Zatôichi

KITANO dans la peau d’un mythe

0

Il ne paye pas de mine, cet aveugle qui erre de village en village en proposant

ses services de masseur (une profession répandue dans le Japon traditionnel

parmi les personnes frappées de cécité). Qu’il arbore la bouille improbable

du grassouillet KATSU Shintarô, le Zatôichi originel, ou la blondeur

oxygénée de KITANO Takeshi, il tranche pourtant à tour de bras sans hésitation,

guidé par des sens surdéveloppés et une idée précise de la justice. Il est certes

moins sexy qu’un Daredevil (avec qui il partage jusqu’à la canne maquillée en

arme), mais il a, comme on dit, de beaux restes… Portrait d’un héros populaire

à la longévité exceptionnelle.

Lorsque Zatôichi naît en 1962, il est dès le départ conçu comme différent de

ses cousins d’arme, les sévères samouraïs ou rônins justiciers des films de

sabre. Il est a fortiori davantage encore éloigné des splendides héros des films

historiques du jidaigeki, le genre-roi de l’âge d’or des années 50

du cinéma japonais. En inventant ce personnage d’aveugle vagabond, donc nécessairement

du côté des opprimés et des pauvres, sabreur mais aussi joueur hors pair, la

compagnie de cinéma Daiei (1) offre au public un héros à la fois singulier et

populaire. L’acteur choisi pour l’incarner, le peu connu jusqu’alors KATSU Shintarô

(1931-1997), lui confère en deux mimiques humour et démesure, et y trouve le

rôle de son existence.

KATSU Shintarô et Zatôichi

Né en 1931, de son vrai nom OKUMURA Toshio, KATSU Shintarô est le fils de KINEYA

Katsutôji, maître de nagauta (chant populaire traditionnel avec accompagnement

de flûte, tambourin et shamisen). Il est engagé en 1954 par la Daiei

pour jouer les jeunes premiers dans des jidaigeki, sans grand succès.

En 1960, son rôle de méchant aveugle dans Shiranui Kengyo, de MORI

Kazuo, préfigure le Zatôichi qu’il incarne 2 ans plus tard, dans Zatôichi

Monogatari
(Histoire de Zatôichi, de MISUMI Kenji). Zatôichi devient

l’une des figures incontournables de la Daiei, qui en 8 ans lui consacre près

de 20 films ; c’est ensuite au tour de KATSU lui-même de produire plusieurs

opus, la Daiei ayant fait faillite. Ainsi, sans compter les adaptations télévisées

qui prennent le relais, Zatôichi est l’une des plus longues séries de l’histoire

du 7e Art nippon, distancée par rien moins que la saga Kuruma Tengu

et sa quarantaine de films réalisés entre 1927 et 1964.

Tout au long des années 60, KATSU Shintarô tourne également dans les séries

de films Akumyo (1960-1969) et Heitai Yakuza (1965-1972).

Mais c’est Zatôichi qui lui apporte la gloire, le personnage et son succès lui

étant, réciproquement, fortement redevables. Outre sa silhouette corpulente

et sa mine incroyable (une expression renfrognée et nerveuse sur des traits

épais et peu amènes), KATSU compose un personnage faussement débonnaire, avec

ses grimaces (ses expressions de visage sont un régal), son humour et sa diction

toute particulière. Au fil des ans, il se perfectionne au sabre, livrant des

duels énergiques et très crédibles qui illustrent les sens et aptitudes exceptionnels

du personnage. Véritables démonstrations, les combats chorégraphiés de Zatôichi

sont aujourd’hui encore impressionnants, d’autant plus lorsqu’ils sont servis

par la mise en scène (ce qui est le cas notamment des opus signés MISUMI Kenji).

Il marque ainsi les mémoires à l’égal de son frère aîné, l’acteur WAKAYAMA Tomisaburo

(1929-1992), qui incarne au début des années 70 Ito Ogami, le mythique héros

de la série Kozure Ôkami (traduit Baby

Cart
(2) en Occident). Zatôichi, comme Kozure Ôkami, sont

représentatifs d’une époque où le cinéma nippon se cherchait de nouveaux héros,

plus radicaux, pas nécessairement positifs, et curieusement individualistes.

Est-ce là l’une des raisons qui a poussé KITANO Takeshi, amateur de figures

hors norme, à reprendre le personnage de Zatôichi ?

KITANO Takeshi, un héros très discret

On ne peut en tout cas expliquer son intérêt pour le sabreur aveugle par l’amour

qu’il porte aux films passés, visionnés dit-il d’un oeil distrait. Difficile,

au regard de sa version, de savoir ce qui l’a motivé dans la réalisation d’un

remake.

Côté scénario, le réalisateur de Hana-bi a choisi la fidélité à la

trame classique d’un Zatôichi-type, dans la lignée des matatabi-mono

(ou films de vagabondage), ancêtres des road-movies. On suit l’arrivée

du masseur dans un village – où règnent un ou des clans plus ou moins

rivaux qui terrorisent la population –, jusqu’à son départ, quelques morts

plus tard et la tranquillité revenue. KITANO s’offre aussi le préambule de démonstration

de l’exceptionnelle agilité au sabre de l’homme. Passée cette mise en bouche,

le voilà accueilli par une veuve (joyeuse mais pas trop), qui se plaint des

persécutions que les clans locaux font subir aux paysans et villageois. Après

un chaste massage à son hôtesse, Zatôichi se rend au village. Il ne tarde pas

à y croiser des personnes elles aussi fraîchement arrivées : le laconique rônin

Hattori Gennosuke (campé par le troublant ASANO Tadanobu, vu notamment dans

Ichi The Killer

de MIIKE Takashi), et deux geishas qui concluent leurs prestations de façon

radicale… Tout ce petit monde va faire connaissance, et éventuellement s’entretuer.

Cette multiplicité de personnages et leur place au sein du récit distinguent

le film de KITANO des opus originaux, davantage axés sur le principal protagoniste.

De bout en bout, son Zatôichi est effacé. Hormis sa coupe de cheveux et quelques

gloussements, Zatôichi-KITANO n’occupe pas le terrain, laissant la place aux

personnages secondaires, galerie heureusement réussie de gentils allumés plus

ou moins paumés. Si ce n’est dans le personnage, où chercher ce qui amené KITANO

à Zatôichi ? Dans le registre du chambara (ou film de sabre), à savoir les scènes

spectaculaires de combat ? Là encore, le cinéaste, en dépit des geysers de sang

(en image de synthèse ! curieux effet…) et des mutilations, manie ici mieux

le sabre que la caméra. Filmés sagement, sans beaucoup de rythme, les duels

n’apparaissent pas comme les scènes marquantes du film. L’ensemble est un peu

mou, un peu plat, et même si le temps passe agréablement, peut-être aurait-il

mieux valu, justement, être davantage secoué. Reste le final, décalé et brillant,

où tous (sauf notre aveugle reparti sur la route) se retrouvent à danser en

geta un ballet pétaradant.

Pour découvrir ou retrouver les ballets (non pas de danse cette fois, mais de

sabre) des premiers Zatôichi, il faudra attendre février 2004, 4 films

étant programmés en sortie DVD chez Wild Side Video. On y vérifiera qu’à défaut

d’être un super-héros et d’avoir une belle gueule, KATSU Shintarô se battait

comme un beau diable.

Parlez-en à vos amis !

A propos de l'auteur