Brothers : Frères de sang

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A présent, sa réédition totalise 3 tomes appartenant à la sélection Kadokawa Comic Ace. 2 CD de dramas ont aussi été réalisés avec un staff de doubleurs connus et triés sur le volet.
Shunpei, l’aîné, Anko, la benjamine et Kyöhei, le cadet, sont tous âgés de 14 ans et en 2e année de collège. En fait, ce sont des triplés dont la mère est morte pendant l’accouchement. Le père, Heichi, les a élevé seul. Mise à part la perte maternelle, ils ont vécu dans l’aisance. Le hic, c’est que Shunpei et Kyöhei aiment leur soeur plus que de raison… Comment vont-ils gérer leurs sentiments ? Et Anko, est-elle vraiment leur soeur ?

Au chapitre ” Science de la vie “, sachez que les triplés résultent d’un même oeuf fécondé et sont donc génétiquement identiques et de même sexe. L’apparition de faibles différences découle principalement des effets liés à leur biographie (maladie, conditions de vie). Entre vrais triplés, les greffes d’organes sont considérées comme des autogreffes. En revanche, les faux triplés, enfants issus de 3 ovules différents, ne se ressemblent pas plus que des frères et soeurs ” normaux ” et peuvent être de sexe opposé. C’est la situation d’ Anko, Shunpei et Kyöhei. Le manga adopte le point de vue de Shunpei, garçon relativement mûr et conscient de son amour envers Anko. Il parle souvent avec sa défunte mère. L’histoire débute sur ce qu’il redoutait le plus : un ami lui demande de transmettre une lettre de déclaration à Anko. Dur dilemme ! Shunpei doit-il faire abstraction de ses sentiments et accomplir sa mission ou bien faire de la missive un tas de confettis ? La peur de se dévoiler l’oblige à jouer l’intermédiaire. Son geste met son frère Kyöhei en rage. Tout en finesse, ce dernier veut tabasser le scribouillard pour lui signifier qu’ Anko n’est pas libre. Shunpei l’en empêche et ils finissent par se battre ensemble. A cette occasion, Shunpei comprend que son frère en pince aussi pour leur soeur. L’attirance d’un frère envers sa soeur, n’est pas à blâmer car logique. En effet, une attirance se manifeste dès qu’un homme et une femme sont en présence. La Nature l’a voulu ainsi et il n’y a vraiment pas de quoi s’affoler ! Néanmoins, il faut considérer l’attraction comme une chose saine, instinctive et dégagée des tabous moraux. Loin de refouler cette pulsion, Shunpei est néanmoins conscient de sa condition de frère aîné et repousse volontairement, et à maintes reprises, le moment des aveux face à Anko. Lors d’une dispute anodine avec elle, astucieusement amorcée par le pétillant Kyöhei, Shunpei préfère se cacher derrière une réplique acerbe quand Anko veut savoir de quelle fille il est amoureux. Il est du genre à agir lorsqu’il est acculé et à se relâcher sitôt retombé dans le traintrain habituel. Notons qu’il prend l’initiative de retenir Anko en fonçant à l’aéroport quand celle-ci les abandonne pour les USA, alors que Kyöhei a déjà jeté l’éponge.
Kyöhei est l’élément comique du trio. Impulsif, direct et rockeur enragé, c’est un baroudeur qui frappe d’abord et discute ensuite avec la dépouille de la victime. Il ne voit que le concret, ne se tourmente jamais, ou très peu, et expérimente les nouvelles sensations sans forcément y adhérer. De ce fait, il acquiert une expérience fragmentaire et limitée. Sa scolarité est une calamité et il refuse d’intégrer le lycée, préférant embrasser une carrière de musicien. Son père s’arrache les cheveux et l’imagine déjà à fumer du hachisch et du LSD ! Au collège, Kyöhei se braque contre Amakawa Hiroki, qu’il voit comme son rival en musique et en amour. Hiroki se révélera être le petit ami de Kiriko. Trompé par de méchantes médisances, émanant de l’ex d’ Hiroki, Kyöhei aura quelques doutes sur le sexe caché de Kiriko (fille ou garçon ?).

