Amakusa 1637

Cours d'histoires intensifs

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Paru dans le magazine Flower Comics de Shogakukan, Amakusa 1637 est destiné aux jeunes lycéennes en mal d’amour. Mais les thèmes abordés, ici, sont plutôt confus : entre amours innocentes et sexualité débridée le coeur de nos personnages balance. À noter que ceux qui sont rebutés par les relations où l’on se regarde langoureusement dans le blanc des yeux et les histoires sans grands avancements s’abstiennent. Par contre, la plupart des codes du shôjo sont quant à eux, respectés.

Le shôjo a gagné ses lettres de noblesse avec des oeuvres comme Candy ou La rose de Versailles. Aujourd’hui, des mangaka prolifiques telles Yuu Watase, Ai Yazawa ou encore Wataru Yoshizumi comptent parmi les meilleurs auteurs du moment.

Cependant, les oeuvres de Michiyo Akaishi se distinguent par un romantisme au ras des pâquerettes, des héroïnes utopistes et des histoires larmoyantes. Non content de conserver ce style shôjo pour fillettes, Amakusa 1637 se fait un devoir de respecter un graphisme qui à fait les grandes heures du genre. On retrouve donc une infinie douceur dans les traits des personnages, un style assez réaliste (même pour une série de science-fiction) et enfin, l’accent mis sur les gros plans plutôt que sur les décors.

Michiyo Akaishi fait ses débuts dans les années 1980 avec Marsh-mallow tea wa hitori de… (dans Bessatsu Shôjo Comics). Après ses histoires d’orphelines (notamment Alpen Rose, connu en France grâce à l’anime Julie et Stéphane) rappelant Candy Candy, la mangaka s’attache à dessiner des histoires plus aventureuses et mystérieuses. La mangaka est donc une vétérante d’un style graphique typé années 80 (donc un peu « passé »). On remarquera aussi que les pages de Flower Comics sont pleines de dessins au style un peu vieillot rappellant ce qui se faisait l’époque. Mais c’est aussi dans ce magazine que Fushigi Yugi de Yuu Watase se verra pré publié en 1992 (disponible chez Tonkam). La jeune Miaka y était propulsée dans l’ancien Japon par l’intermédiaire d’un livre magique.

Amakusa 1637 serait-il une sorte de substitut de la série de Yuu Watase ? La question n’est pas anodine, car en plus de se répartir (à des époques différentes) les pages de Flower Comics, les deux oeuvres partagent leur atmosphère de romance mystérieuse ainsi que des héroïnes au fort tempérament, et surtout leur location dans un passé lointain.

Crédibilité ou crédulité ?

Cette histoire que met en place Michiyo Akaishi étant un peu complexe, il vaut mieux que le lecteur soit un peu versé dans l’histoire croisée du Japon et du catholicisme. Nous allons donc vous faire un petit rappel. L’évangélisation du Japon commence en août 1549 avec le débarquement de Saint François-Xavier (1) sur le sol nippon. En l’espace d’une trentaine d’années près de 125 000 personnes seront converties au catholicisme sur la seule île de Kyushu (2). Perçus comme un danger par les religions en place (notamment le bouddhisme), le christianisme et ses fidèles deviennent l’objet de persécutions. Les fonctionnaires du Shogun vont jusqu’à organiser des abjurations (3) des convertis. En réponse, la révolte de Shimabara (région à majorité chrétienne) fera rage entre le mois de décembre 1637 et avril 1638. Menée par le samouraï chrétien Shiro Masuda (qui prendra le nom de Shiro Amakusa, en référence à sa région d’origine), cette insurrection sera sanglante avec près de 30 000 victimes. Cette rébellion entraînera une radicalisation de la fermeture du Japon ainsi qu’une interdiction totale du christianisme.

Et c’est d’ailleurs ce dernier épisode qui servira de point de départ à la série… Tout commence donc par un voyage dans le temps. Si l’on ajoute à cela un univers ultra « shojohisé » (si vous permettez l’expression), on obtient une rengaine qui a fait ses preuves. Ce gimmick de la lycéenne qui, par miracle et un brin de magie, se retrouve propulsée dans le passé, Amakusa 1637 s’en inspire en l’accordant avec la légende du triangle des Bermudes. Sauf qu’ici, ce fameux triangle se trouve plutôt du côté des eaux territoriales japonaises, car c’est lors d’un voyage scolaire, ou plutôt une croisière sur un paquebot de luxe, qu’une classe est engloutie par les flots. À leur réveil, ces lycéens sont tous éparpillés aux quatre coins du Japon au XVIIe siècle.

Retour vers le futur

En effet, Amakusa 1637 nous permet de comprendre les interactions entre fiction et histoire : Eri, en bonne première de classe formée à l’emmagasinement de faits plutôt qu’à l’apprentissage (4), nous expose par le menu tout ce qui s’est réellement passé à cette époque. De son côté, Natsuki s’ingénie à changer le cours des évènements à la seule force de son sabre et de ses yeux larmoyants : parce qu’attention, Natsuki (notre héroïne) n’a pas atterri en 1637 pour se la couler douce ; elle devra à tout prix mener à bien sa mission pour empêcher les multiples massacres du à l’évangélisation. Pour ce faire, elle prendra la place de Shiro Amakusa (un homme (5)) sensé sauver les Chrétiens. Ce rôle de « messie » qui va lui coller à la peau, et ce malgré elle, ne sera pas de tout repos. Et comble du comble ses deux meilleurs amis (et coïncidence, les mêmes garçons qui lui courent après) sont tous deux devenus amnésiques et, par la force des choses, ses ennemis.

