve des questionnements qui dépassent les années : orgueil et décadence de l'humanité, sentiment de ne pas être “comme les autres”, peur de la solitude, de l'échec… Tout ça mâtiné de fantastique, d'histoires dérangeantes comme l'image du cerisier fleurissant sur des cadavres.
Les thèmes traités sont suffisamment universels pour traverser les époques, et le surnaturel assez fascinant pour laisser une impression forte. Ne sommes-nous pas toujours aussi fascinés par des récits comme Le Portrait de Dorian Gray, alors qu'il date de plus d'un siècle ? L'image du portrait en lui-même est toujours aussi saisissante, de même que la fascination de contempler sur un support réel l'image de sa propre décadence. Il est à la fois le thème du double, de la conscience, la peur de sa propre personne et de notre ambivalence. Il est le symbole de la désagrégation d'une âme initialement pure qui ne cesse de s'enfoncer et de se pervertir, si bien qu'elle devient l'horreur visualisable de son propre porteur.
Citation (bub @ 29/09/2012 09:34)
Et c'est là que j'en reviens à ce que je demandais plus haut : quand commence cette tendance exactement ?
Dans les manga, je crois que Fullmetal Alchemist marque un tournant. D'abord, parce qu'il ose introduire dans le shônen le thème central de la mort, et l'idée d'une quête intérieure profonde qui ne soit pas simplement “je veux devenir le plus fort”. Il a une dimension psychologique et des questionnements existentiels graves malgré son côté accessible, même s'il ne présente pas une esthétique franchement gothique.
Tu pourras noter que l'arrivée des femmes dans le shônen accentue la brèche initiée par Arakawa : D.Gray-man, Kuroshitsuji, Pandora Hearts… présentent un aspect psychologique fort, des enjeux bien autres qu'une quête de puissance, et sont tous dessinés par des femmes. Peut-être leur arrivée dans le shônen a-t-elle permis l'émergence et la popularisation de ce genre qui, en reprenant Clamp et Kaori Yuki, s'était surtout contenté de rester côté shôjo ?
D'une autre part, je me pose la question de la mondialisation de la culture. En France, ces dernières années ont vu les manga exploser, et avec eux la démystification de nombreux aspects de la culture japonaise (aperçu de l'Histoire, vie quotidienne, traditions…). N'y aurait-il pas un effet similaire de leur côté, avec notamment toutes les perspectives qu'offre Internet ?
Il y a vingt ans, faire un travail de recherche prenait avant du temps. Il fallait se documenter dans des bouquins, trouver des renseignements sur tel détail de l'époque que ce soit en architecture, mœurs, objets usuels etc… Maintenant, toute une culture lointaine est à portée de clic. N'est-il donc pas plus facile qu'avant de se faire plaisir en créant un manga se passant en Europe, la partie fantasmée permettant de toute façon toutes les approximations et fantaisies ?