Happy Mania

Ce que femme veut

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Qui est Shigeta Kayoko ? Une gamine malgré ses 24 ans ? Une nymphomane ou une incurable romantique ? Une femme blessée ou une garce ? La grande soeur des héroïnes de Nana ou la cousine de la Peach Girl Momo? Si elle ne sortait pas de l’imagination de ANNO Moyoko, on la croirait vraie. Porté par un savoureux réalisme psychologique, qui rend crédible mêmes les situations parfois tordues ou fantasmées dans lesquelles se trouvent son héroïne, Happy Mania prend pied aussi dans la réalité, concrète celle-ci, de la vie de jeunes adultes japonais qui travaillent, payent des factures, partent ou non en vacances, composent avec leur environnement, se marient ou rompent, et ont une vie sexuelle qui les (pré)occupe beaucoup. Hormis Asatte Dance, également adressé à de jeunes adultes sur un mode décoincé et humoristique (cependant davantage orienté vers l’érotisme), ce type de lecture est absent de l’édition française de manga, et plus largement de bande dessinée. Ce n’est donc pas une surprise s’il n’est pas encore traduit ; pour les anglophones cependant, il est possible de le lire dans son édition américaine. Il serait dommage de se priver des galipettes et questionnements existentiels de Kayoko, amoureuse entreprenante et idéaliste qui excite… les zigomatiques.

Femme active, sexuellement aussi

« C’est dur d’être une femme », se dit-elle. « Non, ce n’est pas d’être une femme qui est dur, c’est de vivre » se corrige-t-elle 2 pages plus loin. Entre temps, elle a fait tomber par terre le vase hors de prix qu’elle devait porter à l’apprenti céramiste dont elle est amoureuse, et qui s’est fait la malle avec la fille du maître. Shigeta Kayoko, une fois de plus, après une partie de jambes en l’air, se retrouvera dans une impasse affective. Et son amie Fuku, 29 ans et les pieds sur terre, la ramassera encore à la petite cuillère. Comment peut-elle en arriver là ?
Si Kayoko se retrouve dans des situations incongrues, c’est qu’elle est obnubilée par sa quête du petit ami (si possible jeune et beau). Mais elle ne craque que pour les types poseurs et indifférents, quand elle ne tombe pas sur un apprenti salaud voire un déséquilibré. La faute cependant, n’en incombe pas qu’aux mâles et à leur libido. Soyons honnête : elle s’y prend comme un manche. Ne voit-elle pas Takahashi (gentil, mignon, prévenant, parti idéal plein d’avenir et même plein aux as) qui supporte ses démêlés sentimentalo-sexuels presque sans broncher ? Si, elle le voit, comment pourrait-elle le rater, cet ange gardien qu’elle fuit comme une maladie, mue par une aversion primaire et somme toute relative ? Pendant qu’elle batifole, lui déprime, mais après quelques râteaux, elle trouve épisodiquement auprès de son soupirant mal éconduit un certain réconfort.

Concentré d’essence de femme

Tantôt garce (surtout avec Takahashi), tantôt pleine d’abnégation, Kayoko est si absorbée par sa poursuite du Saint Mâle que cela conditionne toute son existence, flirtant avec le n’importe quoi. Virée de la librairie dans laquelle elle était vendeuse mais sur un petit nuage pour cause de rencontre prometteuse, elle se retrouve quasi à la rue. Engagée (par les soins de Fuku) dans la boutique de cosmétiques où cette dernière travaille, elle démissionne afin de se convertir à l’artisanat, juste pour les beaux yeux d’un céramiste. Un échange de regards, et elle plane complètement. En cela identique à nombre de ses consoeurs de chair et de sang, Kayoko cependant va plus loin que nombre d’entre elles en passant (presque instantanément) à l’action. Si elle finit déculottée, c’est parce qu’elle est culottée. Toujours sur le qui-vive, elle monte au créneau dès qu’elle en a l’occasion, mettant souvent toute pudeur de côté. Et quand ça rate (après un passage par la case sexe), elle tente de trouver une logique à ses échecs à répétition.

ANNO Moyoko fait mouche, touchant (juste) au coeur d’une certaine féminité. Aussi débile que géniale, Kayoko fait l’aveugle quand elle ne veut pas comprendre ce qui ne l’arrange pas, perd tout amour-propre dans une situation amoureuse désespérée, porte un cristal d’amour (qu’elle balance rapidement), se cache pour espionner l’homme sur lequel elle a jeté son dévolu, se demande si elle s’est épilée les jambes quand un bel inconnu l’approche, se sent mal de s’être trop maquillée, porte des vêtements informes et des tresses quand elle a forniqué avec l’espoir de lendemains qui chantent. ANNO Moyoko rend son héroïne si réelle, donc si humaine, qu’elle en est extrêmement attachante. L’humour des personnages comme le comique de situation est servi par le trait élégant mais non léché, jeté, presque esquissé, de la mangaka. Elle excelle dans le rendu réaliste des postures et expressions, même dans l’emphase, et créé également des bouilles caricaturales formidables et originales.

La bombe Happy Mania peut être mise entre toutes les mains adultes, hommes et femmes confondus (âmes coincées s’abstenir). Susceptible de parler à beaucoup de membres du 2e sexe, elle ne laissera pas indifférent ceux du 1er (l’auteur de cet article s’est vu recommander sa lecture par l’un d’eux…). Happy Mania est ainsi un précieux document à l’usage de ceux, et ils ne manquent pas, qui voudraient percer certaines énigmes du sexe dit faible.

Happy Mania, de ANNO Moyoko, Shôdensha pour l’édition japonaise,

Tokyopop (www.tokyopop.com) pour la version américaine (9 volumes disponibles, 11 au total).

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