En revanche ce n’est pas parce qu’on ne sait rien de la vie sexuelle de Tournesol ou des Dupondt qu’ils ne sont pas sexués ; et d’autant moins pour ces personnages qu’ils avaient des modèles masculins dans la vie réelle comme tu le sais. Ce sont plutôt deux très jeunes, comme Jo et Zette, qu’on pourrait appeler asexués.
Je crois que nous ne parlons pas des mêmes choses.
Ce que je veux dire, c’est que dans Tintin, ou Blake et Mortimer, les personnages principaux sont à l’image de leur fonction fictionnelle : ils ont la tête de l’emploi si tu préfères. A Tintin le job du jeune intrépide, à Haddock le job du faire valoir comique, à Tournesol celui du savant, aux Dupondt celui des comiques abrutis, etc. Chacun joue son rôle et n’en sort jamais.
Par “sexués” j’entends donc plutôt des personnages du type Nicky Larson ou Cobra. Note que le profil de “tombeur” n’apporte absolument rien à l’intrigue, à l’action. Idem pour les héroïnes hyper sexuées des BD d’action modernes. Alors certes il y avait un contexte éventuellement puritain, voire pudibond, mais intrinsèquement ça n’a absolument pas dévalué ou manqué aux ressorts scénaristiques pour de la BD d’action et d’aventure grand public (bien que visant plutôt des jeunes garçons).
Je vais y revenir pour cet album que je viens de finir de lire :
L’énigme de l’Atlantide (1957)
Ben on est loin de “Dossier A”, qui nous passionna tous deux ! Il y a des qualités, mais je vais commencer par les défauts qui me sautent aux yeux.
Le premier panorama de la capitale atlante, sur une case tronquée vers la hauteur, me paraît très faiblard venant de Jacobs ! Excepté pour 2 ou 3 engins volants, le Futuroscope de Poitiers est bien plus impressionnant. Mais bon, c’est meilleur par la suite.
Ah ah ah ! J’imagine ta déception ! ^^
Oui, cette Atlantide qui se voudrait aussi vaste que tout le fond de l’océan est bien vide et fade. L’album semble se chercher, tantôt lorgnant du côté de Verne et son Voyage vers le centre de la Terre, tantôt vers les Indes Noires du même Verne, tantôt vers un manque manifeste d’inspiration dû peut-être à une ambition trop grande compte tenu du sujet atlante maintes fois revisité…
On remarque (mais là je ne jette pas la pierre à l’auteur, c’était l’époque et le contexte qui le voulaient) l’absence de toute femme, que ce soit dans les îles Açores ou dans les foules d’Atlantes comme de Barbares. Mieux : le prince Icare, qu’on peut croire d’abord le fils du Basileus, est révélé ensuite comme son neveu, ce qui dispense de montrer une reine siégeant au côté du souverain, lequel peut très bien ainsi être célibataire ! Il ne s’agit donc pas, cher et estimé Bub, d’une simple mise à l’écart de toute intrigue sentimentale (qui certes ralentirait ou perturberait l’action et son rythme) mais bien d’une invisibilité complète de l’élément féminin.
Oh bah si ! Tiens, en voilà quelques unes dès la première page ! 😉
Bon en effet, elles courent pas les rues et n’ont pas même un rôle de figurante interagissant avec les héros (genre une hôtesse de l’air).
Mais pour ma part ça m’importe peu dans le fond : l’intérêt c’est l’aventure, l’exploration, pas le développement d’intrigues sentimentales. Que dans les années 50 les rôles d’aventuriers soient dévolus systématiquement à des figures masculines, on peut s’en agacer mais franchement ça ne change rien au fond.
Or c’est plutôt le fond ici qui serait plus reprochable, la grandiose cité atlante n’étant pas à la hauteur des attentes.
Pas un hasard si c’est le “jeune” Franquin, le tout premier je crois, qui mêla avec un peu de récurrence une jeune fille, Seccotine, à quelques aventures de Spirou et Fantasio (“La Corne de Rhinocéros”, 1953, et qq autres albums). Encore son nom de “collante” reste t-il tout un sous-entendu misogyne…
Comme je disais, Bob de Moor avait flanqué son personnage Barilla d’une vraie amie dès 1950 (il me semble, ou 1952…). Mais le type de récit, comique et donc plus propice aux développement des caractères des personnages et donc des rapports sentimentaux, le permettait.
Mais oui, tu as raison, sur la censure, la mentalité de l’époque, tout ça.
Marrant, cet article semble dire que ce serait du fait d’une loi votée en 1949 après un rapprochement entre les catholiques et… les communistes !
Revenant à l’album de E.P. Jacobs, il choisit de dater la catastrophe selon la vieille erreur de lecture du texte grec : -12000. Ce qui n’a pas de sens, car les sociétés humaines de cette époque n’étaient faites que de chasseurs-cueilleurs suivant le gibier, bien avant les premiers villages, aucun “empire” stable ne pouvant donc s’établir. Pourtant Jacobs en décorant l’Atlantide selon l’art crétois montre qu’il connaissait l’hypothèse (admise depuis) d’un souvenir dans le “Critias” de la destruction de l’empire minoen par l’explosion de Santorin, vers -1500/-1450. Quant aux Barbares, ils démarquent étroitement par leur architecture et leurs vêtements un mixage des Incas et des Toltèques. Why not, old chap ? Mais au total c’est un banal péplum invraisemblablement mouvementé et manichéen. Heureusement, il y a la fin, qui ménage et réussit un beau cliffhanger, avec magnifiques planches du départ des étranges astronefs des Atlantes.
D’accord avec toi !
A mon avis Hergé était bien moins fort que Jacobs pour créer des “cases-tableaux” inoubliables, mais beaucoup plus solide en narration cohérente et originale, sans parler de son humour.
Si si, Hergé savait aussi réaliser des cases-tableaux d’une puissance évocatrice incroyable ! Au hasard :
Et je ne parle même pas des cases sophistiquées qui présentent plusieurs niveaux de lecture :
Certainement son passé de publicitaire et son goût pour la peinture qui ont énormément joué. Maintenant, ces cases constituent comme des pauses dans le récit, qui “souffle” le temps d’une image avant de repartir de plus belle.
Jacobs, lui, déroule son récit à la fois dans les incipits qui accompagnent quasiment CHAQUE cases, tenant plus de l’illustration qu’autre chose. D’où cette différence de rythme de narration.