Shazam
Geoff Johns – Gary Frank
"Tes pouvoirs sont grands. Tu voles, tu es fort. Tu peux lancer des sorts. Tu dois apprendre… veiller… sur ta famille, comme j'aurais dû le faire."
Aux quatre coins du monde, une quarantaine de personnes ont été enlevées, ou plutôt téléportées à différents moments vers un lieu inconnu, dans lequel un vieil homme leur posa quelques questions avant de finalement les juger indignes et de les renvoyer chez elles comme elles sont venues. Dans son repaire, le docteur Sivana fait d'actives recherches sur la légende d'Adam le Noir et relie ces disparitions avec cette légende, ainsi qu'un mot mystérieux, Shazam.
En trouvant plus tard le tombeau d'Adam, Sivana acquiert un mystérieux pouvoir, et réveille en même temps Black Adam, qui ne cherche alors qu'une seule chose, s'emparer du pouvoir absolu et se débarrasser des autres héritiers du pouvoir de Shazam, afin de livrer sa propre vision de la justice. Avec Sivana, il découvre le monde moderne et s'aperçoit vite qu'il n'a pas tellement changé en l'espace de plusieurs milliers d'années : Les puissants abusent des faibles.
A Philadelphie, Billy Batson rencontre de potentiels parents adoptifs. Ce jeune orphelin de quinze ans est trimballé d'une maison d'accueil à l'autre, à cause de son caractère très turbulent. Après quelques mésaventures avec un riche père de famille qui prend plaisir à persécuter sa nouvelle famille adoptive, Billy finit par atterrir à son tour dans un lieu inconnu, appelé le Rocher d'éternité, et se voit offrir dans l'urgence les pouvoirs de Shazam.
Avec Freddy, un de ses frères d'adoption, il découvre peu à peu ses pouvoirs. Si au début il s'en sert pour son profit, il comprend peu à peu que la nature même de ce pouvoir le pousse à se trouver là où la vie de personnes est en danger.
Billy et Adam finiront par se rencontrer, et les deux champions du rocher d'éternité se livreront un duel qui déterminera du vrai héritier de Shazam.
Plus que l'histoire du super héros Captain Marvel / Shazam, c'est au jeune Billy Batson que Geoff Johns et Gary Frank s'intéressent le plus. Ce jeune orphelin vit à la dure et s'est forgé une carapace de dureté et de cynisme, préférant se couper du reste du monde pour éviter d'avoir à en souffrir, et n'ayant pour seul ami que Tawny, tigre de zoo et dernier lien qui lui reste avec ses parents, au travers d'une photo. Shazam raconte l'histoire d'un jeune garçon qui, en même temps qu'il apprendra à gérer ses pouvoirs, apprendra également à s'ouvrir et faire confiance à son entourage proche, et ainsi à se construire une vraie famille.
Geoff Johns prend un plaisir évident à mixer nombre d'éléments qui ont caractérisé les aventures du Captain Marvel originel, tout en insufflant à son personnage central un caractère totalement aux antipodes de la première version, étonnant contraste entre le Billy Batson des origines et celui développé par Johns.
Cependant, Johns ne cherche pas à s'éloigner de ce qu'est Billy Batson in fine.
Certes, le jeune orphelin n'est plus ce gamin positif, altruiste et résolument optimiste, mais il reste ce jeune adolescent blessé très tôt par la vie, courageux et juste, au final, et ne supportant pas les brutes. Billy n'est pas un mauvais garçon, mais il s'est tellement endurci qu'il heurte les autres plus qu'il ne le souhaite vraiment.
Constamment rejeté, mais également constamment à la recherche de sa famille, il finit par s'en trouver une, et ce avant même d'obtenir ses pouvoirs magiques. Mais ce Deus Ex-Machina a néanmoins une véritable influence sur son changement progressif de caractère, lorsqu'il finit par comprendre qu'il n'est plus obligé d'endurer une telle solitude, et qu'il peut tout partager avec ses nouveaux frères et soeurs !
Si Shazam raconte d'abord l'histoire de Billy Batson, il prend aussi en compte ses principales Némésis, Black Adam et Sivana.
Si les réelles motivations du Docteur Sivana restent longtemps obscures (jusqu'à la toute dernière page), sa recherche avide du contrôle de la magie l'amène à s'allier avec Black Adam, et montre qu'il ne reculera devant aucun sacrifice pour accéder à ses désirs.
