Avant de commencer cet éprouvant duel, j'aimerais une fois de plus vous exprimer la joie qui m'anime à l'idée de défendre les couleurs d'un titre qui a pour moi une place vraiment particulière dans mon petit coeur de vieux lecteur plus trop à la page de rien :
Transparent
Transparent…
Il y a les oeuvres qu'on trouve sympa, celles qu'on trouve géniales, et il y a celles -très rares- qui vous marquent à vie dès la page 1. C'est le cas de ce titre que j'ai su que j'adorerais, ce dès les 3 premières pages, perdu dans un rayon "occasion" d'un vieux boui-boui nantais. Un effet assez magique dont on se rappelle encore 10 ans plus tard.
Je ne sais même pas par où commencer.
Par son géniteur peut être, histoire de mettre encore plus en en relief la pépite que nous avons là. Makoto SATO est un homme humble. Né en 63, il démarre sa carrière dans les années 80 en tant qu'assistant de Yumiko SUZUKI (une auteure de josei), entre 2 jobs précaires (dont garde chantier). En parallèle il publie quelques manuscrits sans prétention, dont l'un deviendra la série qui nous intéresse. Malgré cette reconnaissance, SATO aura toujours cette petite tendance à se considérer encore et toujours comme un assistant, toujours en formation, toujours immature pour voler de ses propres ailes. C'est ainsi le témoignage qu'il souhaite laisser dans les postfaces des volumes reliés : chacun des 8 tomes que compte la série sera l'occasion pour lui de décrire toutes les difficultés du monde qu'il a eu à accoucher du bouzin (ainsi que, accessoirement, de la joie qu'il en retire).
Après Transparent, l'auteur s'est investi dans divers projets assez modestes, entre 1 et 3 tomes (l'omnibus Black Jack Alive, Tôbôi F, Mushûsei Gakkyu Karareya, Todoroke! Tekkotsu-kun ainsi qu'une petite suite de Transparent : Satorare Neo, encore inédite en France).
Qu'est ce que Transparent ?
Artistiquement Transparent est un peu comme Edison Fantasy Science : une oeuvre de jeunesse, qui forcément pêche pas mal coté dessin, il faut l'avouer n'est pas très sexy. Grimaces involontaires des personnages, problèmes de proportions, trait parfois disgracieux pourront rebuter. Il n'y a même pas, finalement, le charme que l'on pouvait malgré tout trouver sur EFS. Le style s'améliore tout de même sur les derniers tomes en devenant plus joli, mais reste néanmoins loin des canons du genre. Ceci dit Transparent ne se lit pas pour ses dessins, ni même pour ses phases d'action. Transparent se lit quasiment comme un roman. On l'apprécie pour son fond scénaristique, sociologique voire philosophique quasi inépuisable. Le tout sans être élitiste une seule seconde, bien entendu.
Le récit se déroule de nos jours. Dans une société qui pourrait être la nôtre. A ceci près que depuis quelques dizaines d'années un mal étrange est apparu dans la population, et touche environ une personne sur 10 millions. Elle consiste en une malformation cervicale ayant pour effet incongru de rendre toutes les pensées et les émotions de la victime complètement audibles par toute tierce personne dans un rayon de 50 mètres ! Ces personnes sont appelées les Transparents. C'est un peu de la télépathie finalement mais à l'envers, puisque la personne n'a aucunement conscience de cette porosité mentale. Non content d'inventer un concept déjà génial, l'auteur double la mise en ajoutant une couche d'enjeu absolument machiavélique : les Transparents se sont TOUS révélés, au fil du temps, des génies absolument incontournables dans leur domaine de compétence, qu'il soit scientifique, culturel ou économique. Donc là ou la société aurait pu se ficher éperdument de ces phénomènes, elle se met tout à coup en devoir de les considérer comme trésors nationaux dans chaque pays, et de les protéger de tout ce qui pourrait leur nuire, à commencer par la conscience d'eux mêmes !
Car oui, imaginez donc le tableau : si les 3 premières pages sont hilarantes d'entrée de jeu, c'est pour mieux laisser entrevoir toute la problématique du sujet. Et encore, à ce stade on est très loin de se douter de tous les revers que peut engendrer une telle situation.
Ainsi graphiquement ça reste très lisible : les dialogues parlés sont normaux tandis que les pensées audibles sont écrites en majuscules bien droites. L'auteur, au delà du fond assez grave, arrive à jouer avec ces situations de manière vraiment très drôle. Les dialogues sont un régal et rendent les personnages vraiment attachants et très humains, sans passer par le physique ou des actes héroiques. Juste des gens honnêtes au possible (même plus), capables de vous faire hurler de rire et de vous angoisser en l'espace de quelques cases.
Pour ce soir je ne vais pas trop en faire, car ça reste malgré tout que le premier coup dans les roubignoles du chaton et j'espère en donner d'autres. Je vais donc simplement présenter un peu les personnages et l'univers.
