Tout le monde est à la plage (ou dans son frigo), mais je reviens un peu (j’ai un ventilateur branché sur mon ordi).
L’Enfant aux Trois Yeux est un manga publié par Osamu Tezuka en 1978, en 8 bunko de 400 pages chacun. A notre époque, dans un lycée japonais, on rencontre un curieux bambin appelé Sharaku Hôsuke ; ce nom déforme d’assez loin “Sherlock Holmes”, et celui de son amie Watô-san reflète “Watson”. Sharaku est un garçonnet tout petit et chauve au front orné d’un gros sparadrap en X, totalement stupide, superlativement puéril, mais il a eu la note maximale à l’examen d’entrée au lycée. En effet, pour peu qu’on lui ôte le sparadrap apparaît dessous un troisième oeil, et il se change en un génie possesseur d’une science et d’une technologie loin au-dessus de nos connaissances. Sous son aspect imbécile, il est persécuté par les autres élèves, mais la lycéenne Watô le défend et, championne de karaté, flanque de belles dérouillées aux harceleurs. En fait Sharaku est le dernier descendant d’une race humanoïde disparue depuis plus de dix mille ans, et il est capable avec toutes sortes de débris de quincaillerie de fabriquer des machines aux fonctions stupéfiantes. Malheureusement, dans son mépris total de notre espèce actuelle, il envisage volontiers la destruction massive de celle-ci… sauf de Watô, qu’il avoue aimer dès le 2ème tome. Quant à elle, dont le rôle est aussi central que celui de Sharaku, elle est très attirée par lui sous sa forme de destructeur ironique, souvent cruel, et s’inquiète de sa propre hybristophilie (tendance féminine à aimer les “bad boys”, délinquants, salauds, dictateurs, tendance bien sûr pas générale mais hélas fréquente qu’on pourrait appeler le “syndrome Eva Braun”). Autant dire qu’après un début surtout consacré à l’humour bien gras, volontiers scatologique, typiquement nippon à l’époque, la série prend une dimension nettement plus profonde, métaphore de nos arrière-plans sombres. Régulièrement, il est nécessaire de remettre le sparadrap sur le troisième oeil de Sharaku, mais c’est de moins en moins facile…
L’Enfant aux Trois Yeux est resté très admiré pour l’imagination sans limite de Tezuka, sa profondeur, et aussi pour ses riches références aux énigmes archéologiques des hautes époques de l’humanité. C’est à lire ! Je recommande aussi Bouddha, du moins jusqu’au tome 5, fin d’un arc fascinant après lequel Tezuka dut coller davantage à la religion traditionnelle. Les 11 tomes de Black Jack sont un must échappant au manichéisme et au simplisme du “bon docteur” par sa profondeur. J’aime beaucoup Kaos (3 gros volumes), Phénix, Alabaster, Le Chant d’Apollon, Demain les Oiseaux, et des séries jamais traduites en français, comme Namba 7 ou Primerose.