Après, il est évident que son trait, si on le compare à des modernes comme Urasawa ou Clamp apparaît vieillot, hâtif, grossier, voire naïf.
Sans aller aussi loin, il faut tout de même reconnaître qu’on accepte beaucoup de choses chez Tezuka qu’on ne tolèrerait pas chez nos contemporains.
Choses que l’on a tout même aussi accepté chez des auteurs comme Go Nagai ou Fujiko F. Fujio par exemple. Faudrait voir à ne pas trop éxagérer sur la remise en cause du talent de Tezuka.
Ainsi, il dessine sans cesse les mêmes types de personnages (M. Moustache, M. Lampe, le jeune premier, M. Gros nez) qui sont comme des acteurs fétiches.
Pour moi, c’est plus un défaut qu’une qualité, surtout que ce n’est pas toujours approprié (quand Mr. Moustache est apparu dans le thriller réaliste MW, ça m’a coupé en pleine action).
Un défaut ? Pourquoi aller lui repprocher quelque chose que des auteurs comme Leiji Matsumoto, Hojo, Adachi, Go Nagai, Rumiko Takahashi ne cessent d’user, de re-user sans cesse ?
Avant d’avancer hardiment qu’il s’agit d’un “défaut”, je voudrais qu’on développe un peu plus cet artifice que l’on retrouve chez nombres d’auteurs qui ont eu la chance de connaître une longue carrière et de publier beaucoup de titres.
Quand un auteur fait intervenir un personnage de façon récurrente, ou à contre-emploi, il s’agit d’un artifice particulier destiné à produire un effet précis. A charge au critique de deviner lequel et de l’apprécier à sa juste valeur et de ne pas en conclure précipitamment que ce n’est pas “approprié”.
Il est vain de comparer et de mesurer Tezuka aux modernes, comme il est vain de comparer le cinéma muet au cinéma parlant.
… Mais il est amusant de comparer Tezuka au cinéma muet… Lui aussi semble voué à disparaître et ne plus intéresser personne ^^ ;;;
Ah bon ? Et pourquoi ?
S’il est certain que l’ensemble de son oeuvre ne restera pas dans les mémoires, il faut en revanche m’expliquer en quoi tezuka est destiné à disparaître complètement…
Tezuka a aussi énormément publié. Les chefs d’œuvres absolus (Phénix) côtoient des œuvres dispensables (Vampires) souvent purement alimentaires. Enfin bon, même P. K Dick a écrit d’exécrables navets pour payer ses impôts alors je ne lui jetterai pas la pierre…
Encore une fois, on est beaucoup moins tolérant avec les œuvres alimentaires des auteurs modernes…
Encore heureux ! Les auteurs des années 40/50 ne se sont jamais non plus vantés de faire du 9ème art ! Quand en France les auteurs de BD se bourrent le mou en clamant haut et fort qu’ils ne dessinent pas des petits Mickey, ils doivent s’attendre à ce que l’on ne leur pardonne pas de produire des oeuvres médiocres et faciles. C’est la voie qu’ont choisi les franco-belges, celle d’une BD élitiste, s’ils voulaient faire de la BD de masse, ils n’avaient qu’à assumer le côté alimentaire de leur production.
Tezuka met souvent en scène des personnages arrogants, cruels, vicieux (le héros de MW, irradié par des déchets militaires américains, est un des pires qu’il imagina).
Oui, enfin… Ses « méchants » sont rarement ambigus. Son traitement est très manichéen, et ça manque quand même de subtilité et de finesse…
Ah bon ? replacé dans le contexte de l’époque, tu peux me citer des oeuvres qui ne manqueraient pas de finesse et de subtilité ? Tezuka a eu une formation de médecin, pas de lettres modernes. Partant de là, au sortir d’une guerre qui a durablement marqué les esprits nippons, je trouve justement que Tezuka ne bascule pas facilement dans le cynisme et le manichéen gratuit.
Ses méchants jouent leur rôle de méchants. Tezuka brosse rarement des personnages complexes et retors, mais ce qui à mes yeux m’a toujours sembler importer chez lui, c’est plus le récit que les personnages. Tezuka est un conteur, pas un écrivain. Ses histoires tiennent plus de la fable, avec un bon gros côté moralisateur, que de la littérature proprement dite. Tezuka n’est pas Taniguchi ( ou Taiyo Matsumoto ), c’est clair. Mais quand Taniguchi se lance dans le domaine du conte, ça donne des choses risibles comme la montagne enchantée : fade et creux au possible. Au contraire, il suffit de lire les recueils “Le cratère” par exemple pour saisir toute la maîtrise narrative de Tezuka dans ce registre là.
Les méchants de Tezuka sont manichéens car ils incarnent pour le héros l’impossibilité de traiter, de discuter, d’échapper à son destin. Les héros de Tezuka sont tous tragiques en ce sens que leur sort est scellé d’avance, il ne reste plus au lecteur que de suivre le récit de leur chute. Là où tu vois du manichéisme sans finesse, il y a en fait un fatum tracé par l’auteur qui sait où il mène sa barque. Et dans ce registre, ce monsieur est un maître.
edit : bien comprendre une chose, quand un personnage possède plusieurs dimensions, l’auteur doit tenir compte des comportements probables de ses personnages lors du développement du scénario. Le lecteur pourrait être géné de suivre le comportement incohérent d’un personnage suivant son caractère. Un froussard ne franchira pas un ravin de bon coeur, par exemple. Ainsi des personnages simples permettront de développer des histoires efficaces ; des personnages complexes mèneront souvent l’auteur à créer des histoires avec des gens qui tournent en rond dans leur cuisine en se posant 36000 questions. Chaque auteur cherche l’équilibre particulier qui lui permettra de développer les histoires qu’il a envie de raconter. Mais il est toujours dangereux de conclure hâtivement que personnages creux = oeuvre creuse.
L’humanité apparaît bien lâche, violente et versatile, elle est incapable de comprendre ses erreurs et les répète immanquablement. Chez Tezuka le pessimisme est présent, Ayako ou Demain les Oiseaux sont clairement des œuvres désespérées (et désespérantes) sur la nature humaine.
C’est justement ce qui me gène. Plus je lis du Tezuka, et plus j’ai l’impression qu’il n’aime pas les gens.
Et alors ? Dans le fond on en sait quoi ? Il faudrait s’arrêter à une simple impression, préjuger des intentions de l’auteur ?
Du coup, j’appréhende de plus en plus le contenu de ce spécial Tezuka. S’il s’agit de se livrer à une espèce de déboulonnage en règle du mythe Tezuka, je crois que ça risque d’être d’un condensé de mauvaise foi indigeste. Bon, on verra.
Edité par bub le 16-10-2008 à 13:41