Black Adam, vilain le plus emblématique de l'univers du Captain Marvel, est quant à lui créé d'un seul bloc. Bien plus direct et franc du collier, tout ce qui l'a amené à devenir ce qu'il est nous est révélé ici. Personnage Shakespearien par excellence, son caractère définit sa propre tragédie. Sans être un reflet négatif du héros, il en représente plutôt une vision difforme de la justice, la vengeance et la façon dont cette dernière transforme celui qui ne vit que pour elle en ce qu'il hait le plus, en ce qu'il combattait jadis.
Black Adam est un héros perdu, et ce dès le moment où il a accueilli ses pouvoirs, là où Billy Batson suit le chemin inverse et trouve son salut par la magie de l'éclair.
Geoff Johns a choisi de ne pas révéler ici la nature du pouvoir de Shazam, c'est-à-dire les forces empruntées à 6 divinités ou figures héroïques légendaires, caractérisées par les initiales des figures, formant le mot magique SHAZAM (à savoir, dans le cas de Billy, la sagesse de Salomon, la force d'Hercule, l'endurance d'Atlas, le pouvoir de Zeus, le courage d'Achille, la vitesse de Mercure).
Un "oubli" dont on pourra s'étonner, dès lors qu'il s'agit ici d'une histoire d'origines, mais qui reste compréhensible au vu des évènements précipités (ce qui est en soi aussi explicable, en partie, par la nature même de la publication de cette histoire, complément à chaque numéro de Justice League, ne se formant que par chapitres d'une douzaine de pages). De plus, il s'agit ici de surtout s'attarder sur Billy Batson plutôt que son alter ego super-héroïque. Et peut-être, du coup, qu'évoquer la sagesse de Salomon comme l'un des pouvoirs de ce Shazam insolent paraît hors de propos ! Cela étant dit, ce n'est pas Geoff Johns qui a le premier inventé un Captain Marvel qui garde le même caractère que sa version enfantine.
Il y a à ce sujet deux écoles autour de la personnalité de Billy / Shazam :
– La première part du principe que Captain Marvel est une version adulte de Billy (comme on peut le voir dans le Kingdom Come de Waid et Ross, par exemple, ou encore dans les anime Justice League Unlimited ou Young Justice)
– La seconde opte plutôt pour deux personnages totalement différents (comme il est montré dans le Dark Knight Strikes Again de Miller)
Geoff Johns part donc du principe le plus utilisé (notamment en version animée) en faisant de Shazam, sans ambiguïté aucune, la version adulte de Billy. A ce sujet, il faut apporter à Gary Frank tout le crédit sur ce choix, puisqu'il maîtrise parfaitement le vieillissement accéléré. Impossible de ne pas reconnaître dans son trait Billy Batson avec quinze ans de plus au compteur !
Et puisqu'on parle de Gary Frank, autant aborder la partie graphique. Le Monsieur Frank est toujours aussi bon dans son domaine ! Grandes cases, avec de régulières splash-pages, dynamiques et riches en traits et couleurs. Mais c'est surtout dans la représentation des visages qu'il excelle, le bonhomme ! Il n'y a pas deux personnages qui se ressemblent.
Comme ils le firent quelques années plus tôt avec Superman, Geoff Johns et Gary Frank, un duo gagnant (auteurs de Superman – Secret Origin et d'autres histoires de l'Homme d'Acier, dans la collection Geoff Johns présente Superman, et de Batman – Terre Un), apportent une nouvelle origine à Shazam, en mixant un paquet d'histoires précédentes ensemble, remodelant certains aspects et en redéfinissant d'autres.
Si certains choix ne plairont pas à tous, il faut néanmoins reconnaître que Johns assume jusqu'au bout son idée et réussit à la développer intelligemment, faisant des pouvoirs de Billy Batson le sujet d'une savante réflexion à coups de métaphores (pas toujours subtiles, mais pas idiotes pour autant) sur la famille, l'éducation, l'amûr, et par-dessus tout, l'importance de profiter de sa jeunesse.
Parce que, reconnaissons-le, dans la vie comme c'est le cas dans cette histoire, 98% des adultes craignent. Un max.
"With the first link, the chain is forged. The first speech censured, the first thought forbidden, the first freedom denied, chains us all irrevocably." -Jean-Luc Picard
Star Trek - The Next Generation / The Drumhead