Dark Detective
Steve Englehart (Scénario) – Marshall Rogers – Walt Simonson – Sal Amendola – Javier Pullido (Dessin)
"Les couteaux luisent au fond des bars, et des cris sauvages s'élèvent en vain dans le tumulte de la cité ! Et Batman rôde…"
Dark Detective regroupe deux histoires du Chevalier Noir étalées sur plusieurs chapitres, séparées par une trentaine d'années (1977 et 2005), mais liées entre elles.
Les deux périodes sont précédées par une histoire en un chapitre chacune.
Dans la première (1974), Batman assiste à un braquage de banque qui se termine par la mort des parents d'un jeune garçon. Alors que ces actes odieux lui rappellent son passé, le Chevalier Noir entre dans une colère sourde et poursuit inlassablement les malfaiteurs. Le justicier implacable les traque sans dire un seul mot de tout le chapitre. Impressionnant, puissant, une intro efficace !
Si Neal Adams et Dennis O'Neil ont établit le Batman-sombre-détective-qui-broie-du-noir, tel qu'on le connaît encore aujourd'hui, Steve Englehart, en racontant une histoire mixant plusieurs éléments, et en faisant intervenir plusieurs personnages sur plusieurs chapitres, installe quant à lui le concept des histoires-fleuves chez DC, s'étalant sur plusieurs numéros.
Ici, il étrenne la chose en faisant de la croisade judiciaire de Rupert Thorne contre Batman, et de la relation entre Bruce Wayne et Silver St Cloud, le fil rouge de cette première période.
En l'espace de huit chapitres, les intrigues se croisent et s'entrecroisent. Hugo Strange découvre la véritable identité de Batman et espère en tirer un profit financier en le vendant à quelques malfrats réputés, qui ne tarderont pas à le lui faire regretter.
Deadshot fait son retour et subit une modernisation de son look, qui fait toujours école aujourd'hui. Thorne conspire contre Batman et l'implication de Strange sera pour lui source de bien plus de problèmes que de profits. Et enfin, le Joker hante les premiers chapitres de son rire lugubre avant d'entrer réellement en scène et de faire montre une fois de plus de son esprit maléfique et dérangé, dans une histoire qui fit date : The Laughing Fish.
Si l'on peut regretter que ce premier essai se termine assez platement, compte tenu des enjeux (surtout en ce qui concerne Thorne), il n'en reste pas moins que tous les chapitres s'imbriquent parfaitement l'un dans l'autre. La maîtrise est telle que chaque chapitre peut se lire individuellement sans problème, mais forme également la partie essentielle d'un tout cohérent.
A noter que l'histoire centrée sur le Joker fait habilement référence à sa première apparition, dans Batman #1 de 1940.
Dans le chapitre introductif de la seconde période (2000), Bruce Wayne débute sa carrière de justicier (ambiance Year One), et pense encore pouvoir concilier sa vie amoureuse avec celle du Batman. Cette histoire fait une parfaite introduction à l'intrigue de la seconde période.
Et pour cause. Moins riche et variée que la première période, cette seconde partie ne semble avoir été écrite par Englehart que pour démontrer une chose : Batman n'est pas destiné aux romances et histoires d'amour heureuses.
A l'image du prélude, Bruce Wayne finit par comprendre qu'il ne peut pas avoir deux vies. Il doit choisir entre être Batman ou Bruce Wayne à plein temps, plutôt que ce jeune milliardaire excentrique qui ne fait que détourner l'attention sur le véritable visage, la véritable personnalité de Wayne. La justice ou la femme.
D'ailleurs, je vais m'attarder un peu sur un des sujets principaux dans Dark Detective, Silver St Cloud.
Je me suis souvent demandé pourquoi je n'aimais pas ce personnage, et en parcourant à nouveau l'ensemble du recueil, j'ai compris. Silver est creuse.
On a beau montrer au lecteur qu'elle a une vie personnelle le temps d'un chapitre, cette histoire d'organisatrice de conventions semble avoir été trouvée à la dernière minute (et ne sera du reste jamais plus évoquée par la suite). Tous les autres chapitres la faisant intervenir (c'est-à-dire tous les autres chapitres depuis son apparition) ne montrent qu'une seule chose, la Silver St Cloud qui se fait belle pour les galas. Elle donne alors l'impression de n'être qu'une croqueuse de diamants superficielle et vénale, à la recherche d'un bon parti, ou plus exactement en quête d'hommes d'influence, de pouvoir.
Ses atermoiements, ses apitoiements ne sont pour le coup jamais crédibles, et ses soupçons, puis ses certitudes sur l'identité du Batman ont beau lui donner une certaine épaisseur, l'illusion ne tient guère longtemps. Silver St Cloud n'a aucune personnalité et ne semble mue que par son attrait pour les hommes de pouvoir.
Suite plus ou moins directe de la première période, la continuité pousse Englehart à faire de Batman un ennemi de la police, mais la chose n'a pas autant de poids sur l'intrigue, compte tenu de l'absence de Thorne et du commissaire Gordon.
Le Joker nous sort une resucée de la première période, en gardant en tête une idée fixe qui n'a aucune chance de se réaliser (ici se présenter au poste de gouverneur) et qui n'est qu'un prétexte pour tuer des gens, prouvant par-là même son statut de psychopathe, agent du chaos qui n'a pour seule exigence que d'avoir le Batman qui vienne mettre un terme à ses agissements. Un jeu pervers qui lui permet de donner un sens à sa vie. Véritable et unique danger de cette seconde période, le Joker a beau faire dans le redondant, il reste l'attraction la plus intéressante de l'histoire.
La présence de l'épouvantail et de Double-Face n'a pas autant d'emprise sur l'histoire que ce que l'on pouvait avoir dans la première période. L'équilibre est à ce sujet très bancal. Si les hallucinations causées par l'épouvantail sur Batman permettent au moins d'explorer la psyché de ce dernier (intéressant mais néanmoins hors-sujet), on se demande quel est l'intérêt d'intégrer Double-Face dans le récit, et encore plus cette histoire de clones qui n'a aucun retentissement dans l'histoire principale.
Dans l'ensemble, Dark Detective reste une oeuvre essentielle, aussi bien dans le fond que la forme. L'aspect psychologique est bien plus développé et la continuité s'établit à travers les arcs narratifs développés sur plusieurs chapitres, installant définitivement les Batman et Joker modernes initiés par Adams et O'Neil.
"With the first link, the chain is forged. The first speech censured, the first thought forbidden, the first freedom denied, chains us all irrevocably." -Jean-Luc Picard
Star Trek - The Next Generation / The Drumhead