Le tatouage, un art japonais

Partie 2 : Age d'or, punition et interdiction

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Dès le début du 17e Siècle, les artistes du Ukiyo-e redécouvrent cet art ancestral et en en font une des composantes de leur mode d’expression.

Le Ukiyo-e, les encres de l’extase.

Ce courant artistique qui voit le jour au XVIIe Siècle est le premier à utiliser le tatouage comme médium. Le terme de Ukiyo-e est issu du vocable bouddhiste et désignait à l’origine la souffrance liée à la tentation et à la vie aventureuse. Détourné de son sens premier, les artistes du Ukiyo-e l’utilisent pour désigner le plaisir dans tous ces aspects les plus romantiques, esthétique, érotiques et épiques. Ils font de ces descriptions de plaisirs passagers (contemplation d’un paysage sublime ; délectation d’un vin gouleyant ou d’une femme accueillante ; harmonie d’un vêtement de soie finement tissé), les sujets de prédilection de leurs oeuvres. Ré-interprétant les codes hérités des maîtres de l’estampe, ils adaptent la couleur et le médium au sujet qu’ils veulent représenter. Utilisant l’aquarelle, le dessin et la gravure, nombre de ces artistes voient leurs travaux imprimés à des fins d’illustration, notamment pour des affiches destinées au théâtre Kabuki et des livres de contes et légendes, voire de romans. Nombre de ces artistes (HOKUSAI Katsushika, HIROSHIGE Ando…) ont eu une grande influence sur les artistes français du XIXe siècle et ont énormément contribués à bouleverser les codes de représentation du paysage. C’est ainsi que KUNIYOSHI Utagawa devient l’illustrateur du roman des Suikoden, empreint de romantisme épique et de héros tatoués. Tatouage, qui devint également un mode de représentation des artistes du Ukiyo-e, délaissant leurs pinceaux pour les aiguilles et la poudre de charbon, certains se détachèrent complètement de l’illustration pour se vouer uniquement à l’art intradermique. Parmi les plus célèbres, citons ICHIMATSU, CHIYARIBUN, DARUMAKIN, ISO, HORITSUN, KANE et HORI-ICHI, entre autres.

Ce courant artistique trouvant écho tant auprès des lettrés que des gens du peuple, la dermographie ornementale fait son apparition – ou plutôt sa réapparition – dans la société japonaise. Le Ukiyo-e usant d’une symbolique empruntée aux légendes et aux croyances, le tatouage en fait de même et s’adapte alors aux “besoins” et croyances de celui qui l’arbore. Ainsi les Yujos (prostituées), se parent-elles de motifs colorés et doux pour augmenter leur pouvoir de séduction, cette tradition se poursuit d’ailleurs encore de nos jours dans les maisons de passe “honorables” ou les filles cachent sous leur kimono de troublantes harmonies colorées, paysage chatoyant épousant les reliefs des landes du pays du plaisir défendu… De leur côté, les pompiers en font de même, et se tatouent des divinités protectrices et opposées à celles du feu. Quant aux paysans, ils passent en revue le panthéon des innombrables déités de la fertilité et de la nature. Même si cette pratique ne concerne pas la majorité de la population, elle peut être considérée comme une espèce d’âge d’or où aucune connotation négative n’intervient dans la vision que les gens ont du sujet tatoué. Cette époque protégée ne devait pas durer très longtemps, puisqu’en 1720, un édit impérial officialise le tatouage pénal et punitif, remplaçant celui, plus radical, du piercing extrême qui constituait à couper le nez ou les oreilles du criminel. Le condamné se voit alors marqué du sceau de son infamie à des endroits impossibles à cacher, des “bracelets” noirs autour des poignets pour chaque délit mineur, voir le nom du délit gravé sur le visage en épaisses lettres. Cette punition perdurera jusqu’à la fin du 19e Siècle, et ne contribuera pas à rendre l’art dermique très populaire. Cette visible marque de filouterie favorisa dès lors le regroupement en sociétés secrètes, ou tout du moins cachées, des criminels divers parmi lesquels on trouva de plus en plus de Ronin, ces Samuraï sans maître, qui petit à petit assirent leur autorité dans les milieux du crime et commencèrent à organiser les structures de ce qui deviendra plus tard les Yakuza. Renouant avec la tradition du tatouage symbolique, les membres de ces cercles pendables adoptent vite comme emblèmes les divinités guerrières et destructrices, le bestiaire mythique associé à la force et à la vigueur, mais également des motifs empruntés au Suikoden, très populaire à cette période et auxquels les “gangsters” aimaient à se comparer.

