Dans notre dernier numéro consacré à Avatar, nous nous sommes intéressés à l’histoire et aux caractéristiques des sentô, ces bains « publics » à la japonaise. Ancrés dans l’imaginaire des habitants de l’archipel et faisant partie du paysage culturel du pays, ceux-là restent en effet moins connus par les étrangers que les établissements de onsen. À l’occasion de cet article, nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir avec Stéphanie Kishigami Crohin, une Française vivant au Japon depuis 2008 et spécialiste des sentô (son instagram). La longueur de cet entretien ne permettant pas de le faire figurer en intégralité dans le magazine, nous avons choisi de le rendre disponible ici. Nous remercions encore grandement Stéphanie pour le temps qu’elle nous a accordé, ses retours précieux ainsi que pour ses photographies !
AL : Vous avez été nommée « ambassadrice des sentô » en 2015, pourriez-vous nous parler un peu davantage de ce que cela implique ?
SC : Mon travail avec les sentô a débuté en 2013 lorsque j’ai commencé à parler des sentô sur les réseaux. J’ai été remarquée car j’en présentais beaucoup et aussi car à l’époque, il y avait assez peu d’informations disponibles en japonais sur la question et en langue étrangère encore moins. J’avais aussi déjà un très bon ami rencontré en 2008, M. Yanagisawa, un propriétaire de sentô qui m’a fait découvrir l’envers du décor des bains japonais. Il était très content que j’aide à promouvoir la culture des sentô et je me souviens qu’à l’époque, je me rendais dans un sentô chaque fois que j’allais quelque part au Japon. D’autre part, en 2014, avant d’être élue ambassadrice officielle des sentô, je travaillais déjà avec le Comité des bains de la ville de Tokyo. C’est un travail assez important car il implique de décider tous les ans des tarifs pratiqués par les sentô de Tôkyô et j’ai fait partie de ce comité jusqu’en 2022. Je suis d’ailleurs toujours enregistrée à la mairie de Tokyo comme « chercheuse spécialisée dans les sentô » (sentô kenkyûka). L’année suivante [en 2015], j’ai été élue première ambassadrice des sentô du Japon par l’Association sur la culture du sentô (Nihon sentô bunka kyokai) en même temps qu’un champion de boxe poids-plume, Yu Kimura. C’était un grand honneur car c’était la toute première fois que cet organisme nommait des ambassadeurs du sentô. Concrètement, ce titre n’implique aucune obligation et il m’a été donné surtout en remerciement du travail que je faisais pour mettre en valeur les sentô. Il s’agissait davantage d’une forme d’encouragement afin que je continue à en faire autant que possible, à mon échelle, pour aider à pérenniser les sentô. D’autant plus qu’à ce moment-là j’avais déjà été pas mal repérée par les médias japonais et ce titre officiel me donnait donc une certaine reconnaissance en tant que spécialiste du sentô. Ça permettait aussi aux Japonais de m’identifier clairement.
AL : Lorsque vous avez découvert les sentô ou, plus tard lorsque vous avez commencé à en parler dans les réseaux, aviez-vous déjà conscience qu’ils étaient en partie menacés, ou du moins qu’il y avait une forme de déclin des sentô traditionnels ?
