Godzilla (1954-2004)

Increvable, pour le meilleur ou le pire ?

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Godzilla est tel le Phénix qui renaît de ses cendres avec moins de grâce. Né en 1954 dans un Japon traumatisé par les bombardements et les attaques nucléaires d’Hiroshima et Nagasaki, le monstre a durant deux décennies piétiné des maquettes et combattu des créatures à sa taille, avant de disparaître, au milieu des années 70. Mais comme dans les films dont il est le héros , il semble indéfiniment ressuscitable : son retour japonais en 1984 est remarqué jusqu’aux Etats-Unis, où il fait l’objet d’un énième remake, en 1998. Et un nouvel opus japonais est actuellement en tournage. Godzilla fête cette année ses 50 ans, un exploit pour une créature maintes fois carbonisée, désintégrée et atomisée, mais aussi maltraitée par les années. Godzilla a en effet subi les outrages du temps, passant du statut de respectable monstre terrifiant à celui de bébête préférée des enfants. Le ridicule ne tuant pas, il s’en est relevé, mais à quel prix ? La récente sortie de 5 coffrets DVD soit 10 films, de 1966 à 1995 dévoile le carnet de santé du monstre, et apporte ainsi quelques explications à son indestructibilité.

L’enfant terrible du Japon blessé

La naissance de Godzilla se fait dans la douleur. Jusqu’en 1953, les forces d’occupation américaines au Japon exercent un contrôle sur les scenarii des films de cinéma. Dès la levée de cette censure, les réalisateurs traitent de sujets interdits tels que les films de sabre ou simplement sensibles. Or, un incident diplomatique se produit en mars 1954, entre les Etats-Unis et le Japon, la puissance américaine procédant à des essais nucléaires qui contaminent des marins japonais. Une équipe se réunit alors, à l’initiative du producteur de la Toho TANAKA Tomoyuki. TANAKA a l’idée d’un film de monstre, dans la veine des films américains du genre, qui incarnerait la peur japonaise du nucléaire. Ainsi Godzilla est conçu comme une créature préhistorique ayant survécu dans des grottes sous-marines, mais récemment victime d’expériences nucléaires. Son environnement détruit, il vient demander des comptes à sa façon aux humains.

Autour de TANAKA, sont présents le réalisateur HONDA Ishirô, le spécialiste des effets spéciaux TSUBURAYA Eiji et le compositeur IFUKUBE Akira. Tous ont vécu la guerre et ses répercussions, jusque dans leur vie professionnelle ; ainsi Tsuburaya a-t-il été blacklisté par les forces américaines pour avoir travaillé, durant la guerre, sur des films de propagande. Ce vécu va influer sur le ton du film. Bâti sur le modèle de King Kong, Godzilla adopte un point de vue pessimiste sur le Japon de l’après-guerre. C’est un pays humilié par la défaite, dégénéré car américanisé, paralysé par son absence de force armée, qui est ici montré. Un pays scindé entre les villes, industrielles, créatrices de monstruosités dangereuses, et la campagne, bastion des traditions. Plus impressionnantes que le monstre lui-même un homme dans une combinaison de 100 kg, aux armatures de métal , les scènes de panique collectives sur fond de musique militaire restituent une ambiance de cauchemar assez étonnante.

Nostalgique, réactionnaire, démagogique le peuple japonais est écrasé sous les pattes du monstre tandis que savants et diplomates se réunissent en d’interminables colloques , Godzilla est tout autant un film de divertissement. Son immense succès public pousse la Toho à mettre en chantier d’autres films de monstres géants (kaijû eiga) avec ou sans Godzilla. On croise ainsi en 1955 un ersatz de Yéti (Half-human), en 1956 l’oiseau préhistorique Rodan (Radon en VO), en 1957 Mogera dans Prisonnières des martiens et Varan (Baran en VO) en 1958. Puis vient la mite géante Mothra (Mosura en VO), en 1961, qui affronte dans Mothra contre Godzilla un Godzilla ressuscité (1). Mothra amorce un virage dans la série des kaijû eiga de la Toho.