Les Suikoden, les 108 héros du peuple.

En 1827 KUNIYOSHI Utagawa, une des figures du Ukiyo-e termine les six premières représentations des “108 héros des Suikoden”, histoire tirée d’un roman traditionnel chinois des 13e et 14e Siècles le Shui-Hi-Chuan, nous narrant les épiques aventures d’une bande d’honorables bandits à la Robin des bois. A l’aube du 19e Siècle, cette histoire adaptée par KANZANION Okajima et illustrée par HOKUSAI Katsushika connut un succès immense et suscita même une espèce de “Suikoden-mania” jusque dans les milieux modestes. Le peintre KUNIYOSHI Utagawa, quelques années plus tard en fit une interprétation picturale plus colorée où l’on voit des héros recouverts de chatoyants motifs décoratifs. Ces peintures vont peu à peu bouleverser les codes visuels du tatouage et le rendre encore plus populaire dans les milieux souterrains mais aussi dans une certaine catégorie de jeunes idéalistes en mal d’aventure. Aujourd’hui encore, la plupart des motifs dis “traditionnels” sont issus des canons édictés à l’époque par KUNIYOSHI Utagawa.

Le commencement de l’ère Meiji à la fin du XIXe siècle sonna le glas du tatouage. Désireux de s’ouvrir sur le monde occidental et de moderniser le pays, l’empereur supprime ou interdit petit à petit tous les symboles de la féodalité agonisante. Le tatouage en fait partie, et comme un symbole infamant d’une barbarie passée il devient hors la loi.

C’est à cette époque d’ouverture que le monde découvrit le tatouage japonais par le biais de marins qui firent escale dans les grands ports nippons et purent aux hasards de leurs errances nocturnes rencontrer certains grands maîtres de cette période sombre de l’art intradermique. Cet art ne séduit d’ailleurs pas que les marins puisque des personnalités telles que les rois Edouard VII, Georges V, Georges 1er de Grèce et Frederik III de Prusse se firent tatouer lors de leurs voyages à Tokyo. Au début du 20e Siècle, le fort peu poète empereur HIRO HITO renforça même les lois anti-tatouages, dans le but avoué de lutter contre la criminalité et le délabrement des moeurs et il fallut attendre 1948 pour que les terribles lois en question soit abolies, en grande partie, et c’est bien là le seul avantage visible, grâce à la demande sans cesse grandissante des GI américains désireux de rapporter un petit souvenir corporel de leur séjour japonais.

Dans un mois, vous retrouverez sur notre site la suite de nos chroniques sur le tatouage au Japon.

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Le tatouage, un art japonais

Partie 1 : Définition et naissance d'un art

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Le Japon, ce petit groupe d’îles du Pacifique culturellement isolé par un bras de mer et une solide histoire militaire, entretient avec le tatouage une histoire en dent de scie, qui à l’instar des vieux couples, oscille entre amour et haine, fascination et répulsion. Appelé Irezumi ou Horimono, (Irezumi désignant plus spécifiquement les motifs traditionnels de taille importante et recouvrant une large partie du corps alors que Horimono, terme de moins en moins utilisé, désigne lui l’ensemble des styles), le tatouage nippon reste dans la conscience populaire l’apanage des Yakuza, et c’est lentement et non sans heurt que la barrière du tabou se désagrège à grand coup d’idoles calibrées MTV arborant quelque motif calibré et coloré, vaguement tribal et de mauvais goût . On est en droit de se demander si cette “évolution” en est vraiment une, elle contribue pourtant à lever petit à petit un interdit bicentenaire. Pour mieux comprendre cette étrange relation, offrons-nous une petite escapade au fil des grandes pages du livre de l’histoire du tatouage japonais.

