The Sky Crawlers

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  • Pio2001
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    Pio2001 le #275978

    Après avoir regardé The Sky Crawlers deux fois. J'ai trouvé l'histoire intéressante et j'ai décidé d'écrire un article à son sujet. J'étais loin de me douter de la profondeur du scénario, que j'ai découverte au fur et à mesure que je me repassais telle ou telle scène pour appuyer mes observations sur les dialogues exacts. Attention spoilers !

    Si vous ne l'avez pas encore vu, ou si vous avez fait l'erreur de le regarder en VF, je ne peux que vous recommander de le regarder en VOST. La VF est malheureusement désastreuse, avec des textes stéréotypés et des voix inadaptées.
    Et n'oubliez surtout pas les 1 minute 30 de film cachées après le générique de fin. Elles font partie de l'histoire.

    Comme les noms japonais ne sont pas faciles à mémoriser pour nous, voici un rappel de quelques personnages :

    ************
    Personnages
    ************

    Sasakura : la "maman" mécanicienne.
    Yuichi Kannami : le personnage principal. Surnommé Cairn dans son escadron.
    Suito Kusanagi : l'autre personnage principal. C'est la supérieure hiérarchique de Kannami à la base de Rostock.
    Tokino : le compagnon de chambre de Kannami. Un fêtard.
    Yudagawa : leur camarade aux cheveux blancs, qui plie toujours son journal impeccablement.
    Shinoda : le quatrième pilote en poste lors de l'arrivée de Kannami.
    Jinroh Kurita : le prédecesseur de Kannami.
    Fûko (Fooco en VOST) : la prostituée brune.
    Mizuki Kusanagi : la fille de Suito Kusanagi.
    Mitsuya : la nouvelle pilote, qui s'interroge sur sa nature de Kildren.

    Dans les citations, les indications de durée sont celles indiquées sur le Blu-ray français. Elles peuvent différer d'un support à l'autre selon l'encodage vidéo. Celui-ci est de 23.976 fps. Les durées correspondent donc à celles qu'indiquerait un DVD NTSC (Japon, USA…).
    Elles peuvent différer légèrement de celles qu'indiquerait un Blu-ray encodé à 24 fps (vitesse cinéma), et diffèrent complètement de celles qu'indiqueraient un Blu-ray encodé en 50 fps ou un DVD PAL encodé en speedup.

    **********
    L'intrigue
    **********

    Avant d'aborder certains thèmes, parcourons l'intrigue, telle qu'elle nous est présentée dans le film, au sujet de ce fameux Jinroh Kurita, prédecesseur de Kannami.

    0:18:03 Kannami à Kusanagi

    VOST
    "D'habitude, un pilote a l'occasion de rencontrer celui qui l'a précédé. A condition bien sûr qu'il soit vivant."

    VF
    "Mais normalement, quand on reprend un appareil, on doit se mettre en contact avec l'ancien pilote. Enfin, à condition que la personne soit toujours en vie, bien sûr."

    Première question posée au spectateur : pourquoi nous cache-t-on la mort de Jinroh ? Premier indice :

    0:27:40 Kannami à Sasakura

    VOST
    "L'avion est en bonne condition, donc il n'est pas mort en mission."

    VF
    "Si son avion est encore là, ça veut dire qu'il ne s'est pas fait descendre."

    Malgré ses déductions, on ne dit rien à Kannami. Pourquoi ce secret ? Simple :

    0:37:07 Yudagawa à Kannami.

    VOST
    "Sais-tu ce qu'il est arrivé à Jinroh Kurita ?
    -Non, quoi donc ?
    -Elle
    [Kusanagi] l'a abattu.
    -Pourquoi ?"

    VF
    "Au fait, personne t'a dit ce qui était arrivé à Jinroh ?
    -Qu'est-ce qu'il y a à savoir ?
    -Pas grand-chose, sauf qu'elle
    [Kusanagi] l'a descendu.
    -Pourquoi ?"

    Voilà la bonne question posée. Cette question va mettre le doute sur le personnage de Kusanagi pendant le reste du film : est-ce une meurtrière ?
    A priori non, elle a très bien pu agir en état de légitime défense. Mais plusieurs indices sèment le trouble : d'abord sa nature possible de Kildren, dont le métier est de tuer. Elle n'a d'ailleurs pas répondu à Kannami sur cette question (0:18:24). Et le secret qui entoure l'affaire : pourquoi cacherait-on la vérité si elle avait simplement agi pour se défendre ?

    D'autres indices vont guider le spectateur sur la piste du crime. D'abord de la part de Yudagawa, au même moment :

    VOST
    0:36:05 Yudagawa à Kannami
    "Il paraît que des touristes s'amènent."
    0:36:26 Shinoda à Kannami
    "Crois-moi, tu auras envie de les tuer."
    Yudagawa : "La dame serait ravie de tous les flinguer"
    Kannami : "Quelle dame ?
    -Celle à l'étage.
    -Tu veux dire Kusanagi ?
    -Ouais.
    -Pourquoi dis-tu ça ?
    -Elle a toujours un pistolet sur elle."

    VF
    0:36:05 Yudagawa à Kannami
    "Il paraît qu'on a de la visite ?"
    0:36:26 Shinoda à Kannami
    "Bientôt t'auras envie de tous les buter, tu verras."
    Yudagawa : "Je connais une nana qui n'hésiterait pas une seconde, crois moi."
    Kannami : "De quelle nana tu parles ?
    – De celle qui est au deuxième étage.
    -Qui ? Kusanagi ?
    -Ouais.
    -Pourquoi tu dis ça ?
    -Elle porte toujours un pistolet sur elle."

    Indice bien maigre. On flaire la fausse piste. Le fait d'avoir un pistolet sur soi ne prouve rien. Pourtant, par la suite, Kusanagi va faire preuve d'un comportement bien étrange. En particulier en présence d'un pilote ami abattu :

    0:39:42 Femme au sujet du pilote abattu

    VO
    "God help him. Oh boy !" [gag : ça tombe bien, y a Jésus juste à côté !]
    Kusanagi : "Enough is enough ! […]"

    VOST
    "Mon Dieu, venez-lui en aide. Pauvre garçon.
    -Ca suffit comme ça ! Il n'est pas à plaindre ! Comment osez-vous l'insulter avec votre pitié!"

    VF
    "Pauvre garçon ! Oh ! Mourir si jeune !
    -Ca suffit maintenant. Ce n'est pas un pauvre garçon. Ce n'est pas un pauvre garçon, vous entendez ? Il n'a pas besoin de votre pitié. C'est vous qui êtes à plaindre."

    Soldat : "Grrrr !"

    Au premier visionnage, on s'explique le comportement de Kusanagi en supposant que pour elle, le débordement d'émotions de la dame, c'est du cinéma. Qu'elle ne supporte plus le voyeurisme dont les Kildren font l'objet de la part des touristes. On pense qu'elle se sent comme un animal exposé dans un zoo.
    Ce n'est qu'en seconde lecture qu'on pourra comprendre pleinement cette scène.

    Un peu plus loin, un autre personnage, Fûko, va confirmer les propos de Yudagawa, de façon plus nuancée :

    1:03:58 Fûko à Kannami, à propos de Kusanagi :

    VOST
    "Elle a fait un atterrissage forcé à côté de chez moi.
    -Merci.
    -Je l'ai déjà vue comme ça une fois. Quelque chose s'était enfoncé dans son corps, par là.
    Il y a longtemps, elle était venue chez nous. Pour voir un de mes clients. Elle m'a fait partir, et est restée enfermée pendant des heures.
    Cette fille est dangereuse."

    VF
    "Elle a atterri en catastrophe pas très loin de la maison.
    -Merci de l'avoir ramenée
    -Ce n'est pas la première fois, tu sais. Je l'ai déjà vue dans cet état là.
    -Uh ?
    -Oui, comme si… quelque chose avait ravagé son coeur.
    Je me souviens qu'un jour il y a longtemps, elle est venue faire un tour chez nous. Elle voulait voir un de mes clients. Elle m'a fait sortir de la chambre. Et elle n'en est pas ressortie avant plusieurs heures.
    Méfie-toi. Cette fille est dangereuse."

    Cette fois-ci, c'est nettement plus convaincant, tout au moins dans la traduction de la VF. C'est parce qu'elle aurait subi un traumatisme dans le passé qu'elle serait devenue violente. On a hâte d'en savoir plus.
    Cela se précise dans la ville où ils sont en mission, au bowling :

    1:25:40 Kusanagi à Kannami

    VOST
    "J'adorerais aligner ces bimbos et les dégommer d'un coup."

    VF
    "Quand j'vois ce genre de bimbos hystériques, j'n'ai qu'une envie, c'est de les aligner comme des quilles, et de faire un strike."

    C'est la traduction en sous-titres qui est ici plus frappante. En VF, on ne sait pas si elle a l'intention de les tuer, ou si elle voudrait simplement les tabasser. Il faudrait comprendre le japonais pour saisir la nuance dans la VO.

    Puis, sous l'emprise de l'alcool, Kusanagi semble perdre la tête. Elle manque d'abattre quelques fêtards qui passent en voiture, puis pointe son arme sur Kannami :

    1:30:32 Kusanagi à Kannami

    VOST
    "Veux-tu que je te tue ?
    Ou bien vas-tu me rendre le service de me tuer ?
    Sinon rien ne changera jamais pour nous."

    VF
    "Est-ce que tu veux que je te tue ?
    Ou tu préfères me donner la mort ?
    On n'a pas le choix. Si on ne le fait pas, on restera toujours dans cet état."

    La VF est plus claire et évoque un rapport avec leur immortalité. La position de cette scène dans le montage du film est importante : juste après le discours de Kannami au restaurant sur son métier de donner la mort :

    1:27:29 Kusanagi à Kannami

    VOST
    "Même si nous nous entre-tuons ?
    -C'est un métier. C'est comme dans les affaires. Le plus puissant gagne et en tire les bénéfices."

    VF
    "Pourtant ça fait des morts.
    -C'est notre boulot. Ca se passe de la même façon pour n'importe quelle entreprise. C'est le plus fort qui gagne et qui en tire les bénéfices."

    …et juste avant l'arrivée du clone de Yudagawa :

    1:33:50 Kannami à Yudagawa/Aihara

    VOST
    "Qui es-tu ?
    -Je suis un pilote affecté ici.
    -Je suis Kannami.
    -Et moi Aihara. Combien y a-t-il de pilotes en poste ici ?
    -Il y en a sept, enfin huit avec le patron.