SC : En 2008, lorsque j’ai commencé à fréquenter les sentô je n’avais pas du tout conscience de cet aspect-là. Tout d’abord car à l’époque je ne parlais pas encore bien japonais mais aussi parce qu’à ce moment là, je ne mesurais pas encore toute la richesse du monde des sentô. J’allais au sentô non loin de mon université et j’aimais bien y retrouver le propriétaire et les habitués car cela me permettait de me sentir non plus comme une étrangère mais intégrée à la communauté des habitués de ce sentô. Après mon année d’ échange universitaire, j’ai quitté le Japon pour un temps avant de finir par y retourner en 2012. Dès mon retour je me suis de nouveau rendue dans ce sentô et c’est là que j’ai voulu en savoir beaucoup plus. J’avais alors obtenu mon master en littérature japonaise et j’étais donc bilingue ce qui rendait forcément la conversation plus facile (rires). Mes liens avec la famille qui tenait ce sentô se sont vraiment resserrés et j’en ai appris beaucoup plus sur le sujet. En même temps j’ai pris conscience que, même si les sentô ne disparaissaient pas, beaucoup d’entre eux se mettaient à fermer et aussi que beaucoup de gens avaient en quelque sorte laissé cette culture de côté. Et c’est vrai que, quand j’ai commencé à présenter différents sentô sur les réseaux, il n’y avait pas beaucoup de jeunes qui s’y rendaient. Mon hobby paraissait même original à l’époque : quand j’en parlais autour de moi on me disait parfois « t’es un peu bizarre toi ». Quoi qu’il en soit, ce que je faisais semblait susciter l’intérêt des médias japonais, à tel point qu’à un certain moment j’avais quasiment quatre interviews par semaine, que ce soit pour un journal, à la radio ou à la télévision. J’étais invitée pour présenter des sentô un peu partout et il y a même eu une émission télé qui m’a suivie à Nara pour présenter tout un tas de sentô que je n’avais pas encore découverts.
AL : Il me semble que vous avez aussi travaillé un certain temps dans un sentô, pourriez-vous nous parler un peu plus de ce que cela vous a apporté ?
SC : En effet j’ai travaillé pendant six ans à l’accueil d’un sentô à côté de mon travail de tous les jours. J’y allais 2-3 fois par semaine le soir pendant 2 heures environ. C’était important pour moi de voir l’envers du décor et d’approfondir mes connaissances sur les sentô en ayant un point de vue différent de celui d’un client. Ça m’a aussi permis d’observer une évolution de la vision des sentô et j’ai notamment pu voir beaucoup de jeunes venir. J’ai aussi pu me rendre compte de l’impact que j’avais pu avoir à mon échelle car, dans mes interviews, je recommandais souvent d’aller au sentô en couple, en disant que c’est une bonne idée de date pas trop cher, ou encore que c’était idéal pour y aller entre copines. Dans les grandes villes les gens se voient assez peu chez eux et je conseillais donc par exemple aux gens le sentô comme alternative peu coûteuse au restaurant pour discuter. Au fil du temps je me suis rendue compte qu’on ne me disait plus trop que j’étais fantaisiste quand je parlais de sentô et c’est davantage devenu associé à l’idée « lifestyle ». Et je pense en effet que le terme correspond bien à la réalité car aujourd’hui il y a beaucoup de jeunes qui vont au sentô et qui en parlent sur leurs réseaux. Le boom du sauna lui aussi est venu renforcer cette popularité. De nos jours, il y de nombreuses manifestations autour du sentô : récemment, dans le cadre de mon activité en tant qu’illustratrice, j’ai par exemple pu vendre des dessins pour un évènement au magasin Parco Shibuya où un groupe de jeunes a lancé l’initiative « Sento forever » qui fait la promotion des sentô à travers le travail de différents artistes.
AL : Dans la continuité de cette idée d’un renouveau de popularité des sentô chez les jeunes vous parliez à l’instant d’un « boom du sauna » et c’est vrai que ces dernières années lorsqu’on se rend dans un sentô doté d’un sauna il semble que ces derniers soient très populaires chez les jeunes Japonais, qu’en pensez-vous ?
