Parlons un peu des mangas rétro !
On avait déjà abordé un peu le sujet dans les thread consacrés à Tezuka et à Ashita no Joe, mais vu le peu d'amateurs qui existent pour ces monuments, autant créer un topic synthétique.
Manga rétro ?
Disons les mangas d'avant les années 80 quoi, avant la génération des Toriyama, Hojo, Adachi et cie en quelque sorte, même si je n'ai pas vraiment de définition précise à proposer.
On bénéficie actuellement d'une profusion d'éditions de plus ou moins bonne qualité de certaines œuvres majeures du patrimoine japonais, et ce serait dommage de passer à côté de ces titres qui – à mon avis – deviendront très rapidement introuvables dans quelques années…
On notera que les éditeurs proposent des stratégies de publication fort différentes de l’un à l’autre.
Cornélius par exemple édite de magnifiques volumes de très bonne qualité, mais pas vraiment à la portée de toutes les bourses. Glénat de son côté propose une approche différente : soit des grosses intégrales comme avec Golgo 13, soit des éditions plus cheap mais permettant d’offrir des titres à portée de prix des quelques rares amateurs (lire à ce propos l’interview instructive de Stéphane Ferrand, que les habitués du forum connaissent bien comme ancien rédacteur de feu Le Virus, et comme directeur éditorial manga chez Glénat).
On ne peut donc que se réjouir de cette opportunité d’avoir enfin accès à ces auteurs qui ont largement contribué à inspirer les générations suivantes qui nous ont fait connaître le manga en France, avec la génération des Hojo, Otomo, Toriyama, Takahashi…
Il me semble ainsi nécessaire de faire le tri dans ce qui sort, de mettre en lumière certains ouvrages incontournables pour qui veut aller plus loin dans sa culture "manga".
Et pour commencer, je m’en vais vous parler de Le voyage de Ryu.
Ce manga réalisé par Shorato Ishinomori fut publié la première fois en 1969.
Il raconte l’histoire d’un jeune homme, Ryu, qui revient sur Terre après un long voyage dans l’espace pendant lequel il fut maintenu très longtemps en sommeil cryogénique en punition pour s’être introduit clandestinement sur le vaisseau spatial.
Hélas, à son réveil, il se retrouvera désespérément seul sur une planète devenue méconnaissable.
Que s’est-il passé ? Qu’est devenue l’humanité ? Reste-t-il des survivants ?
Commence alors pour notre héros un très long voyage, en quête des restes de civilisation humaine, et qui le mènera vers un destin inouï, lui, le petit clandestin, devenu peut-être le dernier représentant de son espèce.
Ishinomori signe là un parfait classique de science fiction, à première vue assez convenu, le premier volume rappelant énormément la trame générale de la planète des singes. Mais dès la seconde moitié du premier tome, les choses prennent une tournure très différente.
C’est à partir du second volume que l’on commence à mieux comprendre le sens de cette œuvre. Ryu ne cesse de vouloir aller de l’avant, et à chaque rencontre qu’il fait, l’auteur glisse une réflexion sur le devenir de l’humanité, sur sa capacité à s’adapter à son nouvel environnement. C’est donc surtout l’histoire d’une humanité qui se retrouve à nouveau à zéro, sur une nouvelle ligne de départ en concurrence avec d’autres formes évoluées pour reprendre le contrôle de sa destinée. Et Ishinomori place à chaque fois son jeune héros face à ses illusions sur les bienfaits supposés de la civilisation.
La lecture du troisième volume m’a carrément rappelé certains personnages comme le Lord Génome de Gurren Lagann, et je ne peux pas croire une seule seconde que Gainax ne soit pas allé puiser là son inspiration pour ce personnage marquant tellement le parallèle m’a frappé.
Idem pour d’autres passages, qui m’ont fait furieusement pensé au Nausicaä de Miyazaki, qui sortira bien plus tard. Est-ce lié au fait que ces deux grands auteurs partagent une culture et une vision commune sur l’homme et la nature ? La philosophie du voyage de Ryu étant surtout marquée par une confrontation systématique entre volonté de vouloir ressusciter un passé révolu (la civilisation humaine) et la nécessité pour les survivants de s’adapter avec sagesse à ce nouvel environnement né de la folie des hommes, on ne peut s’empêcher alors de penser à l’œuvre mythique de Miyazaki, tant le voyage de Ryu lui fait écho.
Le voyage de Ryu me semble ainsi une œuvre clef dans le manga de science fiction, et je ne serais pas du tout étonné que beaucoup d’auteurs des générations suivantes aient pu être profondément marqués par ce titre plus riche qu’il en a l’air.
Le dessin n’est pas en reste, et on a droit à de superbes décors, des paysages à la fois ravagés et fantastiques, cette folie propre aux visions futuristes des auteurs des années 60/70, à l’imagination sans bride et prolifique.
Pour aller plus loin, une biographie très complète de l'auteur sur ce lien.