Avant tout, une petite explication sur le titre !
Quand on se penche un peu sur la production de Nagai-sensei, on remarque aisément un fil directeur dans la majorité de ses oeuvres : La violence, les démons et l'enfer en règle générale.
Il n'y a pas que cela, bien évidemment, mais ce triptyque est assez proéminent pour qu'on en vienne à se demander quel parcours a bien pu suivre le Maître pour créer un tel pandémonium dans le paysage du manga alors encore assez sage, en comparaison de ce qu'il apporta alors.
Dès son plus jeune âge, Gô Nagai rêve de démons “velus et griffus” évoluant à l'époque du Japon médiéval. Mais s'il ne suffisait que de faire des cauchemars de ce genre, Devilman aurait été créé bien plus tôt !
Le fait est que Gô Nagai n'a pas eu une enfance merveilleuse. Il perdit son père à l'âge de seize ans, ce qui l'affecta au point qu'il sombra dans un mutisme total, se recroquevillant dans son petit monde, duquel son frère réussit tant bien que mal à le tirer. Il n'a alors qu'une seule passion, les manga, et structure sa vie en fonction d'une carrière dans le milieu. Il sera mangaka, ou rien !
Après avoir échoué à de multiples examens d'entrée en fac, il continue de dessiner, encore et encore. Est-ce à cause de cette détermination sans bornes ? Toujours est-il qu'il tomba malade et perdit alors 15 kilos en un mois. Sa famille crut à un cancer des intestins, et ne lui donna que deux à trois mois à vivre. Il se fit alors la promesse suivante : S'il s'en sort, rien ni personne ne l'empêchera de faire ce qu'il a toujours voulu faire, du dessin.
Peu de temps après, son travail (Kuro no Shishi, Terminator avant l'heure !) est remarqué. Il devient alors assistant du grand Shotarô Ishinomori. Le rythme fut dur, et beaucoup d'autres assistants n'arrivaient pas à suivre, mais lui persévérait !
Après plus de deux ans à travailler aux côtés de Maître Ishinomori, il se lança dans ses propres titres. Des manga humoristiques d'abord. Seulement, il se trouva assez vite cloisonné, ne pouvant pas user de sexe et de violence dans ce genre de titres, même s'il réussit à distiller quelques pointes d'humour noir dans ses oeuvres.
Avec l'apparition du Shônen Jump de la Shûeisha, il profita de la recherche d'auteurs et de liberté de ton du magazine pour se lancer alors dans le genre de titre qu'il avait envie de dessiner : Harenchi Gakuen (inspiré par l'affiche d'un film pornographique de l'époque, Sei no Harenchi). C'est avec ce titre qu'il accède à la popularité !
Voilà l'apparition du Gô Nagai grivois et hédoniste !
C'est avec ce succès, et la demande croissante du public, qu'il créé son studio Dynamic Productions, en 1970, à l'âge de 25 ans ! Un succès qui lui apporta l'indépendance et la liberté de décider du ton de ses histoires.
Il rencontra Ken Ishikawa à cette époque, futur auteur de la trilogie Getter Robot.
Il faut aussi souligner que Gô Nagai est le premier auteur qui réussit à imposer un personnage féminin comme héros d'un manga shônen, avec Abashiri Ikka (1969 – Weekly Shônen Champion), et son héroïne Kiku no Suke.
C'est à partir de 1970 que son Pandémonium prend forme. D'abord avec Oni, premier essai dans un univers de démons et de manipulations génétiques. Un démon créé par les hommes, et qui finit par se retourner contre eux.
Hasard, ou nouvelle malédiction ? Dès qu'il commença à dessiner ses planches, il tomba subitement malade, atteint de fortes fièvres. Il parvint malgré tout à se ressaisir, et le succès fut au rendez-vous.
Mahô Dante suivit (début 1971 dans le Bokura de la Kôdansha). Un titre jamais terminé, mais qui laissa place à l'une des oeuvres majeures de l'auteur : Devilman (1972 – Shônen Magazine).
Voilà un titre qui coûta beaucoup de forces à Gô Nagai. Il le dit lui-même :
“Dessiner des petites histoires humoristiques était très relaxant, mais dès lors que j'ai dessiné des histoires plus sombres, ou alors avec des démons, cela a changé du tout au tout : Dessiner des histoires sombres me demandait énormément d'énergie et d'efforts. J'avais l'impression à chaque fois de pousser une porte donnant sur une autre dimension. J'étais littéralement crevé, vidé de toute mon énergie.“
C'est pour cette raison qu'il laissa de coté un temps ses démons, et qu'il s’attela à ce qui a fait son autre succès, les robots géants. Mazinger Z vit le jour !
Il soumit alors son projet à Tôei Animation, qui n'attendit même pas la sortie du manga pour mettre le projet en chantier.
Arrivé à la fin de Devilman, il s'inspira des héros de l'un de ses auteurs phares de son enfance, Shirato Sampei, pour créer une oeuvre post-apocalyptique d'envergure, Violence Jack !
Le titre fut si violent que les éditeurs, craignant de nouvelles plaintes des ligues de vertu japonaises (qui ne portent pas Gô Nagai dans leur coeur), lui demandèrent d'arrêter cette série. Rien à faire, Gô Nagai continua, arguant que le monde décrit est sans foi ni loi, et qu'il ne peut passer outre la démonstration de violence.