    [Aihara plie son journal sous le regard de Kannami]
    -Ca va ? ["Nani ka" en VO, ce qui veut dire "Quoi ?"]
    -Oui, il y avait un gars avant qui pliait son journal exactement comme ça."

    VF
    "Qui es-tu ?
    -Je suis pilote, je viens d'être affecté ici.
    -Je m'appelle Kannami.
    -Moi c'est Aihara. Y a combien de pilotes dans cette base ?
    -On est sept. Enfin, huit avec le patron.
    -Je vois…
    [il plie son journal sous le regard de Kannami] Qu'est-ce qu'il y a ?
    -Rien. Simplement tu as la même manière de plier le journal qu'un type que j'ai connu.
    -Ah oui ?"

    Ainsi, le désir effrayant de Kusanagi de tuer Kannami ou d'être tuée elle-même intervient juste après que l'on a constaté à quel point les Kildren sont indifférents à la mort. Ce qui rend d'autant plus crédible le geste de Kusanagi. On sait à ce moment qu'elle ne pleurera pas la mort de quelques passants anonymes, et qu'elle n'hésitera ni à tuer Kannami, ni à mourir.
    Immédiatement après, un nouvel éclairage transforme notre compréhension de la scène : les Kildren ne meurent jamais ! Même tués, ils reviennent sans cesse, pour l'éternité. Voilà pourquoi Kusanagi dit que "Sinon rien ne changera jamais pour nous." / "On n'a pas le choix. Si on ne le fait pas, on restera toujours dans cet état." Voilà pourquoi elle était si agacée par la mascarade de la mort du pilote : d'un côté elle sait, comme les personnes qui ne sont pas Kildren, que de toutes façons, il reviendra encore et encore, et de l'autre, elle perçoit la mort comme un soulagement, une libération.

    1:43:47 Mitsuya à Kannami

    VOST
    "Je crois que Kusanagi a abattu ce garçon, Jinroh, pour son bien. Pour qu'il puisse en finir. Mais il n'est pas mort.
    -Non ?
    -Non, il est devenu toi. Il a été ramené avec un corps différent. Implanté avec de nouveaux souvenirs, et tu es le résultat. Tu es la réincarnation de Jinroh."

    VF
    "Tu sais, je crois que Kusanagi a tué Jinroh, le pilote que tu as remplacé pour son bien à lui, pour qu'il en finisse avec tout ce cirque. Seulement, Jinroh n'est pas mort.
    -Comment ça ?
    -Il est devenu Yuichi Kannami. On l'a fait renaître dans le corps d'une autre personne, on lui a implanté de nouveaux souvenirs, et au final on obtient Yuichi Kannami. Tu es la réincarnation de Jinroh."

    1:46:45 Kannami à Kusanagi

    VOST
    "Tu as tué Jinroh Kurita ?
    -Oui.
    -Il te l'a demandé ?
    -Oui.
    -Tu l'aimais ?
    -Oui."

    VF
    "Est-ce que tu as tué Jinroh Kurita ?
    -Oui
    -C'est lui qui te l'a demandé ?
    -Oui
    -Tu l'aimais ?
    -Oui"

    Il y a une séquence remarquable très tôt dans le film, où cela nous est révélé de manière codée :

    0:27:32 Kannami à Sasakura

    VOST
    "Le garçon qui le pilotait avant moi s'appelait Jinroh, c'est ça ? Comment est-il mort ? L'avion est en bonne condition, donc il n'est pas mort en mission.
    -rentre et va dormir."

    VF
    "Le pilote qui volait dessus avant, il s'appelait Jinroh, c'est bien ça ? Il est mort comment ? Si son avion est encore là, ça veut dire qu'il ne s'est pas fait descendre.
    -Va donc te reposer un peu, il est tard."

    Puis,
    0:27:54 plan sur Kusanagi
    0:28:03 plan sur le pistolet de Kusanagi
    0:28:47 Kusanagi se rend dans la chambre vide de Kannami et caresse les draps

    Le réalisateur répond ainsi à la place de Sasakura à la question posée par Kannami en montrant successivement le coupable, Kusanagi, l'arme du crime, son pistolet, et le mobile du crime, l'amour.

    Mais si les Kildren ressucitent sans cesse, que signifie pour eux de se faire tuer ?

    ***********
    Les Kildren
    ***********

    Les meilleures explications sont dans le film :

    1:41:03 Mitsuya à Kannami

    VOST
    "Vous finissez par perdre la mémoire. Seule votre hébétude vous permet de garder votre santé mentale. Hier, le mois dernier, et l'année dernière se confondent. Tout devient flou. Je me trompe ?
    -C'est ce que je ressens, en tout cas. Depuis que je suis petit, c'est comme ça. C'est comme si j'étais dans un brouillard, à moitié endormi. C'est ce qu'ils disaient.
    -Tu ne le ressens pas aussi ? Savais-tu que le mot Kildren est un brevet Rostock ? Vous êtes le résultat accidentel de recherches sur les modulateurs de gène. Le terme destiné à un nouveau produit a servi à vous désigner.
    -Tu n'es pas l'une d'entre nous ?
    -Les Kildren ne vieillissent pas. Vous vivez pour toujours. Personne ne le savait au début. Quand on l'a su, personne ne le croyait. Mais les rumeurs ont commencé. "Il y a des gens qui ne meurent qu'au combat !"
    Je ne sais plus. Suis-je une Kildren, moi aussi ? Où ai-je appris tout ça ? L'ai-je lu ? Est-ce vrai ? Ce n'est plus qu'un tas d'impressions vagues. Est-ce que je parle de ma propre expérience, ou non ? Je ne peux me raccrocher à rien. Il est improbable que je sois la seule qui ne soit pas une Kildren. Depuis combien de temps est-ce que je pilote et tue des gens ? Chaque nuit, je me demande où, quand et comment j'en suis arrivée là. Mais j'ai oublié. J'ai oublié !
    Je me force… Mais je ne retrouve que quelques souvenirs d'enfance, toujours les mêmes.
    […]
    Il se peut que je sois née à l'âge que j'ai maintenant.
    […]
    Je crois que Kusanagi a abattu ce garçon, Jinroh, pour son bien. Pour qu'il puisse en finir. Mais il n'est pas mort.
    -Non ?
    -Non, il est devenu toi. Il a été ramené avec un corps différent. Implanté avec de nouveaux souvenirs, et tu es le résultat. Tu es la réincarnation de Jinroh."

    VF
    "Moi je dirais que tu dois perdre la mémoire au fur et à mesure. Et si tu ne deviens pas dingue, c'est parce que tu as tout le temps l'impression d'être en train de rêver. Hier, le mois dernier, l'année dernière, tu distingues plus rien. Présent, passé, futur, c'est comme si c'était la même chose. Est-ce que je me trompe ?
    -Non. Tu as raison. En tout cas c'est comme ça pour moi. C'est la vie que j'ai depuis que je suis tout petit. La sensation de se trouver dans une spirale, de flotter entre rêve et réalité.
    -Tu ne sais pas qui tu es réellement. Il faut que tu saches une chose. Kildren est le nom d'un brevet de la société Rostock. Les Kildren ont vu le jour par accident au cours de recherches sur la génétique moléculaire appliquée. C'est pour ça qu'on vous a donné le nom destiné initialement au produit qui faisait l'objet de ces recherches.
    -Alors tu n'es pas comme nous ?
    -Contrairement aux autres gens, vous ne vieillissez pas, vous vivez éternellement. On ne s'en est pas rendu compte tout de suite, quand ça a été découvert personne n'y croyait, mais petit à petit, la rumeur s'est répandue. "Il y a des gens parmi nous qui ne peuvent mourir que s'ils se font tuer."
    J'y comprends rien. Peut-être que je suis un Kildren, moi aussi. Où est-ce que j'ai entendu tout ce que je viens de te dire ? Où est-ce que je l'ai lu ? Si ça se trouve c'est même pas vrai. Tout est tellement flou. Tout se mélange. J'arrive pas à y voir clair. Est-ce que j'ai imaginé tout ça ou bien est-ce que ça existe vraiment ? J'ai pas de repères. Je sais pas.
    Ca m'étonnerait que je sois la seule parmi tous les pilotes à ne pas être un Kildren. A quel âge j'ai commencé à piloter ? Ca fait combien de temps que je tue des gens ? Tous les soirs je me pose des questions, tous les soirs je me demande qui je suis, d'où je viens, comment j'ai pu en arriver là, mais y a rien à faire. J'arrive pas à me rappeler. J'essaie de me souvenir de mon enfance, mais à part quelques petits détails, c'est le vide total.
    […]
    Mais si ça se trouve, je suis née telle que je suis aujourd'hui.
    […]
    Tu sais, je crois que Kusanagi a tué Jinroh, le pilote que tu as remplacé pour son bien à lui, pour qu'il en finisse avec tout ce cirque. Seulement, Jinroh n'est pas mort.
    -Comment ça ?
    -Il est devenu Yuichi Kannami. On l'a fait renaître dans le corps d'une autre personne, on lui a implanté de nouveaux souvenirs, et au final on obtient Yuichi Kannami. Tu es la réincarnation de Jinroh."

    Les Kildren n'ont donc aucun souvenir de leur naissance ou de leur création, mais lorsqu'ils meurent, est-ce qu'ils se réincarnent dans un nouveau corps, ou une nouvelle copie est-elle simplement fabriquée pour remplacer l'ancienne ? Y a-t-il une collection de Jinroh / Kannami déjà prête quelque part au cas où il soit nécessaire d'en fournir un ou deux exemplaires de rechange ?

    Il est clair dans le film qu'il s'agit bien de la même personne avec un nouveau corps, et non d'une collection de clones indépendants, car Kannami se souvient d'avoir été Jinroh :

    0:06:08 Kannami à Sasakura, en arrivant à la base pour prendre poste :

    VOST
    "J'ai le sentiment de vous avoir déjà rencontrée.
    -Heureuse de l'entendre"

    VF
    "C'est juste que j'ai l'impression de vous avoir déjà vue quelque part.
    -C'est possible, qui sait"

    0:23:04 Kannami à Tokino, au sujet de la quiche / du pâté

    VOST
    "Il me semble en avoir déjà goûté quelque part."