SC : Le boom des sentô aux alentours de 2015 a été suivi par celui des saunas en effet et je pense que les gens se sont davantage rendus compte de l’aspect « détox » ou détente qu’ils pouvaient y trouver. J’ai travaillé dans beaucoup d’entreprises japonaises – huit au total – et, il faut bien le dire, c’est dur. Aller au sentô, poser son téléphone et laisser derrière soi tout le stress de la journée, c’est quelque chose de vraiment essentiel pour moi en réalité. Quand je travaillais à l’accueil d’un sentô j’ai aussi pu voir venir beaucoup de familles et d’enfants : j’ai vraiment pu observer cet aspect d’une vie de quartier qui m’a beaucoup plu. Je me souviens par exemple de deux petites filles qui devaient être en primaire et qui venaient très souvent ensemble. En fait, je dirais que le sentô est vraiment un lieu de confiance. Certains établissements sont là depuis très longtemps et à Tokyo on peut en trouver qui sont tenus par la même famille depuis 11 générations. C’est aussi parce que cette notion de confiance existe que personne ne trouve ça bizarre de laisser deux petites filles se rendre seules au sentô après l’école. Le sentô est vraiment un lieu de communauté, convivial et joyeux et, je pense que cela vient du fait qu’auparavant, la vie de quartier se construisait autour du marchand de riz et du sentô, avec toutes les habitations disposées autour.
AL : Quand on se penche sur l’histoire des bains au Japon un aspect assez frappant est le fait que pendant longtemps les sentô ont été fréquentés par une grande variété de classes sociales, sans qu’il y ait de véritable cloisonnement, de différenciation entre les classes. Qu’en est-il aujourd’hui ? Est-ce que les sentô sont davantage fréquentés par les classes populaires ou peut-on encore y observer une certaine mixité sociale ?
SC : C’est une question à laquelle il est assez difficile de répondre. Je pense qu’à l’heure actuelle, la proportion de classes populaires est un tout petit peu plus importante que par le passé car, auparavant, il n’y avait tout simplement pas le choix [ndlr : les classes les plus aisées se rendaient elles aussi aux bains publics et la démocratisation de la salle de bain dans la maison japonaise n’arrive véritablement après-guerre, dans les années 1960-70]. Aujourd’hui c’est davantage un art de vivre, un rituel, on ne cherche pas juste à aller se laver. Parmi les gens qui se rendent au sentô, il y a des personnes âgées qui y sont allées toute leur vie et qui continuent d’y aller même si elles auraient les moyens de se payer une super salle de bains. Chez les jeunes c’est pareil, certains sont plutôt issus d’un milieu aisé mais ils vont au sentô car il y a un coté social et « mode de vie » : dans une société ou le travail prend parfois trop de place il peut ainsi s’agir d’une volonté de prendre soin de sa santé physique et mentale.
AL : Pourriez-vous revenir sur la différence entre onsen et sentô ? À la fois sur la différence qu’ils présentent matériellement mais aussi dans la façon dont les Japonais se les représentent dans leur imaginaire.
SC : Les deux ne s’opposent pas en réalité. Il y a des sentô qui sont à la fois des onsen et, dans la majorité des bains, l’eau est puisée sous terre. Je reviens en détail sur cette question dans mon livre mais pour résumer : avec les onsen (« source thermales ») on se concentre sur la qualité de l’eau qui est puisée tandis qu’avec les sentô, en terme de sens, cela renvoie à l’idée d’un établissement de bains dans lequel on pouvait rentrer en payant un sen [ndlr : ancienne monnaie japonaise]. D’autre part on peut même avoir des onsen avec de l’eau froide : c’est notamment le cas dans certains onsen géothermiques (là où les onsen volcaniques sont toujours chauds). Dans tous les cas ces sources sont généralement porteuses de nutriments intéressants pour le corps et qui diffèrent selon les régions. Quoi qu’il en soit, où que l’on creuse au Japon, on peut généralement trouver des onsen. Mais ces derniers vont différer en fonction de leur localisation et de la profondeur à laquelle l’eau est puisée. À Tôkyô par exemple, certains sentô puisent à deux-cent mètres et ont donc accès à du onsen. Simplement, cela se voit davantage quand l’eau puisée est noire. Néanmoins il est aussi possible d’obtenir de l’eau transparente à cette profondeur. Mais dans ce cas, le problème vient davantage du fait que les tests pour obtenir la certification de onsen sont assez coûteux : certains sentô qui pourraient donc aussi être classés comme onsen ne le sont donc parfois pas.