Pour beaucoup de lecteurs du maître, Violence Jack est encore aujourd'hui le pinacle de son édifice infernal.
Sa série la plus violente, mais aussi la plus volumineuse (dix volumes de 900 pages chacun, dessinés entre 1973 et 1992), et la plus référencée à l'univers de Gô Nagai !
Cutey Honey fit ensuite son apparition ! Mais juste le temps de deux petits volumes… Qu'importe, la série a généré de nombreuses adaptations, plus ou moins réussies, mais également un film en prise de vue réelles absolument réussi, assumant sans aucune honte ni retenue ses origines coquines et grandiloquentes !
C'est ensuite le retour aux oeuvres démoniaques, et encore une fois, étonnant hasard, aux souffrances physiques les accompagnant. Ainsi, en créant Shuten Doji, Gô Nagai est à nouveau atteint de crises de malaise et de fortes fièvres. Des photo prises montreraient mêmes d'étranges brumes en forme de têtes de mort autour de sa personne ! Et sa mère aperçut des “feux follets” flottant au-dessus du lit parental ! Un comble pour l'auteur qui affirme ne pas croire un instant aux fantômes !
Ces accumulations d'évènements l'amènent ainsi à croire qu'il est, d'une façon ou d'une autre, lié au monde occulte, et que ces “démons” ont à plusieurs reprises dirigé sa vie.
Susano-Ô, sa série suivante, elle aussi pleine de démons, remporta un grand succès, et fut même récompensée par un grand prix décerné par les lecteurs, devant des concurrents de renommée tels que Ishinomori, Itsuki Kajiwara et Fujio Akatsuka.
C'est la reconnaissance, et les adaptations télévisées se multiplient, avec de nombreux succès (Mazinger Z et Devilman en tête) !
Source : Pierre Giner – Animeland Hors-série N°1 Spécial Gô Nagai
Passé ce court résumé d'une vie bien remplie, il est enfin temps de célébrer le retour sur nos étals des oeuvres de l'auteur !
A commencer par Devilman !
Le revoilà parmi nous, le mythique Devilman de Gô Nagai, sorti chez Black Box ! 😀
J'avais acheté la première édition chez Dynamic Vision à l'époque de ma première (et dernière) année de Fac, au début des années 2000, mais à l'époque, côté finances, j'étais juste… trop juste, et du coup je n'avais pas pu acheter le dernier tome, et vu que la série est vite devenue introuvable, je ne l'ai jamais retrouvé.
De plus, l'édition Dynamic ne comportait pas l'intégrale de la série, bizarrement, et se retrouvait amputée de plusieurs chapitres (notamment dans le volume 3), malgré des couvertures divines !
Là, c'est bon, on a droit à l'intégrale, et comme tout ce qui vient de Gô Nagai est indispensable (et trop rare en France), en particulier Devilman (et Violence Jack, mais là je rêve ! ^^), c'est un achat que je recommande à tous ceux qui veulent en apprendre un peu plus sur les manga !
On sort des sentiers battus avec le père Nagai, qui exorcise ses démons personnels en dessinant ses histoires. Résultat, chacune de ses oeuvres donne réellement l'impression d'être hantée par un de ces esprits malveillants auxquels Gô Nagai semble toujours se confronter au cours de sa vie. Il faut lire du Gô Nagai pour le croire ! C'est un style inimitable et qui a emballé de nombreuses générations de lecteurs !
Autrement, je recommande aussi le one-shot Goldorak (à ne pas confondre avec la série en cinq tomes, sortie également chez Dynamic il y a une dizaine d'années, avec de bien plus belles couvertures, mais qui ne représentaient pas le contenu), autre oeuvre connue de l'auteur, qui malgré son statut d'oeuvre de commande, est quand même très marquée par le côté sombre et presque nihiliste de l'auteur (bien plus sombre que le dessin animé, mais vraiment vraiment bien plus sombre et glauque) ! A lire absolument, pour avoir un autre regard sur les forces de Vega !
Enfin, si tout va bien, et si je ne me trompe pas, Isan Manga sort cette semaine un volume unique rassemblant toute la (courte) série Cutey Honey, pour une trentaine d'euros ! 😃
Voilà une autre facette de Gô Nagai, plus coquine et grivoise que glauque, bien qu'il y ait toujours de la bonne baston qui tache !
Autre bonne nouvelle, encore du côté de Black Box, l'arrivée en novembre des six volumes de Amon – The dark side of Devilman !
J'avais carrément oublié la liste donnée par l'éditeur sur Manga News en décembre dernier, et c'est en arrivant à la fin du premier volume de Devilman que je vois toutes les couvertures de ce titre ! Je saute de joie ! 😃
Et il faudra aussi compter sur La Divine Comédie d'ici à septembre ! 😃
Les oeuvres de Gô Nagai sont trop rares par chez nous pour que vous passiez à côté de tels titres ! Je le répète, indispensables !
"With the first link, the chain is forged. The first speech censured, the first thought forbidden, the first freedom denied, chains us all irrevocably." -Jean-Luc Picard
Star Trek - The Next Generation / The Drumhead