    VF
    "C'est drôle j'ai l'impression d'avoir déjà mangé ce pâté quelque part."

    0:24:04 Tokino à Kannami, en arrivant à l'hôtel de charme

    VOST
    "Je parie que tu es déjà venu ici aussi ?
    -Peut-être bien."

    VF
    "Alors, tu ne serais pas déjà venu ici, par hasard ?
    -Peut-être, oui."

    Il s'agirait de bribes de souvenirs qui n'auraient pas été complètement effacés lors du "transfert" dans le nouveau corps.

    Le transfert de l'âme, ou plutôt du "ghost" d'un corps à un autre est une idée familière à Oshii depuis qu'il l'a reprise chez Masamune Shirow, l'auteur du manga Ghost in the Shell. Innocence, le second film de Ghost in the Shell reprend d'ailleurs un épisode du manga où la clé de l'énigme réside dans un trafic de "ghost dubbing", c'est-à-dire de duplication illégale d'âmes. Il n'y a donc rien de bizarre à imaginer que le ghost d'un Kildren mort puisse être transféré dans un nouveau corps, même si celui d'origine est détruit. Ce qui explique les impressions de déjà vu de Kannami.

    En dehors de ces bribes de souvenirs accidentelles, rien ne subsiste :

    0:19:32 Tokino à Kannami :

    VOST
    "Où étais-tu en poste avant d'être ici ?
    Ca me dépasse. Je ne me rappelle plus."

    VF
    "Où est-ce que tu étais, avant ?
    C'est drôle… j'arrive plus à m'en souvenir."

    La mémoire des Kildren est tellement volatile que Kannami ne reconnaît même pas Yudagawa lorsqu'il revient à la base sous un nouveau nom (voir plus haut la citation à 1:33:50).

    Le procédé par lequel les Kildren morts au combat sont ressucités n'est pas expliqué. Peut-être y a-t-il plus de détails dans le roman dont le film est tiré. Mais cela rappelle les idées utilisées par Frank Herbert dans la saga Dune : Chaque humain porte, enfouis en lui, les souvenirs intégraux de tous ses ancêtres. Les personnages de Dune les dévoilent à l'aide de certains procédés : les Révérendes Mères lors de la transe de l'épice, du côté féminin seulement, et Leto II l'Empereur-Dieu des côtés masculin et féminin.

    Dans Dune, Duncan Idaho préfigure assez fidèlement le clonage des Kildren : ce pauvre Duncan ne cesse d'être re-cloné une fois mort. Et il se trouve que chaque copie porte enfouie en elle les souvenirs de toutes les copies qui l'ont précédée, bien qu'il n'y ait généralement aucun lien entre elles. Dans un premier temps, les Tleilaxu restaurent ses souvenirs physiques, portés par la cellule qui a servi à le cloner, et dans un deuxième temps, plus loin dans la saga, il accède à tous les souvenirs de toutes ses copies, même celles dont il n'est pas le descendant.

    Le même lien métaphysique semble lier Kannami à son incarnation précédente, au travers de ces impressions de déjà vu. En outre, c'est cohérent avec la notion bouddhiste de réincarnation. On y reviendra.

    Le fait qu'ils perdent complètement la mémoire d'une incarnation à la suivante permet de conserver le caractère tragique de leur mort. En fin de compte, à part leur absence de vieillissement, leur existence est semblable à la nôtre : ils n'ont aucun souvenir d'avoir vécu auparavant, et s'ils sont tués, tout ce qu'ils ont appris et vécu disparaît définitivement de leur conscience.

    On peut au passage répondre à la question que se posait Mitsuya. Elle est effectivement née à l'âge qu'elle a, comme tous les Kildren, puisque le nouveau clone de Yudagawa arrive à la base peu après le décès de son prédécesseur. Il a été fabriqué directement à son âge adulte.

    **********
    Le Teacher
    **********

    Nous n'avons pas abordé la question de cet autre personnage mystérieux. Le Teacher, ou Professeur, en français.

    0:57:33 Kannami à Tokino

    VOST
    "Qui est ce 'Professeur' ?
    -Si tu te retrouves sur son passage là-haut, c'en est fini de toi. Il est l'as de Lautern.
    […]
    C'est qu'une rumeur, mais il paraît qu'il est pas comme nous. Il paraît que c'est un adulte.
    -Bien qu'il soit un pilote de combat ?
    -Oui. C'est un adulte. Un homme adulte.
    -Un homme adulte…"

    VF
    "Qui est ce Professeur ?
    -Une terreur. Si on le croise sur son chemin, on est bon pour le cimetière. C'est un vrai tueur. L'as des as de la société Lautern, à ce qu'on dit.
    […]
    Y a des bruits qui courent à son sujet. Il paraît que ce type n'est pas comme nous. D'après certains, ce serait un adulte.
    -Un adulte pilote de chasse ?
    -Ouais ! T'as bien entendu ! Un adulte pilote de chasse.
    -J'arrive pas à y croire… Un adulte."

    Etrangement, les Kildren l'affrontent un par un, et se font abattre à chaque fois. D'abord Yudagawa éloigne Kannami pour l'affronter seul :

    0:54:51
    Yudagawa à Kannami, en vol :
    VO : "I'll check it out. You ### home."
    VOST : "Je vais voir. Toi, rentre."
    VF : "J'vais aller vérifier. Rentre à la base."

    Puis Kusanagi quitte l'escadrille lorsqu'elle l'aperçoit :

    1:02:00 Tokino à Kannami

    VOST
    "Elle a vu un appareil à l'horizon et s'est éloignée
    Comme elle n'est toujours pas rentrée…"

    Shinoda : "Ralentis sur la bière. Nous entreprendrons des recherches si le ciel se dégage
    -C'était le Professeur !"

    VF
    "Elle a aperçu un appareil ennemi au loin, et elle l'a pris en chasse. Et tu connais la suite. Silence radio."
    Shinoda : "Tu boiras une autre fois. Dès qu'il y a une éclaircie, on saute dans nos zincs et on part à sa recherche.
    -A tous les coups, c'est le Professeur !"

    1:05:45 Sasakura à Kannami

    VOST : "Je crois qu'elle a voulu régler ses comptes avant le départ."
    VF : "A mon avis, elle a dû vouloir régler ses comptes avant qu'on parte d'ici."

    Et enfin Kannami refuse d'être couvert :

    1:51:15 Shinoda (?) à Kannami

    VO
    "Cairn ! Where are you going ? #### !"
    Mitsuya : "I'm gonna cover you !"
    Kannami : "Cut it ! This is my hour !".

    VOST
    "Cairn, où vas-tu ? Reviens !"
    Mitsuya : "Je vais te couvrir !"
    Kannami : "Non! C'est ma victoire."

    VF
    "Cairn, où tu vas ? Reviens !"
    Mitsuya : "Cairn ! Je vais te couvrir !"
    Kannami : "Non! Fais demi-tour ! J'attends ce moment depuis longtemps."

    Le rôle du Professeur dans l'affrontement entre les Kildren est détaillé dans une longue discussion entre Kannami et Kusanagi :

    1:26:30 Kannami à Kusanagi

    VOST
    "Pourquoi étais-tu si désespérée le jour où tu as été touchée ? Etait-ce à cause de la panthère noire sur l'avion ?
    -Il y a des années, ce grand pilote travaillait pour nous.
    -Un employé ? Mais tu parles de lui avec respect.
    -Parce qu'il était mon supérieur. Tu vois, il est unique comme pilote. C'est un adulte ordinaire. Un homme adulte.
    -Pourquoi sert-il Lautern à présent ?
    -Il s'est passé des choses et il a quitté Rostock.
    -Qu'est-ce que ça changerait, si tu abattais le professeur ? Ta destinée ou tes limites, par exemple ?
    -Je ne sais pas
    [VO : so ne]. Mais personne ne peut l'abattre.
    -Pourquoi pas ?
    -Contre qui ou quoi crois-tu que nous nous battons ?
    -Ca me dépasse. Je n'y ai pas réfléchi.
    -Même si nous nous entre-tuons ?
    -C'est un métier. C'est comme dans les affaires. Le plus puissant gagne et en tire les bénéfices. Par rapport aux autres professions, nous semblons inefficaces, comme si nous participions à un jeu archaïque.
    -C'est vrai. C'est pour ça que nous pouvons tuer et être tués légalement.
    -Voilà qui est intéressant.
    -Intéressant ? La guerre n'a jamais été complétement éradiquée dans l'histoire. Parce qu'elle rappelle aux êtres humains la dureté du réel. Avoir des guerres quelque part maintient l'illusion de la paix dans notre société. Ce doit être authentique, sans supercheries. Lire au sujet des guerres dans les livres d'histoire ne suffit pas. Ca fait trop l'effet d'un conte de fées. Si les gens sont privés de violence aux actualités, si la souffrance n'est pas étalée, on ne peut pas maintenir la paix. Les gens oublieraient pourquoi la paix est nécessaire. Ils ont besoin de guerres pour se sentir vivants, et nous sommes pareils, quand nous nous battons dans le ciel.
    Et comme notre guerre est un jeu censé durer toujours, certaines règles ont dû être établies. Par exemple il doit y avoir un ennemi invincible.
    -Et c'est le Professeur ?"