Pour ce qui est de la perception des onsen et des sentô par les Japonais, tout d’abord je dirais que ceux qui s’y intéressent ne font pas vraiment la différence. Encore une fois, onsen et sentô désignent deux aspects différents des bains : onsen se concentre sur la qualité de l’eau tandis que l’autre renvoie plus à l’idée de « bain public ». Même s’il faut faire attention avec le terme « public » associé aux sentô car dans les faits, il s’agit d’établissements privés appartenant à des familles. Ce qui les rend « publics », c’est le fait que tout le monde a le droit d’aller au sentô, y compris les personnes tatouées. C’est d’ailleurs mon cas et ça ne m’a pas empêchée de devenir ambassadrice des sentô ! Pour être un sentô il faut appartenir à l’association [ndlr : la Sentô kumiai] et certains bains publics décident d’ailleurs de ne pas y adhérer car certaines règles ne leur conviennent pas, comme celle qui fixe les tarifs d’entrée par exemple. Ensuite, en ce qui concerne Monsieur tout le monde, il peut en effet y avoir cette image des onsen qu’on associe aux week-ends, aux vacances dans des villages de sources thermales comme Kusatsu onsen ou Gero onsen. Dans ce cas, en comparaison avec le sentô associé au quotidien, le mot onsen peut revêtir une connotation un peu plus « exceptionnelle » et associée aux ryokan etc.
AL : Ces dernières années il me semble qu’il y a aussi une mode du rétro au Japon, notamment autour des cafés rétro (dans le style de l’ère Shôwa). Est-ce que les sentô ont pu bénéficier de cette « vague du rétro » eux aussi ?
SC : Je suis moi-même très très fan des jun-kissa comme on appelle ces cafés des années 60 et je poste beaucoup de photos de ces cafés sur Instagram. Et je pense en effet que ce côté rétro dans certains cafés et sentô est séduisant. Après, les réseaux sociaux occupant une place très importante au Japon – il y a d’ailleurs un mot, insutabae, qui renvoie à l’idée de quelque chose d’« instagramable » –, les gens sont souvent motivés à aller quelque part si ils peuvent aussi prendre une photo pour les réseaux. Ça ne pose pas de soucis dans les cafés mais, dans les sentô en revanche, c’est interdit de prendre des photos à l’intérieur. Il peut donc y avoir une certaine frustration face à l’impossibilité de partager son expérience au sentô. Donc au final, pour répondre à la question de savoir si les sentô ont bénéficié de la « vague du rétro », je dirais que oui et non. Si la devanture est sympa et permet de faire sa petite photo rétro ça peut jouer.
AL : Pourriez-vous nous parler de la dimension décorative très importante dans les sentô, notamment avec les grandes fresques qui ornent généralement leurs murs ? Pourrait-on y voir une volonté de pallier à l’absence de nature dans les grandes villes ?
SC : Par le passé les sentô étaient vraiment utilisés par une grande majorité de la population et peu à peu on a vu y apparaître des publicités. À l’époque, elles étaient peintes sur des petites planches de bois et il s’agissait de publicités pour les commerces locaux : cela pouvait être pour l’opticien ou encore le coiffeur du quartier. Les peintres venaient directement au sentô pour peindre ces publicités et, un jour, l’une de ces sociétés de publicité a voulu remercier un sentô avec lequel ils collaboraient régulièrement. Pour ce faire, ils ont peint un grand Mont Fuji sur le mur intérieur de ce sentô à Kanda, et ça a eu beaucoup de succès ! Il faut néanmoins savoir que si le Mont Fuji est un motif qui revient beaucoup dans les fresques de sentô dans la région du Kantô, on trouve d’autres montagnes représentées dans les autres régions du Japon, comme le Sakurajima à Kagoshima par exemple. Il y a un aspect très local et je trouve ça particulièrement intéressant car, à travers les sentô on peut aussi voyager dans la culture japonaise. Quoi qu’il en soit ces fresques du Mont Fuji ont eu un grand succès au point qu’on a vu apparaître le métier de peintre pour les sentô appelé penki eshi. Actuellement il n’y a plus que trois penki eshi au Japon. Parmi eux, il y a notamment Tanaka Mizuki qui exerce depuis maintenant un peu plus de dix ans et dont j’apprécie beaucoup le travail [vous pourrez retrouver son interview dans le livre de Stéphanie Crohin. NDLR]. En octobre dernier j’ai d’ailleurs pu la faire venir à Taiwan dans le cadre d’un évènement que j’organisais au Musée du onsen local. Il y a aussi Maruyama-san et Nakajima-san qui exercent depuis longtemps maintenant.
