En 2017 j’ai lu… Japan, d’Eiji Ôtsuka et Mami Itô

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La collection Big Kana avait proposé en mai 2005 le titre Japan, dont les première pages furent écrites en 1993. Ce seinen de 3 tomes est signé d’un scénariste reconnu dans le milieu, Eiji Ôtsuka, et d’une talentueuse dessinatrice, Mami Itô (ou Itoh). L’entreprise avait de quoi être ambitieuse, puisque ce récit explique comment le Japon s’est vu être rayé de la carte, et comment il espère renaître.

japanAFidèle à lui-même, Eiji Ôtsuka (MPD Psycho, Unlucky Young Men) pioche encore dans le passé du Japon pour fabriquer une histoire pas toujours évidente à comprendre au premier abord. Ici, l’écrivain mêle l’arbre généalogique du Japon (ses origines, ses liens avec d’autres peuples, son mode sociétal) avec une situation mondiale fictionnelle futuriste. Dans Japan, c’est l’empire soviétique qui a pris la tête du Gouvernement Mondial, cherchant à écraser toute trace du Japon depuis son extinction en 2026. Le pays fait donc presque figure de mythe, de légende. Artefact d’un passé n’existant plus, le Japon ne pourra se relever que si un gouverneur s’élève pour prendre le flambeau. C’est là qu’intervient le personnage principal du récit, Higan Ôe, dont la chevelure brune est la marque d’un Japonais pur sang.

“Je cherche à recréer une identité de masse à travers le culte de l’Empereur. Voilà ma révolution”.

Déclaration du personnage du Stalker, révolutionnaire

Le passé comme valeur 

Simplement expliquée ici, la quête du peuple japonais –ou ce qu’il en reste- pour retrouver son chez lui est bien plus difficile à cerner dans le manga. La faute au format : en 3 tomes, l’auteur doit nous présenter l’ensemble des acteurs -parfois historique avec Lenin ou K. Hiraoka- du récit. Opposants au régime nippon, membre du gouvernement mondial, diaspora Japonaise, ministres, rebelles, terroristes, communistes… Il faut un peu de temps pour digérer la densité du titre et avoir les idées claires sur les motivations de chacun. D’autant que dans Japan, les retournements de vestes, actes cachés, coups d’Etat et trahisons sont légions. Néanmoins, si vous prenez la peine d’être patient et de résister à ce florilège d’informations, Japan est une œuvre intelligente et passionnante à apprivoiser.

À ce titre, les bonus qui accompagnent le 3e tome sont d’une aide précieuse (mais peuvent spoiler, donc c’est à réserver à une deuxième lecture). Si la série est de qualité et parvient à transmettre son message, on ne peut s’empêcher de pester une nouvelle fois (après J.Boy) devant la conclusion hâtive et sèche de Japan.

“Il faut admettre que le peuple japonais est à l’origine un peuple de sang mêlés”

Déclaration du personnage du Pantin, un Empereur de substitution

Toujours aussi prolixe, cette œuvre d’Ôtsuka voit donc le futur empereur du Japon quitter sa basse condition pour se mêler à un conflit mondial. Si le Japon n’est plus, c’est uniquement à cause d’un pays voulant absorber ce qui l’entour pour mieux se replier sur lui-même. Après avoir pris le pouvoir sur le monde asiatique, écrasant Hong-Kong sur son passage, le Japon s’accaparait le monopole de l’informatique, de la culture (japanimation, dans le texte) ou encore de l’industrie. Cette soif avait déclenché un ressentiment anti-japonais et en 2026 l’Europe, les USA et la Russie lancèrent une attaque nucléaire sur Tokyo. Avec deux tiers de sa population effacés, le Japonais allait même être soumis à un régime d’annihilation puisque les hommes seront rendus stériles dès l’enfance. Voila pourquoi Hogan, notre personnage principal, fait office de dernier représentant du peuple japonais. Il va devoir se rapprocher des diaspora, esquiver les pièges et tenter d’éclaircir sa propre motivation dans une quête qui le dépasse plus qu’elle ne fascine.

Guilty Japan 

Tout au long du récit, Ôtsuka profite du support pour placer plusieurs réflexions/observations, avec ou sans finesse. Sans toutes les détailler ici (il faut un bagage sur l’origine des peuples), l’auteur parle du lien du Japon avec d’autres civilisations et peuples (juifs, conquête du territoire de Miao, colonisations), rappelant qu’Izanagi et Inazami (à l’origine du mythe de la naissance du Japon) étaient frère et sœur au moment de donner vie au 1er Empereur. Si le Japon s’est construit, c’est aussi par ses influences, son passé au contact d’autres origines. En voulant dominer, éteindre les cultures qui l’entourent, le Japon a précipité sa fin. Ce message, un peu noyé mais au final assez vivace après relecture, témoigne d’une certaine culpabilité des Japonais. Eiji Ôtsuka en fait amende honorable.