Le cas des 2 frères illustre à merveille les changements qu’insuffle la puberté, synonyme de passage vers l’adolescence. Le caractère devient instable, même si Kyöhei n’a pas besoin de ça pour être un chien fou, et la notion du temps est subitement prise en considération, incitant à faire des projets d’avenir. Kyöhei parle carrément de mariage avec sa soeur ! Ce dernier est davantage expressif. Il brandit les étendards de la révolte, attaque derechef les valeurs établies et les règles sociales. Il monte son groupe et fréquente un club où il se lâche à loisir sur sa guitare. Pour Shunpei, la puberté se caractérise par une forme de timidité particulière envers sa soeur, chose qu’il n’a jamais ressentie auparavant. Etant en terrain inconnu et troublant, le garçon se pose pas mal de questions. Quant à Anko, elle est plus une mère qu’une simple soeur. Tous 3 sont inséparables et elle est toujours derrière ses frères (repas, lessive, recommandations, prise en charge des devoirs de Kyöhei). De là, les garçons ont un attachement assez ambigu envers cette ” mère-soeur “, penchant légèrement vers le complexe d’Oedipe. Sans cesse sur la même longueur d’ondes avec Anko, ils ne ressentent pas le besoin de jeter leur dévolu sur une autre fille. Ajoutons à cela une fervente et platonique admiration, un désir de protection propre à chaque frère pour sa soeur, et le tableau est complet. Sincérité, solidarité et esprit de sacrifice, empêchent le trio de se disloquer quand Anko s’apprête à rejoindre les USA. Chaque membre est complémentaire car pris indépendamment ils ne sont que l’ombre d’eux mêmes.

Croire aimer et aimer vraiment sont des positions catégoriquement opposées. L’épilogue que TAJIMA-sensei nous livre le souligne. Les triplés entrent au lycée. Un jour un gamin appelé Junpei débarque. Une note émanant de leur père certifie que c’est leur petit frère ! En réalité, Junpei se révèle être un cousin. Avant de rejoindre sa mère, il émet le souhait de se marier avec Anko dans le futur ! La vérité sort de la bouche des enfants, dit-on. Mais l’annonce montre aussi l’amour enfantin de Shunpei et Kyöhei pour Anko. Quelle tournure prendra leur affection à l’avenir ? Se consolidera-t-elle en amour véritable ou se changera-t-elle en un apaisant lien fraternel ?

Dans la catégorie personnages secondaires, nous retrouvons Hiroki, Kiriko, Kai et Heichi, le père énigmatique et déjanté des triplés. Anko pourrait aussi entrer dans ce groupe car elle focalise principalement l’attention de ceux qui gravitent autour d’elle. Anko semble vivre les événements d’une manière détachée, excepté celui de son faux départ pour les Etats Unis. Heichi, le père, assume le rôle d’élément comique en partenariat avec son turbulent de fils, Kyöhei. Ses entrées en scène sont subites et ses départs toujours très soignés, façon vieux films noirs. Affublé d’un long manteau et d’un chapeau, il n’est pas rare de le voir disparaître dans une tempête ou dans la brume naissante. Ca donne incontestablement un style ! Ajoutons à la panoplie des costumes de Batman et Superman, une bonne dose de tchatche et une profession inconnue. Derrière ses airs de super-héros et de dramaturge, il cerne parfaitement les problèmes et a une manière bien à lui de les traiter. Ainsi, quand ses 2 fils se sont étripés à cause de leur amour pour Anko, il n’hésite pas à raconter des bobards sur la naissance de sa fille. Lorsque Shunpei et Kyöhei s’aperçoivent qu’ Anko possède la photo d’une femme ne ressemblant pas à leur mère, le patriarche montre 3 clichés différents et invente qu’ils ont 3 mères ! Au sujet de la marque de naissance (le kanji ” rouge “, autrement dit ” Akai “, inscrit sur les fesses des garçons) absente sur le corps d’ Anko, il certifie que c’était un moyen de les distinguer à l’hôpital ! Il a tracé le kanji au ” magic marqueur ” ! Son bagou noie ses fils, et les lecteurs, dans une mer d’incertitudes sur les réelles origines de sa fille, et par extension de Shunpei et Kyöhei.

