Le synopsis décrit plus haut (hypocrisie, compétition) est vraiment le concept de base de la série, le coté chic et décalé destiné à appâter -certes efficacement- le chaland, et c'est peu ou prou le résumé que vous trouverez dans 99% des descriptifs du titre. Et pourtant tout cela est tellement, tellement peu, une goutte d'eau dans la piscine des folles aventures qui attendront ces deux adorables loustics. Car oui KareKano ne se trouve pas être, à la manière de moult shojo (voire shonen) pullulant sur le marché, une étenelle quête de l'être aimé qu'on obtiendra soit dans les dernières pages, soit jamais ; mais bel et bien une histoire qui raconte, enfin, le APRES. Nom d'un chien, on parle de RELATION DE COUPLE ici, pas de flirt à dix sous ni de drague inutile. Au fil des pages se construit une vraie relation, d'abord plus ou moins superficielle, mais se creusant chaque chapitre un peu plus. Que se passe-t-il une fois que la Belle au Bois Dormant se fait prendre en taxi par son Prince Charmant ? Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants ? Loin d'être une fin en soi, ici la mise en couple est relativement rapide, pour mieux devenir un fabuleux point de départ. En gros on dit bonjour la vie, et adieu les contes.
C'est la grosse qualité de ce titre : l'évolution. On n'a jamais l'impression de tourner en rond. Tout s'enchaine de manière intéressante. Rien que le début ne laisse jamais place à l'ennui : introduction des personnages sur le ton de la comédie, chapitre "esclavage" (là ou d'autres font des séries complètes reposant sur ce concept, cf. Hot Gimmick), découverte des sentiments, premier bisou, la suite…
Au delà du simple fait de se présenter les parents, les familles, de passer du temps ensemble etc, c'est tout le coté psychique des personnages qui sera bouleversé par cette relation. Rappelons que nous parlons malgré tout d'adolescents, l'âge ou tout s'émancipe, physiquement comme mentalement (ce n'est pas par hasard que Hideaki ANNO tombera amoureux de ce récit). Si dans KareKano le coté "physique" est assez désespérant (le coté shojo qui fait perdurer un peu gratuitement la timidité des deux tourtereaux pendant les 3 ans du récit, même après coucherie : pas très naturel tout ça), le coté psychologique nous offre une formidable exploration de la psychée de jeunes japonais des années 90-2000, tout en finesse et sans précipitation. Une profonde reflexion est menée par chacun sur sa condition, sa place dans ce monde, son rôle par rapport à l'autre, et surtout sur la notion d'illusion. Si pour Miyazawa le choc nous parait évident entre son ancienne vie supeficielle et la nouvelle sincérité qui se profile, il devient tout de suite plus intrigant de s'interesser à monsieur.
Je ne vais pas m'étaler des heures car il est 19h30 et que je dois bientôt rendre ma copie, donc en gros les points que je voulais évoquer :
– Malgré sa perfection apparente, Arima cache lui aussi un coté moins lisse, lié à une enfance dans laquelle se mêlent accouchement non désiré, coups et blessures, abandon parental, adoption et rejet par le clan familial.
– Je parlais plus haut d'un récit qui évolue. On peut également dire qu'il est très varié : "Elle" et "Lui" peuvent en effet prendre d'autres visages et d'autres voix. Les protagonistes pouvant prendre le contrôle du récit atteignent environ une quinzaine de personnages plus ou moins principaux, et tous très travaillés (un peu à la manière de Naruto ou de One Piece, version "réaliste"). ils se composent d'une riche bande d'amis lycéens, mais aussi d'adultes. Ce parti pris dans la mise en scène permet un très vaste éventail de nuances, évoluant toutefois à travers un prisme commun dans lequel on passe tous à un moment de notre vie : la construction de l'identité. Nous sommes tous différents, et pourtant l'on se pose tous un jour les mêmes questions : qu'ai-je fait de ma vie jusqu'à présent ? Ou en suis-je aujourd'hui ? Et surtout : comment gérer mon avenir ?
– Les exemples (ici en vrac) ne manquent pas pour explorer selon chacun ce thème universel : la pratique d'activités depuis tout petit (sportives ou artistiques), une célébrité à gérer (jeune ou moins jeune), une paternité précoce, une famille recomposée, une autre élitiste, obésité, désir sincère de métier superficiel (hôte de bar), jalousie et ijime, incursion du corps professoral dans la vie privée…
– Il y a un arc sympa dans l'histoire ou le groupe décide de monter une pièce de théatre. Cela parait anodin mais cette entreprise demande beaucoup de travail, et chacun fera preuve durant cette période du meilleur de lui même. Avec à la clé : meilleure connaissance des autres, mais surtout de soi. Pour prendre une fois de plus l'exemple de Yukino : cette période sera celle d'une immense remise en question, elle qui il y a peu était si sûre d'elle. A quoi ont servi toutes ces années de mensonge, sinon se mentir à soi même ? Sinon à s'isoler ? Tout est-il fichu ? Puis-je moi aussi me trouver un talent là ou les autres en ont tous un et ont donc des années d'avance sur moi ? Je dis ça pour Yukino, mais tous auront un ou plusieurs arcs dans le récit pour pouvoir s'exprimer sur le sujet. Au passage, la scène de la pièce, qui dure plusieurs chapitre, est très bien écrite, une histoire dans l'histoire, c'est assez bluffant. C'est une histoire de SF à base d'androide, mais vous l'aurez compris elle servira via ses questionnement sur la nature humaine de reflet à la situation de plusieurs perosnnages.
Kare Kano, c'est un peu Hartley Coeurs A Vif version shojo, en fait : des tonnes de sujet de société sont abordés à travers toute une galerie de personnages, et l'on ne peut s'empêcher de s'identifier à l'un ou l'autre. Illusion, mensonge, paraître et tabous sont autant de leviers permettant de traverser la vie sans se blesser, mais rendent-ils forcément heureux pour autant ? Savoir jouer sur ces leviers, savoir s'ouvrir sans se décomposer, savoir trouver l'équilibre tout en trouvant LA bonne personne avec qui partager son ressenti : voilà sûrement la plus délicate des quêtes, mais également la plus valorisante une fois que l'on trouve la voie.
C'est vraiment très con dit comme ça, mais observez autour de vous : les gens heureux de votre entourage ne sont-elles pas celles qui communiquent le plus ? Pas forcément avec tout le monde bien sûr, mais il suffit d'une bulle. Il suffit d'une personne.
Pour conclure rapidement (je m'excuse encore de l'aspect décousu de mon texte, c'est vraiment à l'arrache à cause de l'incident d'hier), les mots clés pour cette série sont : portrait d'une société juvénile japonaise, accès à la maturité (quelque soit l'âge d'ailleurs), construction de l'identité de chacun. Le tout dans un écrin alternant avec finesse moments graves, mignons et hilarants.
Maintenant je m'en vais, on a une invitée et j'ai déjà trop abusé depuis que je suis rentré. :-p
Poutre moi bien Roz, tu as champs libre avec un "texte fait à l'arrache" dont tu as le secret ! 🙂