    VF
    "Pourquoi vous étiez aussi désespérée la fois où vous avez été descendue ? C'était à cause de l'avion avec la panthère noire ?
    -Autrefois, cet homme travaillait pour la société Rostock.
    -Cet homme ? Vous parlez de lui avec beaucoup de respect.
    -C'était mon supérieur.
    Il n'y a pas que ça. C'est aussi un pilote exceptionnel. Et un adulte ordinaire. Un homme comme les autres.
    -pourquoi il est parti chez Lautern ?
    -Il s'est passé des choses. Ensuite, il a quitté la société.
    -Pourquoi vous vous êtes mis en tête de vouloir abattre le Professeur ? C'est une question d'ego ? Vous essayez de repousser vos limites ?
    -Oui, peut-être bien. Pourtant je sais bien que personne ne peut l'abattre.
    -Comment ça ?
    -A ton avis, contre qui on se bat, et pour quelle raison ?
    -J'en sais rien. Je ne me suis jamais posé la question.
    -Pourtant ça fait des morts.
    -C'est notre boulot. Ca se passe de la même façon pour n'importe quelle entreprise. C'est le plus fort qui gagne et qui en tire les bénéfices. Maintenant, comparé à un boulot normal, le nôtre est dépassé, puisqu'on joue à un jeu totalement archaïque.
    -Exact, et c'est justement pour ça qu'on peut légalement tuer des gens, ou bien être tués nous mêmes.
    -C'est intéressant, ce que vous dites.
    -Intéressant, tu dis ? Voilà ce que je pense. La guerre n'a jamais été totalement abandonnée dans nos civilisations. Tout simplement parce que le fait qu'elle continue à exister est essentiel pour l'être humain. La présence de conflits avec leurs lot d'affrontements spectaculaires, savoir que quelque part, on se bat, c'est ça qui maintient l'illusion d'un monde en paix dans nos sociétés. Mais attention, pour que ça marche, il faut que ce soit du concret. Parce que c'est bien beau de lire des livres d'histoire pour apprendre aux enfants ce que c'est que la guerre. Mais ça ne suffit pas, c'est trop théorique. Si les gens ne voient pas de vraies morts aux infos, si l'horreur se fait trop discrète, alors la paix ne peut pas être préservée. Parce qu'on oublie ce que la paix veux dire. L'être humain a besoin de la guerre pour ne pas oublier. Il en a besoin tout simplement pour se sentir vivre. Pour nous, pilotes, c'est même notre unique raison de vivre.
    Alors tu vois, étant donné que notre guerre dans les airs fait partie d'un jeu qui n'est pas prêt de s'arrêter, il est nécessaire d'établir certaines règles. Comme par exemple la présence d'un ennemi invincible.
    -Et c'est le Professeur ?"

    Ainsi le professeur serait une motivation, un challenge pour pousser les Kildren à se battre du mieux qu'ils le peuvent. Chacun l'affronte seul dans l'espoir de devenir un héros, mais il reste invincible, afin que le jeu des Kildren puisse durer éternellement.

    Cette interprétation n'est toutefois pas parfaite. Si le professeur est un homme adulte, il finira par vieillir et mourir. Et qui, chez Rostock, joue le rôle de professeur pour les Kildren de Lautern ?

    Je crois plutôt que Kannami nous donne une autre explication dans sa phrase finale :

    1:51:39 Kannami
    VO : "I'll kill my father."
    VOST : "Je tuerai mon père."
    VF : "Je vais tuer mon père."

    A mon avis, cela signifie que le professeur est le créateur des Kildren. Cela cadre avec le fait qu'il travaillait chez Rostock à l'origine et que Kildren est justement un brevet Rostock.

    Il déciderait ainsi d'attirer tel ou tel Kildren en combat singulier lorsqu'il juge que le temps est venu de le remplacer.

    On se demande aussi s'il ne serait pas le père de l'enfant de Kusanagi. L'identité du père est un mystère dans le film :

    1:33:11 Mitsuya à Tokino, à propos de Kusanagi

    VOST
    "Sa fille ? Qui donc est le père ?
    -Il y a pas mal de rumeurs à ce sujet."

    VF
    "Elle a un enfant ? C'est étonnant. Et le père, qui c'est ?
    -Houlà ! Y a pas mal de rumeurs qui courent."

    Contrairement à ce qui est arrivé à Jinroh, on n'aura pas de réponse explicite. Mais il est peu probable que le père soit un Kildren. On se demanderait pourquoi l'enfant n'est pas immortelle, elle aussi :

    34:57 Kusanagi à Kannami

    VOST
    "Quand je regarde cette petite, parfois je me déteste.
    -Pourquoi ?
    -Elle va me rattraper avant peu. Que ferai-je alors ?"

    VF
    "Parfois, quand je la regarde, j'éprouve du dégoût pour ce que je suis.
    -Pourquoi vous dites ça ?
    -Parce que dans peu de temps, elle sera plus vieille que moi. Qu'est-ce que je ferai quand ça arrivera ?"

    Kusanagi est certainement tombée enceinte le jour où elle est allée chez Fûko :

    1:03:58 Fûko à Kannami, à propos de Kusanagi

    VOST
    "Je l'ai déjà vue comme ça une fois. Quelque chose s'était enfoncé dans son corps, par là.
    Il y a longtemps, elle était venue chez nous. Pour voir un de mes clients. Elle m'a fait partir, et est restée enfermée pendant des heures."

    VF
    "Oui, comme si… quelque chose avait ravagé son coeur.
    Je me souviens qu'un jour il y a longtemps, elle est venue faire un tour chez nous. Elle voulait voir un de mes clients. Elle m'a fait sortir de la chambre. Et elle n'en est pas ressortie avant plusieurs heures."

    Il reste donc donc deux possibilités quant au père. Ou bien c'était un client anonyme, parti comme il est venu, ou bien c'était le Professeur, alors supérieur de Kusanagi, en poste à Rostock.

    Ce n'est qu'en repassant des extraits du film en VF pour noter les dialogues qu'une réplique m'a frappée. Je ne l'avais pas remarquée en VOST à cause de sa formulation très vague :

    1:05:45 Sasakura à Kannami, au sujet de l'affrontement de Kusanagi avec le Professeur

    VOST : "Je crois qu'elle a voulu régler ses comptes avant le départ.
    -Vous et Kusanagi, vous vous connaissez depuis longtemps, non ?
    -Et alors ?
    -Cette fille, Mizuki. Penses-tu que son père soit…
    -Je reste ici jusqu'à l'arrivée du docteur. Va te reposer."

    VF
    "A mon avis, elle a dû vouloir régler ses comptes avant qu'on parte d'ici.
    -Vous connaissez Mademoiselle Kusanagi depuis longtemps, non ?
    -Oui, pourquoi ?
    -C'est à propos de Mitsuki, sa fille. Vous ne croyez pas que son père pourrait être…
    -Je vais rester avec elle jusqu'à ce que le médecin arrive. Va te reposer un peu."

    Je crois que cela ne laisse pas de doute. le Professeur est bien le père de Mizuki, et c'est à ce moment que Kannami le devine.
    Les choses ont dû se passer ainsi : Kusanagi était amoureuse de son supérieur et créateur, mais comme celui-ci ne montrait qu'indifférence à son égard et préférait s'envoyer en l'air avec des prostituées du coin, elle a été le rejoindre à l'hôtel. Elle a pris la place de Fûko et a passé la nuit avec lui. Puis :

    1:26:30 Kusanagi à Kannami
    VOST : "Il s'est passé des choses et il a quitté Rostock."
    VF : "Il s'est passé des choses. Ensuite, il a quitté la société."

    Pas besoin de connaître les détails. Il aura probablement démissionné quand sa liaison avec Kusanagi aura été découverte. Il a ensuite rejoint Lautern et s'est rangé dans le camp opposé à celui de Kusanagi. Peut-être même est-ce à ce moment qu'il a fondé Lautern et créé d'autres Kildren pour affronter les premiers. Les romans dont le film est tiré contiennent certainement la réponse.

    Ainsi Kusanagi a-t-elle été trahie par l'homme qu'elle aimait. Il l'a abandonnée avec son enfant et a commencé à combattre contre elle, tuant ses compagnons, les empèchant de croître en expérience comme elle le faisait en survivant combat après combat, risquant à tout moment de remplacer la mère de Mizuki par un clone amnésique qui ne reconnaîtrait même pas son enfant.

    C'est à ce moment que Kusanagi aura développé une haine sans mélange contre les adultes.

    Plus de huit ans ont passé depuis (Sasakura à Mitsuya, 1:36:47), pendant lesquels Kusanagi a survécu.

    1:37:24 Sasakura à Mitsuya

    VOST
    "Ecoute, Kusanagi est… Parce qu'elle est un pilote extraordinaire. Elle a vécu plus longtemps que les autres. Elle a eu le temps de voir plus de choses, et d'y réfléchir. Elle a appris à agir sur son propre destin et celui des autres."

    VF
    "Kusanagi est un pilote extraordinaire, c'est pour ça qu'elle est toujours en vie. Les autres se fond descendre, mais elle, elle est toujours là. Elle a eu le temps de voir des tas de choses. Et d'y réfléchir. Depuis, elle a appris à agir sur son propre destin, et sur celui des autres."

    En comparaison, Jinroh avait tenu 7 mois (Kusanagi à Kannami, 0:17:40), et kannami semble avoir vécu encore moins. Kusanagi a ainsi pu développer une sensibilité humaine jamais vue chez les Kildren. D'autant plus qu'elle élève un enfant. Un Kildren, dont la nature profonde est de tuer, créant et protégeant une vie !

    Elle a acquis des émotions comme la colère ou la tristesse, qui semblent étrangères aux autres Kildren. Lors de l'attaque de la base, elle se soucie de ses hommes alors que les autres Kildren ne montrent qu'indifférence lors de la mort de leurs compagnons.

    0:49:43 Kusanagi à l'officier
    VOST : "Je veux voir l'homme qui a failli tous nous tuer."
    VF : "Je veux voir le type qui a failli nous tuer."

    1:21:27 Mitsuya aux pilotes

    VOST
    "Il a tiré à bout portant. Il a sûrement eu Shinoda de la même façon. Cet avion avait une panthère noire sur le nez."
    Tokino à Kannami : "Quand elle aura fini, allons visiter la ville."

    VF
    "Puis brusquement, le type plonge. Il prend en chasse Kumatake et l'abat. Si vous voulez mon avis, c'est comme ça qu'il a dû avoir Shinoda, le pilote de l'autre escadrille. L'avion avait une panthère noire peinte sur son fuselage."
    Tokino à Kannami : "Quand le debriefing sera terminé, on ira un peu visiter la ville."

    L'humanité de Kusanagi est superbement illustrée au bowling. Kannami et Tokino alignent strike sur strike, en réalisant chacun exactement la même trajectoire courbe, parfaite, avec l'effet nécessaire et suffisant pour abattre les dix quilles. Leur nature de Kildren leur donne une habileté surnaturelle aux jeux d'adresse, comme piloter un avion et tirer sur une cible mobile, ou bien abattre les quilles, tandis que Kusanagi réalise deux lancers absolument quelconques pour un score de 7 et 0.

    Kusanagi connaît le désespoir aussi. Dans ce monde en paix, elle est le seul être humain sur Terre à souffrir de la guerre.