Jusque-là, rien d’anormal. Nous sommes tout de même dans une série de science-fiction, et un peu de fantaisie ne fait pas de mal. De plus, n’étant sans doute pas la cible privilégiée de ce genre de manga, il est possible que des subtilités scénaristiques hautement importantes (du genre, pourquoi Seika préfère se confectionner des culottes tandis que ses amis se battent pour sauver des vies) soient passés au-dessus de la tête de l’auteur de ces lignes. Il est vrai que les femmes de l’ère Edo (5) ne brillaient peut-être pas par leurs dessous affriolants mais tout de même ! Quel est l’intérêt de savoir si Natsuki lave ses sous-vêtements tous les matins (la question du temps de séchage se pose d’emblée) ou si Seika préfère les fabriquer en utilisant de la plante de gomme en guise d’élastique ! À moins qu’elle se mette à défendre les chrétiens avec, aucun !

Mais encore…

Cette absence de crédibilité se fait cruellement sentir lorsque notre héroïne reçoit un appel sur son téléphone portable. En effet, qui ne sait pas que les Japonais avaient mis en orbite des satellites en bois dès le début du XVIIe ? Visiblement, la mangaka en est, elle, convaincue. Telstar (6) le premier satellite de télécommunications envoyé dans l’espace peut se rhabiller. On notera, cependant, que l’auteure a eu quelques remords devant l’énormité de son anachronisme puisque les portables ne fonctionnent que lorsque le ciel est rouge. Un scientifique pour résoudre ce mystère ?

Et encore si cela pouvait être la seule invraisemblance scénaristique de cette série ! Fallait-il vraiment que seuls les membres du conseil de l’école soient happés dans ce tourbillon temporel ? Le reste des passagers du bateau serait-il encore sur le pont principal à siroter un thé glacé ? On ne s’étonne même pas lorsque notre bande de lycéens du XXIe siècle se retrouve dans la peau de grands personnages historiques. Surtout que tous ces ados possèdent un talent particulier : ils sont soit extrêmement intelligents, soit des génies en sciences, férus d’inventions ou encore, des athlètes hors pair. Quel meilleur exemple que notre petit rat de bibliothèque (Eri) pour qui l’ère Edo n’a aucun secret. Les actes, les noms et pourquoi pas la couleur de leurs sous-vêtements, elle connaît tout sur le bout des doigts.

On comprend mal les grosses excentricités que l’on trouve dans ce manga. Pour ne citer que lui, le téléphone portable devient sous le crayon de l’auteure un personnage, au même titre que Natsuki et ses amis. Pire encore, cette histoire a du mal à décoller et le lecteur commence vite à s’ennuyer.

Cette oeuvre avait un grand potentiel. Montrer comment une jeune fille parvient à se débrouiller dans un monde qui lui est triplement hostile – c’est une femme, chrétienne, et parachutée au XVIIe) n’était pas une mince affaire. Dans un premier temps, elle préfère cacher ces trois aspects puis, décide de se battre pour ses convictions. Ajouter à cela un traitement de l’histoire du catholicisme au Japon (thème peu courant) et cette série aurait pu faire un carton. Dommage, donc, que le lecteur ne puisse accrocher pleinement à cette histoire prometteuse tant les fils de l’intrigue nous paraissent énormes. On peut finalement s’interroger sur la pertinence du choix de ce titre pour le public français.

Notes.

1. Surnommé « l’apôtre des Indes », François-Xavier est l’un des fondateurs de la Compagnie de Jésus (congrégation catholique fondée en 1540, dont les membres sont les Jésuites). Il a été à l’origine de l’évangélisation de la côte méridionale de l’Asie ainsi que du Japon.

2. Kyushu est l’île la plus au sud des grandes îles japonaises.

3. Renoncer solennellement à la religion que l’on professait. Au Japon, cela a été matérialisé par le fait de piétiner une icône ou une croix.

4. L’école japonaise est régie par une éducation dans laquelle on privilégie des connaissances scolaires immédiates plutôt qu’un savoir voué à durer. Les jeunes japonais sont d’ailleurs souvent considérés comme des bêtes à concours sensés accumuler des connaissances et être capable de les « recracher » en un minimum de temps.

5. Le travestissement est un thème phare des shôjo. Généralement, des jeunes filles à la sexualité ambiguë choisissent de se faire passer pour des hommes. Le premier shôjo de l’histoire du manga, Princesse Saphir d’Osamu Tezuka, contenait déjà ce thème du travestissement.

6. L’ère Edo s’étend d’environ 1600 à 1868.

7. Le premier satellite de télécommunication (téléphonie, télévision) mis en orbite est américain et fût lancé en 1962.

Manga. 11 tomes au Japon (en cours)

Auteur. Michiyo Akaishi

Editeur VF. Akiko

Sources.

Le christianisme au Japon, des origines à Meiji de Jean-Pierre Duteil (professeur à l’Université de Paris VIII).

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A propos de l'auteur

Carla-Cino

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