AL : Ces artistes travaillent-ils dans des régions en particulier ou se déplacent-ils dans tous le Japon ?
SC : Ils sont principalement localisés dans le Kantô mais, comme ils sont assez connus, il peut aussi arriver qu’ils se déplacent. Par exemple plusieurs sentô de Fukuoka se sont cotisés pour faire venir Nakajima-san et on peut donc désormais trouver des peintures du Mont Fuji à Fukuoka, ce qui est assez exceptionnel. Tanaka Mizuki travaille quant à elle « à plus grande échelle » car elle ne peint pas uniquement pour les sentô mais aussi pour d’autres endroits. Ce qui rend ce travail difficile – et c’est aussi une des raisons qui pourrait expliquer la rareté de ceux qui le font – c’est qu’il faut peindre une fresque d’une taille de 10 mètres sur 5 minimum en une journée seulement, pendant l’unique jour de la semaine ou le sentô ferme.
AL : Dans notre article sur les sentô paru dans AnimeLand # 247 nous abordons aussi la représentation des sentô dans les œuvres de fiction, comme le film Yûdô sorti en 2021 au Japon. Est-ce qu’il y a d’autres œuvres (films, manga ou autre) auxquelles vous pensez ?
SC : Je ne joue pas vraiment aux jeux vidéos mais je me souviens très bien d’une arène dans Street Fighter qui est en fait un sentô (rires). [NDLR : L’arène Kapukon Yû, associée au combattant sumo E. Honda, apparaît pour la première fois dans Street Fighter II] Il me semble aussi qu’il y a des références au sentô dans Ramna ou dans Juliette je t’aime… En ce qui concerne le film Yûdô, comme j’appartiens à l’association du même nom, j’ai été invitée dans les studios de la Tôhô pour l’avant-première du film, que j’ai trouvé vraiment bon. D’ailleurs je suis très surprise qu’il ne soit pas sorti à l’étranger car je pense que c’est un film qui pourrait vraiment plaire à un public assez large. Il y a également un film sorti quelque années plus tôt et que j’aime beaucoup : Yu wo wakasuhodo no atsui ai (Litt : « Un amour si brûlant qu’il fait bouillir l’eau ») réalisé par Nakano Ryôta. Et aussi Kagi dôrobô no mesoddo, un film plutôt comique [réalisé par Kenji Uchida] dans lequel toutes les scènes du début se passent dans un sentô. Thermae Romae aussi bien sûr. Et dans un autre registre, je me souviens aussi d’un film dans lequel des yakuza se servent d’un sentô pour faire disparaître des personnes gênantes [Melancholic, réalisé par Tanaka Seiji, NDLR].