    Mourir ou ne pas mourir est pour elle un dilemme. Si elle meurt, elle est certaine de se réincarner avec l'innocence et la quiétude d'un Kildren tout juste cloné, mais elle perdra toute la clairvoyance qu'elle a acquise en huit ans et abandonnerait sa fille. Peut-être même aurait-elle le sentiment de laisser ses hommes aux mains du Professeur. Et elle est la mieux placée pour savoir combien cet homme peut faire souffrir un Kildren.
    Mais l'ennemi contre lequel elle se bat est invincible et son combat sans espoir. Seul le courage de Kannami lui permettra de surmonter cette épreuve.

    1:50:35 Kannami

    VOST
    "On peut changer de trottoir sur la route qu'on emprunte chaque jour. Sur une même route. On peut voir des choses nouvelles. N'est-ce pas une raison suffisante pour vivre ? Ou est-ce que ça ne suffit pas ?"

    VF
    "On a beau connaître par coeur le chemin qu'on prend chaque jour, le paysage nous semble toujours différent. Rien ne change. Pourtant, on découvre de nouvelles choses à chaque fois. Est-ce que ce n'est pas une bonne raison de vivre ? Ou alors, ce n'est pas suffisant ?"

    Et c'est ainsi que Kannami est à son tour abattu par le professeur. La scène finale se déroule après le générique de fin. Un pilote atterrit à la base, descend de son avion, allume une cigarette, et brise l'allumette en deux. Allumette qu'on devine ramassée cent fois par Kusanagi (0:09:51).

    Elle est à son bureau et pianote sur son clavier d'ordinateur :

    2:01:13

    VOST
    "Isamu Hiiragi. J'ai été affecté ici.
    -Je suis Suito Kusanagi. Je t'attendais"

    VF
    "Isamu Hiiragi. Je suis affecté à votre base.
    -Je m'appelle Kusanagi. Oui, on m'a prévenue. Je t'attendais."

    *****
    Camus
    *****

    0:08:05 Kannami à Kusanagi

    VOST
    "La clarté du Soleil était insupportable.
    -Tu lis Camus ?"

    VF
    "Le Soleil est aveuglant.
    -Tu lis Camus ?"

    Il s'agit d'une référence explicite au roman L'Etranger, d'Albert Camus. Un excellent résumé figure sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27%C3%89tranger

    Le personnage principal du roman, Meursault, a tout d'un Kildren. Il tue de façon mécanique, poussé par les éléments, par le Soleil. Il montre une indifférence inhabituelle face à la mort de ses proches. Comme lui, les Kildren ont une capacité à dire la vérité crue, à poser des questions directes, sans s'embarrasser d'inhibititons sociales :

    53:17 Kannami à Kusanagi, en train de se déshabiller

    VOST
    "Yudagawa m'a raconté une drôle d'histoire. Il m'a dit que tu as tué Jinroh.
    -Es-tu en train de me dire que tu voudrais que je te tue aussi ?"

    VF
    "Yudagawa m'a raconté un truc étrange. Il m'a dit que vous aviez tué Jinroh.
    -Pourquoi tu parles de ça ? Est-ce que je dois comprendre que tu me demandes de te tuer ?"

    Les Kildren rappellent un autre écrit de Camus : le Mythe de Sisyphe : http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Mythe_de_Sisyphe
    Tels des Sisyphe, les Kildren sont condamnés à exécuter sans cesse la même tâche, pour l'éternité. Et tels le Sisyphe de Camus, ils sont heureux de le faire.

    Cette suite de réincarnations a aussi une consonnance bouddhiste. Les bouddhistes considèrent que l'esprit est immortel et condamné à se réincarner indéfiniment tant qu'il ne réalise pas quelle est sa vraie nature, au-delà des apparences. Alors seulement il se libère de l'emprise des souffrances du monde.
    Kusanagi a la clairvoyance de voir le cycle des réincarnations dans lequel elle et tous les Kildren sont prisonniers. Mais elle fait le mauvais choix pour en sortir. Mourir ne conduirait qu'à se réincarner encore. Kannami semble faire le bon choix : voir au-delà des apparences et agir.

    La fin du film est ouverte et réaliste. Kannami échoue dans sa tentative, et un nouveau clone prend sa place. En ce sens, le message prend le contrepied de bien des fictions, ni happy end, ni tragédie. D'un côté, l'humain n'a pas le pouvoir de plier le destin à son bon vouloir. Il n'est pas maître du monde. On ne peut pas abattre un adversaire simplement parce qu'on en a la volonté.
    D'un autre côté, il est libre de ses choix. Peut-être qu'un jour, un clone de Kannami abattra le Professeur, qui après tout est un homme mortel.

    Le film n'est pas moralisateur. Le final ne délivre pas au spectateur un message lui disant qu'il vaut mieux vivre comme ceci ou comme cela. Kannami a refusé le suicide et choisi de se battre en héros. Il a perdu. Mais un autre clone vient après lui, et Kusanagi est toujours là, plus forte que jamais. Nul ne peut savoir ce qu'il adviendra ensuite.

    Akiko_12
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    Akiko_12 le #275979

    Woah, je n'ai que survolé ton analyse (je n'ai pas vu le film et ai peur de me spoiler), mais elle semble hyper détaillée, bravo !!

    Pio2001
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    Pio2001 le #275980

    Merci,
    Effectivement, si tu n'a pas vu le film, il ne vaut mieux pas la lire. C'est de l'hyper-spoiler.

    Mais en gros, l'idée, c'est que le scénario est codé. Les clés de l'histoire doivent être devinées par le spectateur grâce à des allusions. L'une d'elles est assez claire, à la fin, mais l'autre m'avait échappée, même après deux visionnages. C'est dû je pense à une traduction approximative dans les sous-titres.

    Ce serait d'ailleurs intéressant si quelqu'un parlait japonais de savoir si l'allusion est claire ou non dans les dialogues originaux. C'est dans une de ces phrases qui finissent par trois points de suspension, du genre "il est…", comme il y en a souvent dans les traductions depuis le japonais.

    Pio2001
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    Pio2001 le #275981

    J'ai posté cette “explication de texte” sur un autre forum : http://www.homecinema-fr.com/forum/viewtop…05&start=15

    Et ils ont été plus rapides que vous 😛 L'un d'eux m'a challengé sur l'un de mes décryptages. J'ai donc été chercher des infos sur le web pour savoir si j'avais bien deviné l'histoire ou non. Voici ce que j'ai trouvé :

    D'abord, c'est confirmé dans le tome 1 du roman, c'est bien le Teacher (le Professeur) le père caché de Mizuki. Mentionné par Sylph dans les commentaires de cet article : http://frostii.com/2009/03/15/the-sky-crawlers/

    Ceci dit, pour certains fans, le Teacher n'est autre que le premier clone de kannami ! Idée lancée par TinyRedLeaf 2009-03-01, 14:31 ici http://forums.animesuki.com/archive/index.php/t-49553.html

    C'est une idée bizarre à première vue, mais sur un autre site web, un certain “conniechiwa” donne des sources apparament extérieures au film. Commentaire posté le 10.4.2009 sur cette page : http://www.otaku2.com/articleView.php?item=143

    Il dit en particulier que le Teacher était à l'origine un Kildren, et qu'il a changé de camp en échange d'une mutation génétique qui lui permettrait enfin de vieillir, et que cela serait mentionné par Kusanagi dans une conversation avec Kannami.
    Aurait-il lu les livres ou la traduction en version américaine est-elle complètement différente de la traduction en VF ?

    Selon son interprétation, Jinroh demanderait à Kusanagi de le tuer quand il découvre qu'elle aime la personne dont il est le clone.

    Autre chose, l'idée de Kannami partant “tuer son père” a été introduite dans le film par Oshii (ce qui est interprété par conniechiwa comme Kannami partant tuer son “original”). Dans le roman, à la fin, Kannami tue Kusanagi.

    Que représente le personnage toujours assis sur les marches devant chez Daniel's ? Selon certains, il baisse le visage car il ne supporte plus de voir les même clones monter les marches, livrer les mêmes combats à la télé, et ce depuis la nuit des temps.

    Sinon, il y a un truc que je n'ai pas capté : à un moment, quand Kusanagi et Kannami sont au restaurant, derrière Kusanagi, il y a tout un tas de personnages statuifiés qui font apparament partie de la déco du restaurant. Je me demande ce qu'ils représentent.
    Peut-être qu'il s'agit d'hommes importants comme les maires de la ville, ou des généraux célèbres, et qu'ils mettent en perpective le discours de Kusanagi sur la guerre.