Si Hiroki est du genre effacé, Kiriko est entreprenante et intuitive. Elle découvre que Kyöhei ne sait pas lire de partition et devine que Shunpei aime sa soeur. Cet insolite triangle amoureux l’amuse. C’est également elle qui incite Anko à réfléchir sur les conséquences de son départ pour les USA. Au final, Kiriko et Hiroki intègrent le groupe de Kyöhei. Quand celui-ci apprend qu’Anko et Shunpei visent le même établissement scolaire, il se décide à passer le concours d’entrée. Ayant des notes pitoyables, Anko, engage Kiriko, élève au lycée Kadokawa, comme prof pour faire réviser son frère. Défendu de gratter une guitare jusqu’à la fin des examens, il n’a d’autre choix que de plonger dans les bouquins.
Kai est du genre colérique. Il est irritable, très susceptible, agressif et téméraire. Doué d’une vitalité hors norme, il est également paranoïaque et en a contre la société qui le regarde, pense-t-il, comme un déchet. Ancien pensionnaire d’une maison de correction, ancien mentor d’ Hiroki et de Kiriko, à qui il a respectivement enseigné la basse et la guitare, et ex-petit ami de Kiriko, Kai est un musicien déchu dont le caractère violent a plombé la carrière. Il ne pardonne pas à Kiriko et Hiroki de l’avoir trahi pendant son absence, cependant son désir de vengeance meurtrière envers Kyöhei, qui l’a rendu borgne, le condamne à se détourner de ses meilleurs amis. Il se retrouve accidentellement chez les Akai et est hypnotisé par le père qui découvre ainsi les raisons de sa rancune. Jamais à court d’idée, le paternel menotte Kai et Kyöhei et organise un combat sur un ring en flammes ! Suite à sa défaite, Kai est emmené par le père qui l’incorpore de force dans l’armée Libyenne : histoire que le p’tit jeune se défoule et apprenne la discipline !

Dans Brothers, les triplés ignorent tout de la profession de leur père. Cela peut paraître étrange pour un lecteur français, qui mettra l’originalité sur le compte de la liberté créatrice. Pourtant, au Japon, cette ficelle scénaristique provient de la vie quotidienne. En effet, on discute rarement du métier du père au sein de la famille japonaise. D’ailleurs, le maître des lieux ne se confie pas. Chaque membre vit ainsi des vies séparées, se retrouvant uniquement lors des repas familiaux. Donc, il est plausible qu’Anko, Shunpei et Kyöhei rencontrent leur père épisodiquement, sans jamais lui poser la moindre question sur la nature de ses allers-retours. Au regard d’un étranger, les relations familiales japonaises exposent un caractère figé, presque solennel, car les gestes d’affection sont rares. L’expression directe des sentiments est sous la coupe d’une retenue permanente. Nous retrouvons cette spécificité à travers le langage, chargé de sens social, indiquant la position dans le foyer. Les frères et soeurs s’interpellent à coup de ” frère aîné (onii-san ou aniki), soeur aînée (ane-san), soeur cadette (imôto), frère cadet (otôto) “. Les prénoms sont bannis. Chaque institution (entreprise, école) requiert l’utilisation d’appellations à caractère hiérarchique. La langue japonaise est riche en vocabulaire et autres formes grammaticales qui se modifient selon l’interlocuteur. Le fait de toutes les maîtriser est ardu et oblige certaines entreprises à envoyer leurs nouvelles recrues en stage afin de les acquérir. Au Japon, on privilégie la forme et la courtoisie au détriment de la vérité des relations humaines, du moins en public. Les problèmes se règlent en ” un contre un ” et à l’abri des oreilles indiscrètes, et ce, afin de ne pas pourrir l’ambiance.

