Citation (Lord Yupa @ 11/04/2010, 22:12)
Je tiens à soutenir cet excellent topic de Bub, et ce limier habile, quoique rond-de-cuir (nul n'est parfait) nous a déniché là deux beaux exemples.
Nous, les ronds-de-cuir… 😛
Blague à part, j'ai envie de parler de ça :
L'île Panorama, adaptation de Suehiro Maruo du roman éponyme écrit au début du XXème siècle par Ranpo Edogawa, est une curiosité ma foi qui se laisse lire sans déplaisir.
Ou plus précisément, qui exerce une fascination notable sur le lecteur.
J'ai pas lu l'article dans AL, donc j'ignore ce qui en a été dit, et je me contenterai d'en donner ici mes propres impressions, même si j'ai lu le manga dans des conditions pas kikoolol et un peu survolé tout ça.
L'histoire nous conte l'improbable plan d'un aspirant romancier visant à prendre la place d'un millionnaire décédé depuis peu, son parfait sosie. Son but est de profiter des richesses et de la puissance du jeune magnat japonais pour créer une île idéale, qui serait une sorte de Paradis terrestre.
Les premiers chapitres développent la mini-intrigue consistant à l'échange des rôles, le gros du volume (2/3) étant lui consacré à la contemplation de cette île hors du commun.
Je passe rapidement sur les analyses possibles à tirer des premiers chapitres, sur l'échange des rôles entre un aspirant écrivain raté et son parfait antagoniste millionnaire. Je dirais juste que cette première partie est franchement moyenne. Peut-être que dans le roman original le côté troublant de la situation ressort mieux, j'en sais rien, mais jai eu du mal à rentrer dedans, tant cela me paraissait peu crédible et simpliste.
Edogawa était un auteur de polars, je suppose donc qu'élaborer ce genre de scénario rationnel, fondé sur un mobile particulier (la réalisation d'un rêve fou), est plus académique qu'une intrigue mâtinée de fantastique (à vrai dire, l'échange en lui-même, dans cette adaptation manga, est très superficiel, dans le sens où l'histoire n'aurait pas souffert de l'inexistence de ce fait : le millionnaire aurait très bien pu lui-même fonder cette île merveilleuse, mais cela aurait moins collé avec la vision rationaliste d'un auteur de polar). Bref, ce point mis à part, la suite se lit sans déplaisir aucun.
Le personnage clef de l'intrigue se trouve être la veuve du millionnaire. Mais son rôle est absolument passif : elle ne fait que suivre les événements de bout en bout du récit, elle est complètement effacée, au sens propre comme au sens figuré au final.
On suit donc cette femme et son faux mari, à travers les dédales de cette île insensée, fruit de la délirante vision d'un jeune romancier envouté par les utopies.
Cette île est le reflet d'une âme tourmentée, d'un homme passé à côté de sa vie et dont toutes les obsessions éclatent au grand jour : envie de puissance (il se prend pour un démiurge), envie irréfrénée de sexe (les servantes se promènent nues sur l'île, immédiatement disponibles pour répondre aux pulsions du maître), envie d'immortalité (il n'y a que des jeunes sur l'île, beaux), etc.
L'île Panorama porte bien son nom, c'est un monde d'illusions, de jeux. Un lieu de fuite pour un esprit corrompu qui a cru réaliser les utopies des philosophes qu'il admirait. Mais sa Création n'est que du vent, la supercherie très vite découverte, le sang va couler. Le héros qui s'est cru au-dessus des grands esprits philosophiques, dont les pensées et écrits sont immortels, va disparaître littéralement en fumée : de lui il ne restera rien, car le comble pour l'écrivain qu'il était est d'être devenu à ce point un être engoncé dans les désirs de sa chair, au point qu'à la fin, celle-ci sera logiquement pulvérisée dans un feu d'artifice final.
Autre chose qui frappe le lecteur : la beauté, la précision du trait de l'auteur. C'est vraiment très réussi, et l'intérêt de ce titre se situe surtout là : Suehiro a su très bien retranscrire l'incroyable irréalité de cette île, sa fascinante perfection esthétique, ses fantasmes érotiques sophistiqués.
En somme, un bon titre, sur lequel il y a beaucoup plus à dire que ce que j'en ai écrit aujourd'hui.
Un lien intéressant sur l'oeuvre originale : clique-moi !
Et pour l'anecdote, Wikipédia nous apprend que Ranpo Edogawa a inspiré le nom du personnage de Conan Edogawa, de Detective Conan, Ran étant elle par celui de Ranpo. Quant au détective Kogoro ce serait un personnage des romans d'edogawa.