    Bub
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    bub le #275982

    Tu proposes des analyses intéressantes, néanmoins avec Oshii il faut toujours se méfier de ne pas trop sur-interpréter ses œuvres et ses intentions. Je suppose que tu as vu son interview dans les bonus, et que donc tu as vu que Oshii insiste sur le fait qu’il ne faudrait pas se faire trop d’idées préconçues sur Sky Crawlers. Et en effet, à mon avis en tout cas, ce film ne tutoie pas les mêmes hautes sphères que Ghost in the Shell ou L’œuf de l’Ange. Toutefois ça reste du Oshii dans le fond et on doit bien pouvoir tirer quelques analyses et réflexions intéressantes de ce film.
    Le réalisateur insiste sur le fait qu’il a voulu créer un univers où le temps serait comme figé, où la société stagnerait sur les plans politiques et technologiques : ce qui explique ainsi que les avions volent encore avec des moteurs à hélice alors que certaines firmes semblent paradoxalement en passe de maîtriser les mystères du génome humain. Mieux, le monde dans lequel évolue nos héros est un monde en paix, d’où toute trace de criminalité semble avoir pratiquement disparu – je dis bien pratiquement, je vais y revenir. Un monde à ce point aseptisé que nos héros vont errer pendant un long moment dans les rues d’une capitale imaginaire d’Europe centrale en quête d’un bar où boire un coup. A leur grande surprise tout est fermé, la population semble cloîtrée chez elle, morose. Le bowling est vide, à l’exception d’un tout petit groupe de filles. Un monde froid donc, sans passion, sans crimes, sans rien. Un monde « d’adultes » diraient les héros…
    Oshii insiste bien sur le fait que la conception de l’univers dans lequel va se dérouler l’histoire est la clef qui va déterminer la façon dont il va ensuite écrire son scénario.
    Et de fait, les Kildren sont parfaitement en phase avec cet univers : ils ne vieillissent pas, semblent avoir une mémoire floue, ils sont le résultat hasardeux d’une recherche expérimentale qui tâtonne à l’aveugle et non pas le produit délibéré d’un progrès scientifique pour le confort du genre humain. En somme, ces gamins représentent un élément parfaitement original et imprévu dans une société sans aspérités. Partant de là, ils portent symboliquement en eux des espoirs d’évolution au sein de cet univers complètement figé. C’est pourquoi je ne considère pas Kusanagi comme le seul personnage un peu différent des autres : à mes yeux ils sont tous singuliers par rapport aux humains normaux, aux adultes, non pas en raison de leur caractère immortel, mais bien pour des raisons de personnalités originales, déviantes, fraîches, etc. Exemple : Tokino, arsouille notoire, et queutard sans repos, cultive largement sa différence dans ce monde lisse. Il se permet même quelques promenades en avion avant de rentrer à la base.
    La firme qui les as créés se sert d’eux comme chair à canon dans une espèce de guerre très codifiée face à une autre firme nommée Lautern. Pourquoi leur a-t-on réservé un tel sort ? Plusieurs suppositions :
    1/ ils sont considérés comme des facteurs d’équilibre, des éléments flexibles dans une société rigide. Leur immortalité est d’autant plus acceptée par la société humaine qu’ils sont les seuls à risquer leur peau sur le front. Aussi, ils sont des individus qui apportent un peu de sel à la vie quotidienne, et ont une sorte de reconnaissance un peu maladroite de la part de la population : ils sont bien traités par les civils, les filles leur courent après, ils ont un statut à la limite de l’idole, du héros. Aussi, la firme Rostock entretient volontairement la bonne image dont ils disposent en les ressuscitant systématiquement, afin d’entretenir ce lien affectif avec la population et qui profite positivement à la firme ( un peu comme un sportif ou une actrice permet à une marque d’entretenir une bonne image par le biais de la pub ). On peut très largement imaginer que des Kildren disposant des mêmes droits et statuts que le citoyen lambda ne serait pas traités avec tant d’égards, provoquant des troubles parmis la population, et donc du changement, ce que ni semble pas être la volonté des peuples et gouvernements de cet univers, mais ce n’est qu’une supposition.
    2/ ils sont la propriété de Rostock, et donc à ce titre, leur existence même appartient à la firme qui peut disposer selon son bon vouloir de ses créations, comme elle dispose de ses avions. Réflexion intéressante de la mécanicienne en chef : elle n’aime pas les nouveaux modèles d’avion qui remplacent petit à petit les Mark B ( dont le fuselage me rappelle énormément celui des X Wing T65 de Star Wars ! ). Est-ce à dire que les Kildren peuvent eux aussi se retrouver à leur en fin de production ? Cet événement mérite qu’on y réfléchisse un peu plus. Après tout, le héros ne récupère-t-il pas son propre appareil après sa disparition précédente en tant que JinRoh ? Il revient donc sur le même appareil qu’il connaît par cœur, comme il dit, et pour cause : son existence est liée à son avion. Il appartient à cette machine, il en est un élément au même titre que le moteur ou les hélices. Alors que faut-il penser quand on voit une nouvelle génération d’appareils apparaître ? faut-il en conclure que les pilotes appartiennent eux aussi à une nouvelle génération de Kildren ? une génération symbolisée par exemple par Mitsuya, une Kildren tellement parfaite qu’elle s’interroge si elle en est bien une ou pas, alors que les autres n’ont aucun doute sur leur nature réelle, ils se reconnaissent même entre eux. Aussi, la surprise après la fin du générique est qu’une nouvelle chance soit donnée au héros, qui paraît tout de même avoir bien été ressuscité.
    Voilà pour les deux grandes pistes qui me semblent les plus cohérentes à ce stade de la réflexion.
    Je reviendrais très vite pour continuer l’analyse.

    Bub
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    bub le #275984

    Pour en revenir à Kusanagi, je dirais qu’elle est le personnage le plus « rangé » de tous les Kildren. Comme je l’ai dit plus haut, je considère tous les Kildren comme des êtres singuliers. A première vue, Kusanagi pourrait paraître comme étant la plus originale de tous : elle ne pilote pas, a eu une fille, semble avoir du sang sur les mains, etc. Pourtant, prenons le parti inverse et affirmons haut et fort le postulat suivant : Kusanagi est en fait d’une banalité parfaitement normale. Ou plutôt, elle est celle qui ressemble le plus à une adulte, et d’ailleurs d’une certaine manière, elle l’est : elle a des responsabilités en tant que commandante et en tant que mère, alors que les autres sont des pilotes non pas indisciplinés mais qui s’accommodent très bien d’une vie en parfaite marginalité. Les Kildren ne fréquentent-ils pas d’ailleurs les humains les plus marginaux ou tout du moins ceux sur qui pèsent le moins les contraintes de la société : prostituées, gérants de bars, enfants, etc.
    Kusanagi, elle, préfère jouer à l’adulte : c’est ainsi que j’interprète la séquence de bombardement de la base : l’occasion pour elle de se poser en tant que responsable face à des « adultes », ses supérieurs. Elle prend son rôle très à cœur, va jusqu’à réclamer à voir son supérieur pour lui demander des comptes !
    Mizuki, sa fille, symboliserait elle le côté « enfant » dont elle s’est débarrassé en la mettant au monde ; elle n’est lus une Kildren éternelle gamine, elle aussi est devenue une femme comme toutes les humaines en donnant la vie. Mizuki est en quelque sorte ce démon intérieur qu’elle a expulsé de son corps ( oui, la comparaison vaut ce qu’elle vaut, mais pour moi il s’agit bien de ça ), cet enfant immortel qu’elle refuse d’être.
    Mais les choses n’étant pas si simple, il n’y a pas eu de miracle, et elle est restée immortelle, elle ne vieillira jamais, ce qui la perturbe plus que tout, au point de vouloir en finir avec la vie. On remarquera ainsi que chaque fois qu’elle proposera au héros de l’abattre, c’est à chaque fois lié à une partie de jambe en l’air. La première fois dans le chalet et la seconde dans la voiture (la troisième et dernière fois, les rôles sont inversés et c’est elle qui demande à Yuichi de la tuer). Sexe et mort sont indissociables pour ce personnage. Curieux non ?
    Est-ce lié à ce fameux Professeur, à la machine décorée d’un redoutable fauve, dont on suppute qu’elle aurait eu une relation avec lui et qui aurait donné naissance à Mizuki ? Ce Professeur invincible, mais qui jamais ne l’a abattue elle, au contraire, elle est la seule à avoir survécu plus d’une fois à cet implacable tueur. Pourquoi ? Simplement parce qu’il serait le père de l’enfant ? Tu parles, il a foutu le camp le gars… Alors la responsabilité paternelle, je mettrais pas mes jetons là-dessus. Quoi d’autre ? Faut-il louer le génie de pilote de Kusanagi ? Ou alors, notre Professeur est-il si doué que ça ?
    Ni l’un ni l’autre j’ai envie de dire.
    Dans les mythes asiatiques, le Tigre est un animal initiateur, il tue symboliquement les hommes pour qu’ils ressuscitent en hommes nouveaux, adultes. En somme, le tigre est un homme véritable qui enfile cette peau le temps de rites initiatiques menant l’enfant à l’âge adulte.
    Sauf que dans le cas des Kildren, d’âge adulte il n’y aura jamais. Aussi, ce Professeur est un mur qu’ils ne peuvent franchir : s’ils l’affrontent, ils meurent. Aucun rituel, aucun passage symbolique de l’enfance à l’âge adulte à espérer pour les Kildren, aussi, ce n’est pas sans raisons qu’ils le craignent.
    Mais Kusanagi n’est plus une enfant, bien qu’elle garde encore les caractéristiques de n’importe quel Kildren, à savoir la jeunesse éternelle. Si le Professeur ne peut l’abattre, c’est tout simplement parce qu’elle est déjà de l’autre côté du mur, et qu’il est impuissant face à cette femme. Et notre Professeur, qui porte si bien son surnom, est celui qui l’a rendue femme. Ces Kildren passent tous par le rite, mais seule Kusanagi a pu y échapper, car le rite ne s’est pas fait dans le ciel, le domaine du « Père » comme le dit Oshii, mais bien sur la Terre ( et plus exactement dans un pieu ), le domaine de la « Mère ». C’est ainsi que Kusanagi a pu acquérir son nouveau statut de femme, de mère, et devenir celle qu’elle est aujourd’hui : une adulte dans un corps de Kildren. Elle a passé le rite sur un territoire qui lui était avantageux et a donc réussi à vaincre ce Professeur ( c’est-à-dire à le séduire ).
    Cette victoire est concrétisée par la naissance de Mizuki. Et elle ne pourra plus battre le Professeur dans les airs car elle l’a déjà vaincu une fois, et c’est tout naturellement que chaque nouvelle confrontation la ramène systématiquement sur Terre, son domaine désormais, au même titre que la chef mécano…
    Seulement elle est maudite, enfermée dans ce corps d’enfant en tant qu’adulte, elle ne le supporte et veut se donner la mort. Elle a conscience qu’elle ne peut que « jouer » à l’adulte, peut-être est-ce sa punition d’avoir trompé le Professeur ( ce qui lui a permis d’avoir le dessus sur lui ) en prenant la place de la prostituée dans la chambre de la maison close ?
    Ça expliquerait alors pourquoi selon moi Kusanagi mêle sexe et mort : ce qu’elle espérait être une délivrance s’est avéré un remède pire que le mal pour elle, et par le passage à l’acte elle souhaite dorénavant revivre une nouvelle fois le rite mais cette fois-ci en espérant une fin différente : c’est-à-dire la mort, celle qui est promise à tous les pilotes, mais qu’elle ne peut plus obtenir du côté du Professeur.