Beaucoup de lecteurs étrangers se demandent pourquoi les noms féminins japonais se concluent souvent par ” ko “. Dans le manga Anko et Kiriko ne dérogent pas à la règle. Avant le 9è siècle, les filles de la noblesse voyaient leur nom se conclurent par ” me “, ” iratsume “, ” tôji “. Ces ajouts faisaient office de titres. Au début de l’ère Meiji (1968), la démocratisation des noms a lieu et le suffixe ” ko ” (fille, princesse), jusque là propriété de l’aristocratie, est compilé avec des noms de vertus, de fleur ou de sensations, tels que Yôko (fille du soleil), Sachiko (fille heureuse), Shizuko (fille tranquille). Aujourd’hui, les jeunes parents optent pour des noms atypiques en supprimant le suffixe ” ko “.
TAJIMA-sensei n’aime visiblement pas trop parler de lui. Peu enclin à communiquer, il préfère s’extérioriser avec crayon, trame ou gouache. Comme de nombreux artistes japonais, il adopte une position en retrait, mettant au premier rang ses oeuvres. Par conséquent, parlons-en ! Brothers campe des personnages attrayants, parmi lesquels les rôles secondaires (Hiroki, Kiriko, Kai) paraissent parfois plus fouillés. A ce titre, ils auraient mérité un développement propre. L’auteur narre sous un angle différent le passage de l’enfance vers l’adolescence, du collège vers le lycée, en s’appuyant sur des relations fraternelles et amoureuses, sans tomber dans l’inceste salace. TAJIMA-sensei sait rester sobre dans son scénario et son graphisme. Les réactions des 2 frères sont immatures, mais non dénuées de sens. Une partie du lectorat aurait sûrement aimé lire une ” vraie ” conclusion, elle devra se contenter d’une fin ouverte qui laisse présager une hypothétique reprise.
Le trait est agréable, l’auteur ne dissimulant pas les yeux en amandes de ses héros. Anko a certes les orbites rondes, mais cela accentue son côté kawaii (mignon) et fait ressortir toute l’innocence de son être. Kyöhei est davantage menaçant. Le mangaka ne s’attarde pas sur les décors et focalise ses efforts sur le physique des protagonistes. Le découpage des planches est sans fausse note ni grande originalité, laissant la part belle aux larges cases facilitant la lecture. Malgré la clarté qui s’en dégage, l’artiste se permet quelques crayonnés rageurs et hachures, bien venus. Les couvertures sont superbes, surtout celles de la 1ère édition, et les pages couleurs qui ouvrent les volumes permettent d’apprécier à sa juste valeur le talent de TAJIMA-sensei. L’artiste utilise des tons légers et chauds, favorisant un contact immédiat avec les illustrations. Ne vous y trompez pas, ces couleurs attrayantes ne sont nullement un obstacle à une création réaliste et désabusée, comme le montrent celles concernant une autre oeuvre intitulée Mandara.
L’humour est présent et mise sur un comique de situation sans surprise. Un père super-héros et un prof de sport, copie conforme de Schwarzy qui martyrise les blondinets, sont la touche d’humour qui fait mouche. Un clin d’oeil à l’éditeur, avec le lycée Kadokawa que nos triplés visent, parachève les guest-stars. Petit focus sur Kadakawa Shoten, maison d’édition fondée en 1945 par KADOKAWA Gen’yoshi (1917-1975). Initialement tournée vers la littérature classique, KADOKAWA Haruki (fils du fondateur) entreprend par la suite la publication des livres de poche et fait de la société un producteur de films de télévision et d’émissions de radio. Une ribambelle de revues est sous son giron, comme les célèbres Asuka Magazine (manga) ou Newtype (animation).

Brothers est sans conteste un manga à posséder pour son design qui rappelle un peu ASADA Hiroyuki (à moins que ce ne soit l’inverse !). Le titre datant du début des années 90, TAJIMA-sensei s’est affiné depuis. C’est pour cela que les arts books du maître sont tout aussi indispensables !

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