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Dans un registre plus marrant, on notera que pour survivre, Higan et sa bande de pote écument les décharges de leur ville afin de retrouver des objets de leur ancienne “civilisation”. En revendant des cartouches de jeu vidéo (une boutique s’appelle Nintendo) ou des DVD, ils peuvent ainsi récupérer quelques roubles et survivre. Un clin d’œil assez sympa, car ce sont les touristes de la zone qui sont le plus férus de ces antiquités là.

“Je suis désolé que les incertitudes de mon scénario aient contraint Mami Itô à travailler dasn le flou et la confusion”.

Eiji Ôtsuka

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Mami Itô est définitivement une artiste de défis.  Assez discrète sur le marché de la BD, elle s’était signalée avec classe sur le collectif R.O.B.O.T, Street Fighter et Pilgrim Jager (sorti chez Asuka), un titre dont la densité n’a rien à envier à celle de Japan. Et pour cause, on retrouve un certain Tow Ubukata (Le Chevalier D’Eon) au scénario et son admiration pour l’influence des croyances chez l’Homme.

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Avec Japan, qui date de 1993 soit 9 ans avant Pilgrim Jager, on retrouvait déjà la finesse remarquable de son trait, son aisance sur les mains, ses visages fermés. Avec quelque influences piochées chez Haruhiko Mikimoto, Itô a eu forte à faire pour intégrer de nombreux dialogues, introduire pléthore de personnages et tenir les exigences de son scénariste (homosexualité, inceste). Même si nous sommes là à l’aube de sa carrière, on sent le potentiel de l’artiste. Ce n’est pas anodin si le scénariste s’est tournée vers elle. En qualité de fan de shôjo, Ôtsuka à pu saisir, avec Itô, un approche un peu hybride entre l’apparence et le fond (un peu à la manière de X, de CLAMP). C’est d’ailleurs l’une des espiègleries de Japan, avec les Japonais devant être fin et brun ou les soviétiques blonds. Mais le physique ne faisant pas toujours le moine (les japonais se font passer pour des coréens par exemple), ce jeu de dupe confère une atmosphère froide de très bonne tenue.

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Aussi, il serait étonnant que Mami Itô ait réglé à elle seule le découpage. Amoureux du cinéma, Ôtsuka est obnubilé par la musicalité du découpage : jouer des valeurs pour varier le rythme, il sait faire. Sur Japan, la formule est moins impressionnante et vient surtout mettre en avant les talents d’illustratrice d’Itô quand la narration prend un peu son temps.

“Tout ce qu’on me proposait chez Media Works, c’était de faire des scénarii de fantasy pour des jeux vidéo. J’ai préférai rester chez le Comic Comp et profiter de sa liberté”.

Eiji Ôtsuka, en 1993, pendant que l’éditeur Kadokawa était au plus mal

Dernière information, Japan (en arrêt de commercialisation chez Kana), fait partie des anciennes œuvres d’Ôtsuka a avoir pu être réédité grâce au succès plus tardif de MPD Psycho. Reconnu tardivement dans le milieu, Ôtsuka avait choisi de rester chez le magazine Comic Comp -alors en pleine décomposition- pour être libre de publier ce qu’il avait en tête. Largement inspiré par les essais de littérature des années 90 comme Le monde après 5 minutes (Ryû Murakami), Japan est une oeuvre d’après-guerre qui est aussi le fruit d’un lourd labeur et la marque d’un écrivain profondément attaché à son récit.

Si vous voulez aller plus loin, sachez que Japan constitue l’un des volets de la “Trilogie des villes-blocus“, avec No Land (Akira Takahashi) et Tokyo Michael (Yoshisada Tsutsumi), uniquement disponible en VO.

6.5 Japan Parti

Oeuvre politico-fictionnelle fouillée, Japan n'est pas aisé à adopter. Pourtant, son background a fait l'objet d'un vrai travail de fond. Mais, terni par l'appétit de son scénariste, la trame demande plusieurs relectures. Une fois digérée, l'histoire dévoile une thématique digne d’intérêt, orientée, servie par des dessins d'une Mami Itô toute verte et déjà au niveau d'un projet au parcours tortueux.

  • Graphisme 7
  • Scénario 6
  • Originalité 7
  • Audace 7
  • Découpage 6
  • Note public (survolez et cliquez pour voter !) (2 votes) 6.7
  • AuteursEiji Ôtsuka (scénariste), Mami Ito (dessin)
  • Editeur VFKana (Big Kana)
  • Editeur VOKadokawa
  • PrépublicationComic Comp
  • GenrePolitique-fiction
  • TypeSeinen
  • Date de sortieMai 2005
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A propos de l'auteur

Bruno

Défendre les couleurs d'AnimeLand était un rêve. Il ne me reste plus qu'à rencontrer Hiroaki Samura et je pourrai partir tranquille.