    Maintenant quel rapport tout cela peut-il bien avoir avec notre héros ? Il semble que la relation de son prédécesseur JinRoh avec Kusanagi ait été très sérieuse, mais est-ce que ce fut vraiment le cas ? JinRoh a vécu quelques mois ( 7 ! ), et n’est donc pas le père de l’enfant ( vu que c’est le Professeur, tant du point de vue « symbolique » que euh.. « technique » ^^° ça va tout le monde suit ? ). Est-ce le clone du Professeur ? Mouais, mais alors pourquoi il serait un clone et pas les autres ? Je ne suis pas convaincu.
    Comme je l’ai dit, elle joue à l’adulte.
    Mais d’un autre côté, elle veut aussi aller plus loin que ça. Pour elle le sexe est le rite initiatique par lequel elle est devenue adulte. Pour les autres, tous les autres, ce rite passe par l’affrontement du « Père » sur son territoire, c’est-à-dire dans les cieux.
    Kannami lui balance entre deux rituels possibles : passer l’épreuve de Kusanagi, ou bien le rite du Professeur ?
    Le héros lui demande si elle a emmené tout le monde dans son chalet, sous entendu est-ce qu’elle a couché avec tout le monde ? Ne se donne-t-elle pas non plus un rôle d’initiatrice ?
    Mêler le sexe à la mort, survivre à ce rapport, c’est vraiment comme passer une épreuve. Tokino conseille fortement à Kannami de se tenir loin d’elle, quelque part il ne se laisse pas avoir par cette apprentie Professeur. Kannami lui plonge, mais les choses en reste là. A la fin, il ne la tuera pas, car il sait parfaitement que ce n’est pas son rôle, c’est celui du Porfesseur, et uniquement le sien. Kannami est revenu vers Kusanagi pour rétablir un équilibre qu’elle avait rompu en tuant JinRoh. Elle s’est octroyée des pouvoirs qu’elle n’a pas, en tout cas « pas aujourd’hui » comme il le lui dit vers la fin. Pour remettre les pendules à l’heure, il part affronter son « Père » et est bien évidemment abattu.
    Mais il finit par revenir une nouvelle fois, et cette fois, tout peut repartir de zéro, réellement. Kusanagi l’attend et une nouvelle voie peut se dessiner ( et je pense que c’est à ça que fait référence le « On a beau connaître par coeur le chemin qu'on prend chaque jour, le paysage nous semble toujours différent. Rien ne change. Pourtant, on découvre de nouvelles choses à chaque fois. Est-ce que ce n'est pas une bonne raison de vivre ? Ou alors, ce n'est pas suffisant ?» ), supposant qu’elle permettra peut-être un avenir différent pour ce couple hors du commun.

    Voilà donc comment je vois les choses.

    Pio2001
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    Pio2001 le #275985

    Citation (bub @ 03/03/2010, 17:25)
    Tu proposes des analyses intéressantes, néanmoins avec Oshii il faut toujours se méfier de ne pas trop sur-interpréter ses œuvres et ses intentions. Je suppose que tu as vu son interview dans les bonus, et que donc tu as vu que Oshii insiste sur le fait qu’il ne faudrait pas se faire trop d’idées préconçues sur Sky Crawlers.

    Bonjour bub. Ouf ! Je respire, je ne suis pas le seul à avoir réfléchi à l'histoire ! 😁

    Je dois dire que l'interview m'a fait un peu le même effet que le film à certains : envie de m'endormir dès le début. En fait, je l'ai passée en accéléré en lisant juste les sous-titres. Je ne m'en rappelle pas bien.

    Mais je suis bien d'accord que l'intérêt du film ne se limite pas à la compréhension de l'histoire. Chez Oshii, surtout dans Innocence et Sky Crawlers, je suis sidéré par sa gestion de la lumière et des couleurs. Je sais bien qu'il ne dessine pas, mais il supervise forcément le rendu final, qu'on reconnaît aussi dans Avalon.
    J'aime faire un peu de photo en amateur, et j'adore la façon dont il a d'abuser des contrastes, contre-jours, sous-expositions, sur-expositions et dominantes colorées. Je n'ai jamais vu de tels contre-jours en animation (à part dans Tron, qui est un film live réalisé en partie en “backlight animation”, technique très rare, apparament). Souvent, Oshii braque les phares des véhicules vers le spectateur, ou place un personnage devant une fenêtre. J'adore le résultat.

    Les couleurs sont superbes dans le restaurant, lorsque le visage de Kusanagi est éclairé par une lueur orangé tandis que le décor derrière elle est plongé dans une lumière verte. Lorsque Kannami croise le Teacher pour la première fois aussi, il émerge d'un nuage gris dans un ciel rouge et bleu éblouissant. Il va même jusqu'à simuler l'effet d'un filtre polarisant sur le ciel, qui devient presque noir à la perpendiculaire du Soleil.
    L'un des intervenants sur les listes de discussions que je lisais hier disait que sa scène préférée est quand ils volent dans la nuit pour rejoindre les autres escadrons afin de lancer la grande attaque. Et c'est vrai que c'est superbe, les visages éclairés par la lueur verte des tableaux de bord lumineux dans les cockpits. Cela me rappelle les longs trajets en voiture sur l'autoroute quand j'étais petit. Et cette idée de refléter l'image du pilote sur toutes les vitres du cockpit.
    Dans les suppléments, Oshii raconte qu'il a insisté pour que ses graphistes l'accompagnent en Europe dans les repérages. Cela a porté ses fruits, si les scènes auxquelles je pense en sont inspirées. Lorsque les voitures arrivent près d'une maison isolée la nuit et que les phares éclairent la facade. On s'y croirait. Et lors de la première visite chez Daniel's, le ciel étoilé est très réaliste. Même lorsqu'une enseigne lumineuse brille, on voit exactement les étoiles comme ça quand on est dans des endroits isolés. Là aussi, cela me rappelle des séjours à la campagne, ou dans le sud de l'Espagne où j'ai de la famille.
    Le ciel de jour est restitué avec des couleurs froides et peu saturées. On peut faire ce genre de choix dans les logiciels de traitement d'images brutes en photographie. A partir du moement où on surexpose, et donc sort des capacités de restitution en couleurs réelles de l'appareil, on a le choix de la façon dont on s'éloigne de la réalité (p.ex. conserver les teintes ou conserver la saturation). Chacun de ces détails est réaliste et original. Ce n'est pas le décor bateau utilisé habituellement pour faire du remplissage.

    Au niveau des bruitages aussi, c'est assez extraordinaire. Tout est sonorisé, chaque geste est audible. A ce sujet, le top, c'est le remake de Ghost in the Shell “2.0”. En comparant avec le film original, c'est assez édifiant. Sky Crawlers est un peu en-dessous à trois moments : deux bruitages lorsque Yudagawa est abattu par le Teacher, ne sont pas crédibles : le glou glou de son avion qui coule, et les trois gouttes d'eau sur le cockpit de Kannami, et il y a un cliché : la sirène de police californienne qui fait youuyoouu au lieu de pin pon, contrairement à GITS 2.0 où on a des pinpons tout bêtes mais dont le réalisme surprend, tellement on est habitué au youuyouu).
    Mais cela reste tout-à-fait dans l'optique, rare, de bruitages complets et réalistes. Les boules de bowling, par exemple. Au lieu d'aller chercher un plonk quelconque dans une banque de son ou de faire tomber une chaussure sur un plancher, on se croirait vraiment dans un bowling. Je trouve ça sympa. Ca dépayse tellement c'est réaliste. On se demande où sont passés les bruits bidons qu'on entend d'habitude au ciné.

    Et pour en revenir à la compréhension de l'histoire…

    Je suis tout de même un peu frustré par la dernière question que je me posais sur l'identité du Teacher. La réponse est clairement dans la réplique finale “I'll kill my father”, qu'on a en VO heureusement, mais laquelle est-ce ?

    Moi je l'avais compris inconsciemment comme une réminiscence de Blade Runner avec Roy Batti, être artificiel qui va tuer son créateur Tyrell.
    Mais ils m'ont mis le doute, là… C'est vrai que “father” peut être compris comme “créateur” de Kildren, en tant que généticien, aussi bien que comme être “original” ayant engendré une série de copies. Il n'y a pas grand chose de concret pour soutenir cette interprétation, mais je dois reconnaitre que l'idée de Kusanagi amoureuse d'une personne et une seule est assez brillante : qui est celui qu'elle aime ? Il s'appelle Teacher ou Jinroh ou Kannami !

    Je crois que je suis bon pour un visionnage attentif de plus, histoire de voir si d'autres indices m'auraient échappés 😃

    Jroger
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    jroger le #275986

    J'aime particulièrement la façon dont Cairn se fait dégommer par le professeur à la fin.

    Il effectue la manœuvre de ralentissement brutale dont il a l'habitude, une sorte de "cobra" qui consiste à opposer les plans de l'avion au sens de la marche. Il y parvient, l'avion du professeur le dépasse et se retrouve dans son collimateur pendant une fraction de seconde, mais Cairn n'ouvre pas de feu, allez savoir pourquoi.

    Je suppose que le professeur connait Cairn par cœur pour l'avoir déjà maintes fois affronté, donc il ne tarde pas à réagir. Il effectue alors sensiblement la même manœuvre et se retrouve à nouveau derrière Cairn.

    On peut penser qu'à ce moment, les deux avions ont alors perdu une grande partie de leur énergie, ayant effectué chacun un "cobra". Cairn ouvre alors les gaz à fond et effectue une demie boucle rapide. Il est tellement sûr de son coup qu'il ouvre le feu largement avant d'arriver sur la position théorique de son ennemi.

    Là il ne trouve rien et a juste le temps de tourner la tête pour voir le museau de son ennemi. On voit son grand étonnement dans ses yeux qui se reflètent dans la verrière.

    C'est vraiment une scène d'anthologie.