L'histoire se déroule au Japon. On y suit notre premier Transparent, Yukio Nishiyama, thésard dans une fac de physique, et futur grand espoir du Japon dans ce domaine (pressenti pour être Prix Nobel, entre autre). Ce dernier est suivi à son insu par la narratrice Yoko Komatsu, un membre du Bureau déguisée en camarade étudiante pour le surveiller d'encore plus près.
Le Bureau : un personnage à part entière. Loin d'être une banale agence de renseignement ou d'espionnage, le Bureau est la clé de voûte de tout le système de prise en charge des Transparent par le pays. Il gère en effet chaque parcelle de leur vie de la naissance à la mort, en s'occupant aussi bien de leur sécurité et de leur bien être que de leur éducation, leur parcours professionnel, géographique voire même amoureux. Leur mission n°1 est A TOUT PRIX d'éviter qu'un Transparent prenne connaissance de son état. Pour cela 2 axes de travail sont suivis :
1- Eduquer la population, jour après jour, pour qu'en cas de croisement du chemin d'un Transparent, les gens restent stoiques comme s'ils n'entendaient rien de leur pensées. La bulle autour d'un Transparent devient ainsi quotidiennement un simulacre de vie, où la moindre grand mère qui achète son pain fait en réalité des efforts surhumains pour simuler la banalité de son geste, alors qu'en réalité chaque phrase du Transparent pourrait la faire réagir, même involontairement. A noter que le gouvernement punit de peine de mort tout citoyen dévoilant son identité à un Transparent. De quoi motiver à avoir l'air de rien. La communication passe donc par des campagnes nationales (système éducatif, média…) mais aussi par les fameux agents (dont notre héroine fait partie) qui en plus de surveiller chaque sujet, préviennent, informent et rassurent la population, souvent prise de surprise. Un boulot à double facette, donc, relativement éprouvant.
2- Gérer la population de Transparents (une dizaine existent au Japon pour les besoins de l'histoire) de manière à ne JAMAIS leur permettre de se croiser, même par hasard. Car il est de notoriété publique que deux Transparents en présence l'un de l'autre se révèlent automatiquement leur nature. A éviter absolument pour éviter les traumatismes que l'on imagine bien : ainsi exposé à la vue de tous, comment réagir sinon par des névroses, de la folie voire même du suicide ? C'est suite à des histoires pas très heureuses de ce genre que le Bureau et ses missions furent mis en place il y a une trentaine d'années.
Il y aurait 1000 choses passionnantes de plus à dire sur le Bureau, mais en voilà assez pour vous donner le genre d'organisation que c'est, sans non plus entrer dans le spoil. Pour finir cette introduction, un petit listing rapide de différents personnages histoire de voir quel genre d'épines attendent le Bureau. Je passe rapidement volontairement pour intriguer sans tout dévoiler.
– Shigefumi Shiraki : 2e Transparent recensé au Japon. Né avant la loi de protection des Transparents, ayant appris sa condition et devant à présent vivre sur une ile déserte pour que son respect de vie privée soit satisfait. Gagne sa vie et participe au pays via des cotations en bourse. Trader de génie.
– Hiroshi Kimura : Transparent de 6 ans, élevé dans la "Ville des Transparents", un village contrôlé par le Bureau ou chacun est 100 fois plus sensibilisé qu'ailleurs pour accompagner les sujets jusqu'à l'âge adulte.
– Hiromi Kunimitsu : directeur du Bureau depuis sa création. Un des hommes qui les connait le mieux, et qui les comprend le mieux. Prend très à coeur sa tâche, et ira plusieurs fois contre des décisions des différents ministères pour laisser aux Transparents le maximum de liberté possible.
– Ichiro Yamada : Chirurgien extrêmement réputé en neurosciences, c'est à lui qu'on fait appel au moindre rhume de Transparent. Et parce qu'il faut bien un méchant dans un manga, c'est Yamada qui s'y collera. Sauf que malgré son air louche, le bonhomme sera bien loin d'être le vilain pas beau gratuit. Ce personnage est tout simplement d'un pragmatisme absolu sur la question des Transparents. En voulant les supprimer de la société (je n'en dis pas plus sur ce que cela implique), il suit tout simplement sa conscience de médecin, et les arguments qu'il avance au sujet de leur place dans l'Humanité sont loin d'être idiots.
Ceci n'est ben sûr qu'un échantillon de tous les protagonistes que vous pourrez rencontrer tout au long de l'aventure.
Demain nous nous focaliserons sur la structure du récit ainsi que sur le kaléidoscope de situations évoquées dans cette oeuvre, avant de finir (peut etre) sur les reflexions plus globales que nous inspire cet univers. Avant éventuellement de discréditer Tom sur tel ou tel sujet, bien sûr. Fu fu fu.
Sur ce bonne nuit Pingouins, et merci de m'avoir lu. Cette semaine je sacrifie ma vie de couple pour ce jeu stupide, autant ne pas en rajouter. 🙂