Le tatouage : inscrit sur le visage du Japon

De récentes découvertes archéologiques montrent que les Ainu, le peuple originel de l’archipel, arboraient déjà des tatouages faciaux qui contrairement aux traditions Nord-Européennes n’étaient pas, semble-t-il, réservés aux seules castes guerrières mais utilisés comme une espèce de signe d’appartenance à un clan ou une profession et ce dès le début de l’ère Jomon (-10 000 à – 300 avant JC). Les recherches et la tradition orale parlent même d’une pratique de tatouage rituel sur les femmes mariées, qui après avoir convolé, se faisaient tatouer une sorte de moustache et de petite barbe. Des textes chinois des 3e et 4e Siècles, les Gishiwajinden, parlent même de pêcheurs japonais dont le corps était entièrement tatoué, faits recoupés par les découvertes de Dogu (figurines d’argiles) représentant des figures humaines dont le corps est orné de motifs. On retrouve ces témoignages sculptés durant toute l’ère Yayoi (-300-300) et Kofun (300-600). Il semble que cette pratique, alors commune et sans connotation, commence à décliner avec l’arrivée du Bouddhisme et du Confucianisme, philosophies religieuses héritées de la Chine où le tatouage est considéré comme une coutume barbare. Et bien que le Kojiki (712 après JC) pose les bases d’une codification du tatouage en faisant la distinction entre un tatouage “prestigieux” réservé aux héros et aux grands, et un tatouage “crapuleux” réservé, lui aux bandits et aux criminels, il faudra attendre l’ère Edo (1603-1868) pour que le tatouage refasse son entrée dans la culture populaire. Certes entre temps, on trouve quelques rares récits de combattants farouches et dermiquement ornementés, parfois même quelques dessins décrivant le plus souvent des marquages corporatistes, mais rien qui puisse inciter l’état à se pencher sur le problème. Notons tout de même qu’au 16e Siècle, certains clans, dont le clan Satsuma, se faisaient tatouer les symboles de leur famille sur les bras et le torse, non pas par fierté ou soumission, mais juste pour rendre possible l’identification des corps, les têtes étant souvent absentes et les armures volées, après les sanglantes batailles qui déchiraient le pays durant cette période.

Aparté sur les Yakuza : petite histoire de la pieuvre nippone

En temps de paix, le guerrier se morfond, s’empâte, alors pour palier à ce mortel ennui certains de ces guerriers sans maîtres se rassemblent en bandes de diverses importances. Les plus mémorables, car cruelles et sans pitié sont les Kabuki-Mono, meutes braillardes, bariolées et sanguinaires qui pillaient sans vergogne les villages même les plus pauvres, et qui arboraient des tenues et des masques effrayants pour semer la terreur chez leurs victimes. Le tatouage, de préférence bien glauque, étant devenu rapidement partie intégrante de leur “uniforme”. Contre ses agaçantes incursions dans leur patrimoine, voire dans leur espérance de vie, les villageois s’organisèrent en espèces de milices sous équipées et pas trop entraînées appelées Machi-Yakko. Petit à petit et ayant acquis la population à leur cause, ces milices de quartiers s’organisèrent en espèces d’organisations de “protection du citoyen” qui tournèrent très vite en organisations criminelles à l’instar de la Cosa Nostra en Sicile. Leurs membres se nommaient eux-même les Bakuto (joueurs) et les Tekiya (camelots), termes toujours utilisés de nos jours pour désigner les différentes catégories de “personnels”. Suivant les évolutions de la société japonaise, ils ont su s’adapter à toutes les époques et profiter des périodes de crise (et de guerre) pour asseoir un influence basée sur le meurtre, le racket, les trafics divers mais aussi sur des appuis politiques et policiers importants. Devenus entre temps les Yakuza (Du nom d’une combinaison de carte perdante au Oicho-Kabu, Ya-Ku-Za= 8-9-3, pour appuyer leur côté damnés de la terre et hors de la norme sociale). Les Yakuza voient aujourd’hui dans les Machi-Yakko leurs glorieux ancêtres, mais leurs méthodes, leurs tatouages et leurs codes sont plus à associer à ceux en vigueur chez les Kabuki-Mono dont il semble plus réaliste qu’ils furent les véritables instigateurs de ces sociétés souterraines, en noyautant les milices citadines en vue d’une reconversion moins dangereuse. Mais ça il ne faut pas leur dire trop fort.

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