    Lord-Yupa
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    Lord Yupa le #275987

    Je viens de visionner le DVD, que j'avais depuis quelque temps, sans vouloir lire bien sûr tout ce qui précède, et dont je viens seulement de prendre connaissance. Je dois dire que toute cette histoire me paraît bigrement artificielle, en dépit de son indéniable recherche de profondeur (qui en prend même un caractère un peu naïf, je ne sais pas si je me fais bien comprendre). Les deux tiers du film m'ont paru ennuyeux au point que, bien décidé pourtant au départ à tout voir, j'ai dû abandonner et reprendre le lendemain. Je me disais : "Les avions jouent bien, ils ont du relief et ils sont très vivants, mais alors les persos !"
    Enfin, passé un certain point, le mystère densifié se cristallise et on accroche mieux évidemment. La scène la plus belle pour moi est celle où Mitsuya confie tout à Kannami, qui tourné vers le mur sur sa couchette ne la regarde même pas et lui dit quand elle part qu'il la remercie et que c'était très intéressant, toujours sans bouger. Réelle émotion, apogée, trouvaille.
    Naturellement il y a aussi les magnifiques combats aériens, comme celui que détaille jroger, hélas il n'y en que peu ! avec les bandes-annonces on s'attend à mieux…
    Et, gros reproche, Oshii abuse réellement du vide et du statique, du non-dialogue, du non-événement ! le nombre de fois où un personnage allume une cigarette est proprement hallucinant, j'éclatais de rire à la fin, j'aurais dû compter! soit Oshii est un gros fumeur, soit il tire à la ligne par ce moyen, s'évertuant de façon irritante à révéler le moins de choses possible au spectateur (les cinéastes vraiment matures n'ont pas besoin de ça, c'est le côté un peu naïf dont je parlais). Oh bien sûr, avec un peu de jus de crâne, on peut toujours trouver une autre explication aux clopes, j'en serais capable, mais je crois plutôt à ce que j'ai dit. Peut-être ce qui gêne mon enthousiasme est cette espèce de nostalgie des temps de la guerre froide et de ses pénuries que je subodore chez Oshii (Rostock est une ville qui fut base militaire en RDA, où il y avait fort peu de distractions, et c'est plutôt comme cela que j'interprète le passage dont parle Bub). Pour moi, fils de pauvres, c'est des idées de bourge gavé et blasé qui crache dans sa trop bonne soupe d'aujourd'hui, j'en rencontre des gens comme ça, et ça me révolte. Mais peut-être que je fais là un faux procès à Oshii… Ou bien, c'est que les amours passées de Kusanagi, ce poisson froid, ne me captivaient en rien (ni les questionnements de Kannami) ; en revanche l'explication que donne celle-ci des guerres de l'humanité m'a bien intéressé, comme quoi ce serait en somme le seul moyen d'assurer la paix, par contraste. Le rire existerait-il si les larmes n'existaient pas ? la joie sans la souffrance ? là on arrive à la philosophie. Mais les histoires de Kildren, bof… Nan, les avions, eux, ils sont beaux, racés, souples, avec leurs doubles hélices arrière et leurs empennages avant! superbes!!
    Si ce mélange de réalisme et de fantasmagorie vous paraît bien coagulé, si vous réussissez à trouver de la crédibilité à ces personnages, alors vous avez bien le droit de crier au génie, mais ce n'est pas mon cas. Bravo à l'analyse de Pio et à celle de Bub, mais moi je n'aurais jamais eu le courage d'y mettre tant d'attention !

    Guilhem
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    Guilhem le #275988

    Je suis assez d'accord avec toi, Yupa : j'aime beaucoup l'œuvre d'Oshii prise dans son ensemble, mais je ne peux pas m'empêcher de penser, parfois, que certaines interprétations sont pour le moins capillo-tractées ; sous bien des aspects, il me fait penser à Lynch par moments : la surface “obscure” de ses réalisations semble surtout servir à dissimuler non un vide intellectuel, loin de là, mais néanmoins une profondeur pas si abyssale que ça en fin de compte… On retrouve un tel procédé dans l'école de peinture hollandaise du clair-obscur : les tableaux présentent des contrastes de luminosité très importants, avec des zones très claires et d'autres franchement noires ; celles-ci, parce qu'elles ne montrent “rien” en fin de compte, encouragent le spectateur à imaginer ce qui s'y trouve, c'est-à-dire à l'inventer : en d'autres termes, elles font en sorte de laisser l'imagination de l'audience les peupler de ce que le public veut bien y mettre.

    D'un autre côté, c'est vrai aussi qu'une œuvre cesse d'appartenir à son auteur pour devenir la propriété de son audience dés qu'elle devient publique, cette audience acquérant ainsi le droit de l'interpréter comme bon lui semble – et j'ai eu là l'occasion de lire des réflexions d'autant plus intéressantes qu'elles étaient aussi tout à fait inattendues ; alors, je ne sais pas, il faudrait que j'y réfléchisse un moment peut-être…

    Quoi qu'il en soit, dans l'état actuel de mes réflexions, je pense trouver deux éléments principaux dans ce film, qui s'entrecroisent en un résultat pour le moins anachronique :

    – le premier est bien sûr lié à la Guerre du Pacifique, pendant laquelle le Japon a sacrifié une quantité pas croyable de sa jeunesse dans un combat somme toute assez vain, même si les autorités militaires d'alors ne doutaient pas une seule seconde de leur victoire (je sais, ça se discute : j'essaye juste de garder l'exposition simple…) ; le look “rétro” avec les avions au style années 30 renforce cette impression.

    – le second, plus actuel, dénonce une société du divertissement qui est bien sûr ici métaphorique compte tenu des sommets qu'elle présente : les candidats des divers jeux et autres divertissements télévisés sont tous les mêmes du point de vue du spectateur qui regarde, ce sont des espèces de clones en fait – même si on jalouse leur instant de gloire quand ils gagnent quelque chose : d'où le statut de “héros” des Kildren dans l'univers du film.

    Bref, on se retrouve avec une production qui mélange deux éléments pour le moins prépondérant du Japon contemporain : la “culpabilité” d'un passé martial qui a massacré une jeunesse et anéanti la culture traditionnelle de l'archipel, et d'autre part la “dérive” culturelle (encore que je devrais plutôt dire “aculturelle”) du Japon moderne qui a remplacé l'ancien suite à la défaite au cours de cette Guerre du Pacifique déjà évoquée – les deux événements sont de toute évidence liés, le second découlant du premier.

    En fait, ce “message” n'est pas franchement différent de celui de la plupart des productions d'Oshii et même, en faisant une vaste généralité, de l'ensemble des œuvres d'après-guerre de ce Japon qui “a perdu la guerre mais gagné la paix” pour reprendre l'expression chère aux historiens : paix caractérisée par une explosion de la Révolution Industrielle, imposée par les vainqueurs américains suite à la fondation – toute autant imposée – de la démocratie et qui a, d'une part, détruit le Japon traditionnel et féodal, d'où le sentiment de “nostalgie” pour cette époque, et d'autre part, permis l'émergence de la société de consommation à travers un ultra-libéralisme débridé dont l'industrie du divertissement n'est finalement qu'un rejeton comme un autre. Nul besoin d'y regarder de très près pour distinguer des accents semblables dans les autres œuvres marquantes d'Oshii, que ce soient les Ghost in the Shell ou les Kerberos Panzer CopsL'Œuf de l'ange étant ici l'exception évidente…

    La prépondérance de tels thèmes dans les productions japonaises évoque en fin de compte moins une volonté réelle pour un discours foncièrement réfléchi que des inspirations inconscientes, issues de maux touchant l'ensemble de la société japonaise et auxquels les artistes sont, par définition, toujours plus sensibles que les autres – d'où leur choix, tout aussi inconscient lui aussi, de tels thèmes.

    Ce qui n'enlève rien aux immenses qualités de Sky Crawlers, bien évidemment, mais je préfère éviter d'y voir ce qui ne s'y trouve pas…

    Juste mon avis, AMHA,… Toussa… 😁

    Pio2001
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    Pio2001 le #275989

    Il est clair, vu les réactions postées sur ce forum et sur d'autres, que le film touche profondément certains spectateurs, et en laisse d'autres de marbre.

    Peut-être est-ce dû à un certain vécu, ou à notre caractère. Moi une personne qui m'est chère et qui voulait en finir avec la vie m'a déjà demandé plusieurs fois de la tuer. Il y a des résonances entre mon passé et cette histoire. (Je précise qu'elle est encore en vie, si des policiers lisent ce message 😛 ). Quant au caractère, cela ne me déplairait pas d'avoir des amis comme cela. Ils sont discrets et francs. Bien entendu, on peut les trouver d'un ennui mortel, mais moi les gens qui parlent tout le temps, ça me saoûle.

    Je suppose que vous avez vu le film en VO. Il vaut mieux préciser, parce que c'est un cas particulier de film dont la VF est parvenue à saboter toute l'ambiance. Ca peut compter dans l'appréciation finale.

    Lord-Yupa
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    Lord Yupa le #275990

    Je l'ai admis dans mon commentaire, Pio 2001, on peut très bien porter aux nues (c'est le cas de le dire) ce film, mais moi je n'aime pas tellement, sauf certaines choses que j'ai indiquées. Et la beauté visuelle est souvent là. De marbre je ne reste pas.
    Très très intéressant, ton post, Guilhem !
    J'y reviendrai, car je tiens à défendre le divertissement, contrairement à tous les jansénistes et Blaise Pascal au (très) petit pied de notre époque (je ne t'y assimile pas, Guilhem). C'est une des raisons pour lesquelles, au fond, les thèses d'Oshii ne me branchent guère.
    Ah, et le clair-obscur, bravo, et j'ajouterais bien les mains en art faut pas que j'oublie, mais pas le temps, là. A + !

    Lord-Yupa
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    Lord Yupa le #275991

    Finalement je vais boucler mon commentaire sans philosopher contre le néo-jansénisme, ça ne servirait pas à grand-chose et serait HS.
    Guilhem, outre tes intéressantes remarques, tu as bien raison de dire que s'il y a nostalgie émotive dans The Skywalkers ce serait plutôt celle des années 30 / 40 ; c'est clairement celle de cette camaraderie résignée à la mort (donc "héroïque" en un sens, mais cela se discute) des pilotes japonais de la Seconde Guerre Mondiale. Vu l'écrasante supériorité de l'aviation US dès 1943, cela ne concerne pas que les kamikaze, mais il est frappant que Kannami aille à une "mort certaine" au final, et que tous ces pilotes soient des ados "trop jeunes". Leur mode de vie est bien celui des soldats (et des hommes en général, vu le machisme d'époque) des années 30 : les putes, les clopes, l'alcool. Cette ambiguïté et ce passéisme me gênent, Oshii tourne autour de Kannami un peu avec la fascination d'un Mishima. D'ailleurs au Japon chez des gens à engagement politique (dont, je crois, Oshii Mamoru), on distingue assez mal entre l'extrême-gauche et l'extrême-droite, sur certains thèmes. Mais cela nous entraînerait trop loin.
    Pour conclure mon point de vue sur ce film, je le trouve visuellement très beau (parfois), mais sans objet réel ou actuel, avec peu de moments forts, et très ennuyeux pendant deux bons tiers. Cela ferait peut-être un bon roman, je ne sais pas… Si le style est remarquable, j'ai moins besoin d'aimer les personnages, et là je ne les aime guère.
    Encore une fois, si vous adorez, va, je ne vous hais point.

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