Allez un petit truc en Freestyle. 45 minutes chrono.
En général, j'évite de me plaindre. Quand on m'a battu pour n'avoir pas voulu dénoncer un camarade qui avait volé le maitre d'école, je ne me suis pas plains. Quand on m'a vendu comme esclave pour éponger les dettes de mes parents, je ne me suis pas plains. J'aurais dû, mais je ne l'ai pas fait. Quand mon maitre obèse et puant m'obligeait à le regarder faire toutes sortes de choses à des jeunes filles, je ne me suis pas plains. J'ai vomi, une fois, mais je ne me suis pas plains.
Cette fois, cependant, j'ai un peu de mal à ne pas trouver mon châtiment un peu injuste. Me sacrifier à une espèce de dieu fou furieux, alors que je n'ai même pas 18 ans, j'avoue, je trouve cela un rude. Pas qu'on me demande mon avis, mais quand même.
Je suis donc, là. Nu sur une pierre franchement glaciale ce qui n'est pas pour me mettre à l'aise. Si l'on omet les frissons et le risque de bronchite (qui je l'avoue, ne m'inquiète pas beaucoup, le temps d'incubation de la maladie était vraisemblablement fortement supérieur au temps qu'il me reste à vivre) je suis surtout gêné par l'aspect ridicule de mon pénis qui comme tous les pénis du monde, du moins pour ce que j'ai pu en constater, n'aime pas du tout le froid et essaye de se planquer.
Mauvaise journée, donc. Je m'attends à me faire planter une dague dans le cœur, mais à la place mes bourreaux se mettent à danser autour de moi. On me fait boire une concoction ignoble et tout autour de moi on allume de l'encens. Au moins quand mon sphincter se relâchera l'odeur sera couverte…
Étrange tout de même de penser à ce dans quoi nagera son corps alors qu'on ne l'occupera plus… Comme quoi, on ne peut vraiment pas imaginer la mort, au final.
Je commence à sentir mon esprit s'envoler. C'est une sensation un peu étrange, mais si j'ai été empoisonné, ça m'évitera de voir à quoi ressemblent mes intestins. C'est toujours ça de gagné. Et puis, c'est le noir.
Je me réveille dans un lit aux draps de soie. Et je ne comprends pas. Je suis mort ? C'est ça la mort ? Ça ressemble vachement à la vie quand même. Sauf que le mobilier est plus riche. Pas exactement ce à quoi je m'attendais…
– Qu'est ce que tu fais encore là ?!
– Pardon ? Il y a quelqu'un ?
Je tourne la tête dans tous les sens, mais personne ne se montre.
– Évidemment qu'il y a quelqu'un ! La question, c'est surtout ce que TOI tu fais encore là ?
– Sérieusement, qui me parle ?
– D'où vient ma voix ?
– Bonne question ! J'en sais rien du tout ! D'où ?
– De ton crâne.
– Je suis donc devenu fou. Super.
– Pas fou, non. Possédé.
– Fou, donc.
– Mais non. Possédé.
– Oui ! Fou !
– Possédé par un Dieu !
– Les dieux ne possèdent pas les gens.
– Moi, si.
– T'es pas un dieu, alors. Et moi je suis fou.
– Ok, je ne suis pas exactement un dieu… Mais tu n'es pas fou.
– Admettons. Et tu sors d'où ?
– La cérémonie, c'était pour me faire venir dans ton corps.
– Oh… Ça a marché, donc.
– A moitié. Tu n'es pas supposé être encore dans ton corps.
– Ah oui. Le sacrifice, tout ça.
– Voilà. Maintenant qu'on a mis ça au clair, tu veux bien t'en aller ?
– M'en aller ? De mon corps ?
– Oh… Tout de suite, mon corps… !
– Quoi ?
– T'es quand même vachement égoïste !
– Parce que je ne veux pas te laisser mon corps ?
– Bah oui.
– Et toi, pourquoi tu ne me le laisserais pas, mon corps.
– J'en ai besoin.
– Moi aussi.
– Nan, mais moi c'est important !
– Ma vie en l'est pas ?
– Franchement ? Un pauvre esclave sans une once de personnalité, un béni oui-oui… Non, ta vie n'est pas très importante, non.
– Pour moi, si.
– Mais c'était pas prévu au programme, ça…
– C'est mon corps. Je veux bien bosser pour n'importe qui, regarder n'importe qui forniquer avec n'importe quoi et plein d'autres trucs. Mais si j'accepte tout cela, c'est contre la possibilité de vivre !
– Ah.
– Quoi ?
– Donc, tu ne veux pas partir.
– Certainement pas. C'est mon corps.
– Bon, on va changer de méthode. Tu veux que le monde disparaisse ?
– Qu'est ce que ce qui peut arriver au monde peut bien me faire ?
– Ben, ce sera le chaos, tout ça…
– Et ?
– Et plein de gens vont mourir !
– Et ?
– Je vois. Tu es définitivement égoïste.
– Pas spécialement, non. Mais le monde, je m'en tape. Il ne m'a offert que des emmerdes le monde. Et je ne connais personne qui mérite d'être sauvé.
– Alors on va faire un marché.
– Qui consistera en quoi ?
– Tu vas me laisser le contrôle de ton corps quand on sera en public et en échange tu mangeras bien, tu dormiras dans des lits propres et tu regagneras le contrôle de ton corps en privé. Enfin, pendant quelques temps.
– Et après ?
– Après on ira sauver le monde.
– Et tu me lâcheras la grappe une fois le monde sauvé ?
– Tout à fait.
– Ok, ça marche. Allons sauver le monde.
– Quoi ? Maintenant ?
– Pourquoi remettre à demain ce qu'on peut faire aujourd'hui ?
– Le chemin est long !
– Raison de plus pour partir tôt !
– Et dangereux !
– Alors il faudra progresser prudemment, ce sera encore plus long. Autant partir le plus tôt possible.
– Il faut entraîner ce corps !
– On fera ça en route, vu qu'elle est longue on aura tout le temps.
– Mais…
– Allez, on y va.
– Mais… Je voulais profiter un peu de tout ce luxe, moi… Des centaines d'années que j'attends ça…
– J'm'en tape. Je veux récupérer mon corps pour moi tout seul. Donc on sauve le monde et zou, tu te casses. Capiche ?
– Euh… Bon.
– Allez !
– …
– …
– On attend quoi ?
– C'est par où qu'on sauve le monde, au fait ?