Et zou, un remontage de topic ! Au passage, cela m’a beaucoup plu de relire une quinzaine des messages antérieurs de nos chers Pingouins sur ce grand classique, Tintin. J’ai tout d’un coup envie de parler de :
L’Affaire Tournesol
Ce n’est pas un des albums les plus célèbres, mais m’en souvenant assez mal, j’ai eu envie de le relire avant-hier. Au constat final : bravo Hergé ! Mais quelques réserves narratologiques à signaler, car le Yupa il trouve toujours du poil aux oeufs, vous le connaissez !
Assez curieusement, à nouveau le pr. Tournesol se fait kidnapper, comme dans Les sept boules de cristal et dans sa suite Le Temple du Soleil. Il faut avouer qu’un peu comme une innocente jeune fille, le lunaire Tryphon, doux et calme, sans musculature ni aptitude aucune à la lutte, isolé dans ses rêveries par sa distraction et sa surdité, se prête idéalement au kidnapping.
Dans cet étrange monde tintinnesque sans jeunes filles donc, les autres cas de kidnappings concernent des jeunes garçons ou à peine adultes, Abdallah dans Tintin au pays de l’or noir, et Tchang dans Tintin au Tibet par le yéti, mais dans ce cas pour son bien.
C’était la norme dans la BD franco-belge de ces années, mes réserves ne sont pas là. Dans cet album Hergé s’essaie à l’intrigue d’espionnage, délaissant son registre habituel : l’aventure lointaine (même si l’on ira en Bordurie, soit quelque part en Europe Centrale). Or Hergé n’est clairement pas fait pour ça, quand on y regarde de près. Ce qui n’empêche pas l’album d’être plein de belles qualités.
Le rythme d’abord : il est échevelé, d’ailleurs notre auteur s’amuse beaucoup dès le début à contrer le plus vite possible le plan “calme, silence et sédentarité” que Haddock en promenade annonce à Tintin. En fait tout l’album sera une course acharnée où Tintin et Haddock ont toujours une longueur de retard, jusqu’à l’apogée d’une poursuite-sprint finale en voiture, puis en char d’assaut. Même avant le départ des deux héros (et ensuite), chaque page se termine par un choc, un bruit strident ou explosif, un cliffhanger, dans la dernière case à droite.
Le début est superbe, avec tous ces stupéfiants bris de verre en crescendo dans leur impact, et on n’oublie pas la fantastique scène de Haddock se lavant les dents et apercevant une fissure dans son miroir, puis tout un réseau qui fait de sa figure un puzzle, juste avant l’effritement final ! Du grand art !
L’intrigue a pourtant des faiblesses.
Tintin explique la “fuite” du secret à propos de la machine par le domestique Boris du pr. Topolino : cet espion bordure a pris connaissance des lettres envoyées par Tournesol à son collègue. Pourtant le premier espion à Moulinsart est un Syldave, qui en aurait “eu vent” selon Tintin ; mais lui, comment ?!
Lorsque la Chrysler jaune est enfin arrêtée par l’Italien qui aide nos héros, ils se font montrer le coffre mais pas l’habitacle. Or un peu plus tard Tintin déclare que Tournesol était “Sous le siège arrière ! Il était surélevé !” Mais nulle case ne le montre vérifier l’intérieur de la voiture ; et s’il avait remarqué cela, pourquoi ne réagir que bien trop tard ? Sans compter que Milou, avec le parapluie de Tournesol, aurait forcément senti la présence de Tryphon.
A l’hôtel de Szohôd, après avoir bouclé les deux gardes-interprètes qui les surveillaient, Tintin et Haddock se cachent de deux autres agents alertés par le garçon de restaurant, dont l’échange verbal révèle que l’alerte est donnée et toutes les issues gardées. Tintin alors dit à Haddock : “Vous avez entendu ?” et ils choisissent donc l’escalier de secours. Or ces trois Bordures ne parlaient évidemment qu’en bordure, langue que Tintin ne maîtrise pas puisque c’est sous ce prétexte qu’on a pu lui imposer des interprètes.
Plus tard on peut certes admettre que le colonel Sponsz parle en français avec la Castafiore dans sa loge, et qu’ainsi Tintin et Haddock cachés dans la penderie apprennent le lieu de détention de Tournesol. Mais la vraisemblance ne suit plus lorsque Sponsz précise bien que c’est dans son manteau, juste à portée de main de nos héros, qu’il a l’ordre de libération ; puis lorsqu’il ajoute à propos des laissez-passer des deux délégués Croix-Rouge qu’il les a aussi là, dans son manteau. Et pourquoi diable est-il venu à l’Opéra avec ces deux documents précieux ??
Toutefois ici on admire la finesse du dialogue avec lui de la Castafiore, beaucoup moins évaporée qu’elle ne s’en donne l’air !
Mais ces points de ratage pour un romancier d’espionnage ne nuisent guère au charme de l’album. Un de ceux où le pauvre Haddock souffre le plus, physiquement, et moralement à cause de Séraphin Lampion, le c…nnard rigolard envahissant magistralement campé par Hergé – qui a dû en supporter, peut-être !
Inoubliable “gag filé”, le sparadrap voyageur : un coup de génie !