AL : Pour revenir à la question des fresques mais aussi de l’art en général dans les sentô, il me semble que l’intérieur des sentô peut aussi être décoré par des mosaïques plutôt que des fresques…
SC : Il y en effet des sentô qui présentent des carrelages en mosaïque. Certaines d’entre elles ont souvent plus de soixante ou soixante-dix ans. Mais il y a aussi une autre méthode : la peinture sur carrelage (je pense notamment à un sentô très joli de ce type qui présente le château d’Himeji avec des sakura). Pour cette seconde méthode on peint le carrelage puis on le refait cuire, ce qui permet au matériau de durer très longtemps. En particulier lorsqu’on les compare aux peintures murales des penki eshi dont on parlait tout à l’heure qui elles s’effritent rapidement avec l’humidité et nécessitent donc d’être repeintes tous les un à trois ans. Par ailleurs, lorsqu’on évoque les différentes formes d’art présentes dans les sentô, j’aime aussi parler des jardins : certains sentô en possèdent des vraiment magnifiques. Et il y a aussi toute la question des différents types d’architecture selon les sentô que je détaille dans mon livre. Après le grand séisme de 1923 par exemple, les sentô de la région du Kantô commencent à adopter une architecture très similaire à celle des temples, appelée miya-zukuri. Certains d’entre eux ont d’ailleurs aujourd’hui l’appellation de « trésor national » (bunkazai).
AL : C’est intéressant que vous parliez de cette appellation de « trésor national » car il me semble qu’elle renvoie à la question de la préservation historique des sentô. En particulier lorsqu’on sait que certains d’entre eux, très anciens, sont rachetés et finissent par être détruits pour laisser place à des parkings… Que pensez-vous de cette problématique ?
SC : Parfois, quand les gens peuvent se le permettre ou lorsqu’il y a des associations derrière, cela arrive qu’une pérennité puisse exister. Mais la question de la préservation des sentô peut devenir problématique en particulier lorsqu’il s’agit de terrains qui ont une valeur monétaire importante comme à Tokyô, Osaka ou Kyôto. Quand un sentô ferme pour cause de décès des propriétaires, d’absence de succession, de chauffe-eau qui casse (ces derniers sont extrêmement coûteux à remplacer) ou simplement car c’est un travail extrêmement dur et prenant – comme j’ai pu l’illustrer dans mon livre en relatant les 24 heures de la vie d’un sentô – c’est une opportunité très intéressante pour les promoteurs immobiliers. Je pense par exemple à un très beau sentô situé à quelques minutes de la gare de Asakakusa-bashi (un quartier très charmant où l’on peut trouver des artisans du cuir et des métiers d’art) et dont les deux femmes qui s’en occupent, une mère et sa fille, me disaient qu’elles recevaient toute les semaines des demandes de rachat de la part de promoteurs immobiliers…
AL : Vous avez écrit trois livres sur les sentô : deux en japonais et un en français, Sentô, l’art des bains japonais paru en 2020 chez Sully Le Prunier. Par ailleurs vous avez beaucoup de casquettes entre toute votre activité autour des sentô, la photographie, l’illustration mais aussi parfois en tant que guide touristique. Avez-vous des nouveaux projets en préparation ? Peut-être un nouveau livre ?
SC : J’aimerais bien, même si j’ai été très occupée ces derniers temps. Récemment j’ai fait une exposition photo à Taïwan par exemple. Il m’arrive aussi assez régulièrement d’être sollicitée par des magazines en Asie ou bien pour faire des conférences. Et depuis le Covid j’ai repris des études dans une école d’architecture intérieure au Japon ! J’ai également travaillé dans un cabinet d’architecture intérieure spécialisé dans l’hôtellerie de luxe à Tokyo jusqu’à très récemment et je prends aussi parfois des projets d’intérieurs personnels, un domaine dans lequel j’aimerais me spécialiser davantage. Bien sûr je continue a être très impliquée dans mon travail avec les sentô sur divers plan : je réfléchis à d’autres expositions photo et éventuellement un autre livre… En tout cas j’invite les personnes intéressées par les sentô et le rétro à la japonaise à se rendre sur mon Instagram @_stephaniemelanie_ car je poste toujours énormément de photos et d’adresses de sentô !
Notre article sur les sentô est disponible dans la AnimeLand n°247 consacré à Avatar !
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