Mutations

Mothra contre Godzilla conserve encore une haute teneur écologiste et son lot de critiques ici à l’encontre des responsables politiques et des hommes d’affaires véreux mais la sympathique mite l’oriente vers le public enfantin. La tendance s’affirme par la suite. En 1963, Godzilla se mesure à King Kong. Premier film de la série en couleurs, King Kong contre Godzilla voit l’arrivée d’un nouveau scénariste qui imprime une orientation comique à la série. Les affrontements tournent à la castagne rigolote. NAKANO, assistant aux effets spéciaux auprès de TSUBURAYA, explique que ce dernier dut, pour éviter la redite dans les combats, les rendre plus « sportifs ». King Kong contre Godzilla est un énorme succès, le plus rentable de l’histoire de Godzilla. Les monstres continuent donc leur processus d’humanisation : ainsi dans Invasion Planète X (1965), Godzilla emprunte un geste à un sumô célèbre.

Dans le même temps, les créatures se multiplient et perdent en extraordinaire : entrent en piste Dagora (Dogora en VO), Ghidorah, Baragon ou Minira (le fils de Godzilla). Et surtout, Godzilla devient… gentil. Le revirement se passe dans Ghidorah (1964), Godzilla s’alliant à Mothra et Rodan contre Ghidorah. Le monstre perd alors les derniers lambeaux de sa mauvaise réputation, et le mythe de la malfaisante créature de la bombe passe à la trappe. Le genre n’en a pas fini de dériver.

Monstres et Cie

Même la musique martiale de IFUKUBE est évincée, et FUKUDA Jun remplace HONDA à la réalisation sur Ebirah (1966). L’Ebirah du titre est un homard géant qui joue au ping-pong avec ses pinces quand Godzilla lui envoie des pierres à la façon d’un footballeur. On aperçoit Mothra, qui sauve les héros humains perdus dans des décors à la James Bond. Le message a changé, puisque, dixit l’un des personnages, « il faut apprendre à vivre avec cette arme redoutable » (le nucléaire). Godzilla ressemble au Casimir de l’Ile aux enfants, et les indigènes de sexe féminin nous sommes loin du Japon, dans les mers du Sud sont en bikini. Dans un entretien accordé en 1998 à la revue HK (2), FUKUDA reconnaît lui aussi avoir donné un ton « plus léger » et « plus rythmé » à la série. Il estime que c’est sa « faute si les films sont devenus de plus en plus enfantins », pensant alors « qu’un public jeune ne s’intéressait pas au côté science-fiction ». NAKANO, qui succède à TSUBURAYA en 1970, considère, dans ce même entretien, que l’orientation enfantine était avant tout souhaitée par la Toho.

En 1968, la compagnie produit Les envahisseurs attaquent, qui doit réaffirmer la suprématie de la Toho sur le kaijû eiga, les autres studios ayant lancé leurs propres monstres (3). Mais le filon, surexploité, s’épuise. Les monstres se suivent et se ressemblent, grosses peluches gesticulantes opposées à des confrères mécaniques. En 1974, Godzilla s’énerve contre Mechagodzilla, son méchant double de métal conçu par des extraterrestres simiesques qui veulent envahir la terre ! Pire que tout, Godzilla est aidé par une sorte de lion à grandes oreilles baptisé King Caesar. Godzilla a un nez retroussé et des attitudes de gosse capricieux lorsqu’il joue au catch avec ses petits camarades. Les héros sont toujours d’éminents professeurs accompagnés de leur fille (rien n’a changé de ce côté-là depuis 1954), mais les flics ont un look de yakuza : nous sommes dans les années 70, en plein boom des films de gangsters, et Godzilla emprunte aussi au genre les violentes bastons filmées caméra à l’épaule, les zooms et la musique pop. Un mélange incohérent au possible, qui annonce la mort du monstre, l’année suivante.

Le réveil du monstre

Après quinze apparitions, Godzilla tire sa révérence, dans Les monstres du continent perdu (1975) (4). Les compagnies de cinéma traversent une crise, et malgré la rentabilité honnête de la série, la Toho l’arrête. Mais en 1983, elle ressort en salles ses anciens kaijû eiga, avec succès. NAKANO Teruyoshi, responsable des effets spéciaux dans les années 70, suggère de ressusciter le monstre. Le producteur TANAKA Tomoyuki, toujours en place, impose la présence d’un monstre unique, Godzilla, et de revenir au thème de la peur du nucléaire, mâtiné de guerre froide. Le réalisateur est un assistant de HONDA, HASHIMOTO Kôji. Godzilla 1985 remportant un franc succès, suit Godzilla vs Biollante (1989), un semi-échec. On rappelle alors les vieux monstres à la rescousse.

Cette nouvelle série donne la primeur aux effets spéciaux, et les scénarii lorgnent du côté de la science-fiction. Le thème musical est de nouveau l’entêtante marche militaire de IFUKUBE. Quant à Godzilla, il est censé avoir grandi avec le développement urbain du Japon, passant de 40 à 100 m. Le spectaculaire avant tout. Hélas, les films souffrent d’un manque de moyens et d’imagination flagrants. Dans Godzilla vs King Ghidorah (1991), l’intrigue est un peu plus pimentée que d’habitude. Les Japonais de 1992 voient débarquer en soucoupe volante des hommes de 2204. Les « Futuriens », représentés par un américain, un russe et une japonaise, expliquent le danger que Godzilla représente pour l’avenir du Japon. Aussi proposent-ils d’aider les Japonais du XXe siècle à s’en débarrasser. Après quelques revirements de situation, on découvre que Godzilla protégea, durant la Seconde Guerre Mondiale, des soldats japonais contre les Américains venus fouler le sol de son île à noter qu’il n’avait pas été gêné par l’intrusion des premiers , que King Ghidorah va détruire le Japon et que le nucléaire serait bien utile à un pays en danger. On est davantage gêné par les messages nauséabonds véhiculés par le film le Japon futur « rachète » les terres des autres pays du monde que par les décors et trucages cheap au possible. Surtout, les monstres ont retrouvé un peu de leur prestance.

Les films suivants exploitent la nostalgie liée aux créatures : après Godzilla vs Mothra (1992), Godzilla vs Mechagodzilla (1993) voit le retour de Rodan, Mechagodzilla et Minira. Tout ce petit monde batifole sous le regard placide des protagonistes. En effet, Godzilla est maintenant devenu familier. Les films puisent toujours plus à la source : après Godzilla vs Spacegodzilla (1994), le monstre fait ses adieux dans Godzilla vs Destoroyah (1995), hommage à l’original de 1954. On y retrouve le destructeur d’oxygène, une invention créée dans le premier Godzilla, des extraits du film, et l’actrice jouant jadis Emiko, la fille du paléontologue Yamane, y fait une apparition. Parallèlement, les Etats-Unis donnent leur version du mythe : le Godzilla de Roland EMMERICH (1998) débarque à New York, et les responsables de sa fureur nucléaire sont cette fois les Français.

Anniversaire

Depuis, Godzilla est revenu au Japon, et un dernier ( ?) opus est en préparation, intitulé Godzilla final wars. Un cadeau d’anniversaire de la Toho à son monstre, mais aussi la dernière tentative pour le sauver des oubliettes. La Toho fait les choses en grand : budget doublé, un tournage, pour la première fois dans l’histoire de la série, à l’étranger, et une équipe renouvelée. Aux commandes, le très en vogue KITAMURA Ryurei (Versus, Azumi), associé à son scénariste habituel, KIRIYAMA Isao. Ce dernier semble avoir mixé tous les ingrédients des films précédents : il y est notamment question de mutants, d’une charmante biologiste, d’extraterrestres, et de monstres déchaînés. On y retrouvera un autre rescapé de la saga, l’acteur TAKARADA Akira, héros de l’original. Godzilla y survivra-t-il ?

Les 5 coffrets DVD édités par Aventi proposent : G. vs King Ghidorah et Ebirah, horror of the deep ; G. vs Spacegodzilla et The return of Godzilla ; G. vs Biollante et G. vs Mechagodzilla II ; G. vs Megalon et G. et Mothra : the battle for earth ; G. vs Destoroyah et G. vs Mechagodzilla.

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